Les homélies du temps l'Avent
1er dimanche de l'Avent
Des situations diverses, une seule Espérance
« Veillez, tenez-vous prêts ! » : dès le début de ce temps de l’Avent, nous sommes appelés à la vigilance. Le Seigneur nous demande d’être prêts, car Il va venir. Bien sûr, Il viendra dans vingt-cinq jours, à Noël, et nous nous y préparons déjà (sans oublier aussi les préparatifs matériels). Mais l’essentiel, c’est de se préparer à sa venue définitive, à son retour ; nous sommes toujours dans le jubilé de l’Espérance, et le temps par excellence de l’Espérance, c’est l’Avent. À travers les images données par l’Évangile (le déluge, le voleur), c’est surtout l’attente joyeuse du Christ qui nous guide pendant cette période.
Avec ce temps de l’Avent, nous commençons aussi une nouvelle année liturgique : c’est-à-dire un cycle d’événements qui nous conduira, depuis la naissance de Jésus, à travers l’annonce de la Bonne Nouvelle, jusqu’à sa mort, sa Résurrection, son Ascension auprès du Père – sans oublier la Pentecôte où naît l’Église. Parmi les célébrations que nous vivrons, il y aura des fêtes joyeuses, et aussi les événements douloureux de la Passion ; tout cela nous aidera, nous accompagnera, et fera grandir notre foi. Il est bon que notre vie, notre année, soient ainsi rythmées par ces événements de Salut qui sont si différents les uns des autres ; cela nous rappelle que notre vie quotidienne, elle aussi, est rythmée par des événements tout aussi divers. Nous passons par des périodes de joie, de célébration, et nous traversons aussi des moments de tristesse, d’incompréhension, parfois même de désespoir. Mais chaque instant, que nous en soyons conscients ou non, est marqué par la présence du Seigneur qui nous accompagne.
Ainsi, l’année liturgique donne un sens, une direction à tout ce que nous vivons. Nous ne sommes pas dans un temps cyclique, où tout reviendrait toujours au même point, et où il n’y aurait aucune Espérance : nous sommes dans la progression vers le Seigneur. Chaque année est un cycle, mais chaque année nous fait avancer un peu plus vers le Royaume de Dieu. Alors que nous arrivons à la fin de l’année du Jubilé de l’Espérance, il faut garder ce thème de l’Espérance comme orientation principale de notre vie. Saint Paul, dans la lettre aux Romains [deuxième lecture], nous rappelle que le salut est toujours plus proche, que « la nuit est bientôt finie et que le jour est tout proche ! » Et comme la lumière du jour est déjà là, comme le Sauveur vient déjà vers nous, notre manière de vivre doit être différente : « Rejetons les œuvres des ténèbres, conduisons-nous honnêtement comme on le fait en plein jour ». L’Espérance transforme notre comportement : même si nous traversons des difficultés et des épreuves, nous restons fixés sur le Seigneur pour faire le Bien autour de nous. La vie est changeante, tour à tour joyeuse et douloureuse ; mais Dieu, Lui, ne change pas et nous attire toujours à Lui. Vivre dans l’Espérance, c’est aimer avec autant de constance que le Seigneur nous aime, même si nous passons par des hauts et des bas.
Avec le temps de l’Avent, nous sommes surtout invités à poursuivre l’Espérance du peuple d’Israël, qui attend le Messie sans le connaître encore. Les prophètes des temps anciens nous enseignent cette attente : eux-mêmes sont passés par des moments difficiles, qui ont mis à l’épreuve leur Espérance. C’est surtout le prophète Isaïe qui nous accompagne pendant cette période, comme nous l’avons entendu dans la première lecture. Isaïe vit à une époque de désarroi, où le royaume d’Israël semble perdu : le pays est envahi, les habitants vont être exilés, le Temple est fragilisé, le roi est corrompu… Qu’est-ce qui va donner un sens à tous ces événements ? De la même manière, qu’est-ce qui donne un sens aux crises que nous traversons ? Qu’est-ce que nous espérons vraiment ? Au fil des circonstances de notre vie, vers quoi, ou vers Qui, nous dirigeons-nous ?
Le prophète Isaïe propose ainsi une Espérance double, où nous puisons nous aussi. La première Espérance, c’est que toute l’humanité se rassemblera autour du Seigneur : « Vers la maison du Seigneur, afflueront toutes les nations et viendront des peuples nombreux. Ils diront : “Venez ! Montons à la montagne du Seigneur !” » Et puis la seconde Espérance, comme conséquence, ce sera la paix universelle : « Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre ». Quand tous les hommes écouteront le Seigneur, le monde aura la paix.
Voici donc le temps de l’attente, le temps de la joie car le Seigneur vient nous sauver. Les situations sont différentes, comme le dit Jésus : certains mangent et boivent, d’autres sont aux champs, au moulin ; il y a des peines et des joies… mais le Seigneur nous conduit tous vers un seul Salut, une seule Espérance. Quelle que soit notre vie, Il vient se faire proche de nous pour nous sauver : préparons-nous à sa venue.
Les homélies du temps ordinaire
Solennité du Christ-Roi
Le Roi qui nous recrée
Pour terminer notre année liturgique, avant de reprendre le cycle de l’Avent et de Noël, l’Église nous invite à contempler le Seigneur Jésus sous les traits du Roi de l’univers. Cette royauté du Christ, dans la tradition biblique, se rapproche de la figure du Pasteur, comme nous l’avons entendu à propos du roi David [première lecture] : « Tu seras le berger d’Israël mon peuple, tu seras le chef d’Israël ». Le Christ Jésus est notre berger, notre pasteur, Il nous guide comme un roi guide son peuple, et nous avons à le suivre pour être sûrs de ne pas nous égarer. Le suivre, bien sûr, cela signifie l’écouter, obéir à sa Parole, lui rendre hommage, l’accueillir comme le seul guide de notre vie. Même si nous vivons en République depuis cent soixante-dix ans, nous n’avons pas oublié qu’un Roi est celui qui est respecté, honoré, obéi !
Mais le grand paradoxe de notre foi chrétienne, c’est justement que la Royauté du Christ n’est pas comme les royaumes de la terre. Quand Jésus parle de sa gloire, Il dit par exemple à Nicodème [Jn 3,14] qu’Il doit être « élevé » ; mais cette élévation, c’est celle de la Croix. Jésus est Roi par excellence sur sa Croix ; c’est ce que nous rappelle l’Évangile de ce dimanche. Le malfaiteur crucifié, du fond de sa souffrance et de son désespoir, a comme une illumination de foi : il devine la Royauté de cet homme qui meurt à côté de lui, et lui parle du jour où Il « viendra dans son Royaume ». En fait, c’est la Croix qui est le Trône du Royaume du Christ, c’est sur cette Croix que son Règne devient visible. Ce Royaume « n’est pas de ce monde », comme Jésus le dit à Pilate [Jn 18,36], et il ne s’exprime pas par la force ni par la domination : il se montre par le don, l’Amour, le service – le don de soi qui va jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Nous sommes les citoyens de ce Royaume, alors comment pouvons-nous y vivre fidèlement ?
Pour mieux comprendre cette Royauté d’Amour, nous avons entendu un passage très riche de l’Épître aux Colossiens, où saint Paul médite sur le « Royaume du Fils bien-aimé » ; ce passage est sans doute un chant liturgique ancien, que Paul a mis par écrit. Il faudrait reprendre et approfondir mot par mot ces phrases ! Le Christ est Roi parce qu’Il est la Tête de tout l’univers ; c’est Lui qui est au centre du monde, de la Création : c’est « en Lui, par Lui » que tout a été créé, puisqu’Il est la Parole par laquelle Dieu fait la Création. Le Christ est comme le “pont”, non seulement entre Dieu et les hommes, mais encore entre Dieu et toute la Création.
Après avoir médité sur la Création du monde, Paul médite aussi sur la Rédemption : le monde est sauvé, de la même manière, par le Christ. C’est par le Christ que tout a été créé, et c’est encore par le Christ que tout est renouvelé, re-créé. Jésus est ressuscité : la Résurrection entraîne le monde entier dans son mouvement de vie, de renouvellement, de renaissance. C’est pourquoi le Christ est le « premier-né d’entre les morts », pour faire revivre le monde entier dans la paix de Dieu : tout est « enfin réconcilié » avec Dieu, Jésus a « fait la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel ».
C’est donc cela qui nous guide, quand nous méditons sur le Christ comme Roi de l’univers. Nous avons été créés, la vie nous a été donnée, par Celui qui est la Tête de toute la Création. Et nous laisser conduire, aujourd’hui, par Jésus notre Roi, c’est donc retrouver le sens de notre vie, qui est à l’image de ce Roi, le « premier-né avant toute créature ». Nous sommes créés par Dieu, par la Parole du Christ, dans l’Esprit Saint ; et nous sommes faits pour revenir à Dieu, par le Christ, dans l’Esprit Saint. Jésus qui est Roi, n’est pas un roi à la manière des autorités d’aujourd’hui, avec des commandements et des lois : Il n’est Roi que pour nous ressusciter, nous réconcilier avec son Père, et nous réconcilier avec nous-mêmes. Notre nature est d’être à l’image de Dieu : Jésus nous rend notre nature, Il nous rétablit dans la ressemblance avec Dieu, et Il entraîne toute la Création dans la réconciliation.
La Royauté de Jésus est donc une royauté d’amour, puisqu’elle nous rend notre dignité d’enfants de Dieu : le Roi est Celui qui nous « arrache au pouvoir des ténèbres, pour nous donner la rédemption, le pardon des péchés » [deuxième lecture]. Sur la Croix, comme le malfaiteur, nous pouvons discerner le Roi qui donne sa vie par Amour ; et nous n’avons plus peur de son autorité de Roi ! C’est Lui l’unique Berger : Il nous a donné la vie, Il nous libère de la mort, et Il nous conduit vers la vraie Vie.
33ème dimanche du temps ordinaire
Dimanche des fiancés
Ce qui n’est pas fait avec Dieu est fragile
Nous sommes en train de terminer notre année liturgique : dans quinze jours ce sera la nouvelle année, qui commencera avec le temps de l’Avent. En ces derniers jours, l’Église nous propose donc des paroles de Jésus qui correspondent aux “derniers temps”, c’est-à-dire à son retour et à la fin des temps. Le thème de la “fin du monde”, c’est quelque chose qui est souvent abordé par les fictions, par le cinéma, pour faire peur ; mais on a entendu Jésus, Lui aussi, décrire des situations terribles et effrayantes ! Il parle de guerres, de désordres, de destructions, d’épidémies, et aussi de persécutions. Est-ce que l’Évangile veut nous faire peur ? Que faut-il comprendre de ces descriptions ?
La réalité, c’est qu’il faut voir en qui (ou en quoi) nous mettons vraiment notre confiance. Les guerres, les catastrophes, il y en a toujours eu dans le monde ; et beaucoup de choses qui semblaient solides se sont écroulées. Après le passage des malheurs, des épreuves, face à l’adversité, que reste-t-il de nos sécurités ? Je mettais ma confiance dans ma force et ma santé, et voici une maladie : que reste-t-il de mon assurance ? Jésus décrit toutes ces situations qui nous remettent en question, puis Il ajoute : « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie ». Ce qui reste quand tout disparaît, c’est la persévérance de la foi : c’est-à-dire ce qui est fondé sur le Seigneur. Ce que nous construisons sur le Seigneur, ce que nous faisons avec Lui, par Lui, ce qui est appuyé sur son Amour : cela tient. Mais ce que nous faisons sans Lui, en comptant sur notre propre solidité, sans tenir compte de sa présence dans notre vie… il ne faut pas nous étonner si cela finit par un effondrement. C’est vrai de nos actions, et c’est vrai de nos choix de vie : particulièrement le couple, le mariage et la famille.
Il s’agit donc de faire ce que nous pouvons, mais en appuyant nos choix sur le Seigneur. En ce dimanche, nous avons entendu un bel éclairage sur cette manière de vivre en chrétiens : un passage bien connu de la seconde lettre de saint Paul aux chrétiens de Thessalonique, où il y a cette phrase célèbre et définitive : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus ! » Saint Paul parle du travail de l’homme, et lui donne une grande valeur : en travaillant, on n’est à la charge de personne, on se suffit à soi-même, on a la fierté d’accomplir quelque chose. Et si vous ne voulez pas travailler, ajoute Paul, alors cessez de manger, de consommer, puisque tous les biens sont eux-mêmes fruits du travail.
C’est donc une attitude générale qui nous est proposée : tout en comptant sur le Seigneur, faire ce que nous avons à faire. Les chrétiens ne sont pas ceux qui se tournent les pouces en attendant que le Seigneur les comble. Ils agissent, ils font leur possible ; mais ils savent aussi que le Seigneur agit, et que sans Lui nous ne pouvons pas grand-chose. Quand on plante une semence dans un champ, on prie pour que tout se passe bien, pour que la météo soit propice et que les parasites s’éloignent ; mais tout de même, on fait le travail des semailles ! Le grain ne va pas se planter tout seul, et si l’on ne sème pas, on ne récoltera jamais. Dans toute la Bible, l’action de l’homme a une immense importance : la grâce de Dieu n’est pas là pour remplacer notre négligence et notre paresse.
C’est un enseignement qui est vrai et sage ; et il touche tous les domaines de notre vie. Si nous ne faisons rien, il ne sert à rien de compter sur le Seigneur. Particulièrement, en ce dimanche des fiancés de nos paroisses, nous pensons à la vie de couple, à la vie de famille qui est si importante pour chacun de nous. Le sacrement du mariage est un don de Dieu ; il est un engagement par lequel le Seigneur s’implique dans l’amour de deux personnes. Dans le mariage, on sait qu’on peut toujours compter sur la grâce de Dieu pour l’amour et la réconciliation. Mais en même temps, l’amour conjugal est quelque chose qui se travaille sous le regard de Dieu. Par le dialogue, par l’échange, par le partage, par la sollicitude mutuelle ; et surtout par la prière et le pardon, le couple se fortifie avec la grâce de Dieu. Si je ne cherche pas à vivre l’Amour du Seigneur, mon amour conjugal sera bien fragile. Et même s’il y a un Sacrement, le Seigneur n’agira pas à ma place !
On peut dire la même chose de l’éducation chrétienne des enfants : c’est bien de les baptiser, mais si les parents ne transmettent rien, s’ils ne vivent pas eux-mêmes de la foi, s’ils ne prient pas, l’enfant ne sera pas plus chrétien que s’il n’était pas baptisé. Le Seigneur n’agit pas sans nous.
Dans le monde, tout passe ; mais ce qui est construit sur le Seigneur, avec le Seigneur, reste fort. Dans nos joies et nos célébrations, n’oublions jamais de fonder notre vie sur la grâce de Dieu, et de la faire fructifier activement. Quand nous passerons par des épreuves, le Seigneur nous montrera qu’Il bénit notre travail, et que nous pouvons avoir confiance en Lui !
Dédicace de la Basilique du Latran 2025
Nos églises, signes visibles du Christ
Dimanche dernier, nous avons déjà célébré une fête spéciale : le lendemain de la Toussaint, c’était le jour de prière pour tous les défunts. Nous nous sommes souvenu que chaque personne était appelée à la vie éternelle, parce que chacune a une dignité infinie. Et ce qui fonde notre dignité, notre vocation à connaître Dieu, c’est que chacun de nous est le Temple de l’Esprit Saint. Dieu veut habiter dans le monde, et particulièrement dans le cœur des hommes. Et aujourd’hui, en cette fête de la consécration de la cathédrale du Latran, nous nous souvenons aussi que le Seigneur veut habiter des maisons de pierre : nos églises qui sont les demeures de Dieu sur la terre, à la suite de l’ancien Temple de Jérusalem (dont nous parle l’Évangile de ce jour). Les églises, les chapelles, les cathédrales, les basiliques, rendent visible l’Église que nous formons : elles sont des lieux ouverts à tous, des lieux de prière et de témoignage. Bien sûr, il est possible (pour diverses raisons) de célébrer la Messe dans un autre bâtiment, et même en plein air. Mais la visibilité de l’Église – de l’assemblée des baptisés – à travers les églises, cette visibilité est nécessaire.
Nous connaissons sans doute plus ou moins l’histoire de la Basilique du Latran, dont nous célébrons aujourd’hui la consécration. Avec l’édit de Milan (312) qui permettait à toutes les religions d’exister, l’empereur Constantin donna un domaine à l’évêque de Rome, sur lequel le pape saint Sylvestre a édifié une église qui fut consacrée le 9 novembre 324. Ce fut la première église en Occident qui ait été consacrée publiquement, et elle porte fièrement le titre de « mère et tête de toutes les églises du monde ». Pour la première fois, le culte chrétien pouvait être célébré, non plus dans des maisons privées en se cachant, comme au temps des persécutions, mais en plein jour. Cette église est en même temps la cathédrale de l’évêque de Rome, le lieu symbolique d’où le peuple chrétien tout entier reçoit l’enseignement du Pape.
Avec cette cathédrale, l’Église apparaît donc aux yeux du monde comme elle est : une assemblée de prière, d’adoration, d’amour, convoquée par le Seigneur. Dans le peuple de Dieu, visible par tous, chacun a sa place et sa vocation, chacun est indispensable. L’assemblée est nécessaire à la vie de l’Église : personne ne peut être chrétien de manière isolée. L’Église n’est elle-même que si elle est communautaire, visible, accueillante, joyeuse : Temple de l’Esprit Saint où Dieu habite, signe visible de la grâce de Dieu pour ceux qui la rencontrent.
Pour nous chrétiens, nous rassembler dans une église, ce n’est donc pas seulement une question de “commodité”. Bien sûr, on prie mieux, on chante mieux quand on est ensemble ! Mais il y a bien plus que cela. La communauté de l’Église, c’est la maison de Dieu, le Temple de l’Esprit et le Corps du Christ : comme le disait saint Paul aux Corinthiens [deuxième lecture], « vous êtes un sanctuaire de Dieu, et l’Esprit de Dieu habite en vous ». L’Église est habitée par l’Esprit, elle est le Corps du Christ qui se montre à tous les hommes. Il y a deux mille ans, le Fils de Dieu a voulu prendre un corps humain, se rendre visible aux yeux de ses contemporains ; à notre tour, dans l’Église, comme membres du Corps du Christ, nous sommes appelés à rendre visible ce Corps pour nos contemporains. L’Église, selon une citation bien connue (Bossuet), c’est « Jésus-Christ répandu et communiqué » : et nous, qui formons l’Église, nous avons la responsabilité de montrer Jésus aux yeux du monde.
Tous les hommes ont soif de rencontrer le Christ, et nous pouvons ainsi être témoins dans l’Église : faire voir le Christ. D’une part, par l’adoration, le culte de Dieu, et c’est le rôle de nos églises visibles et des messes qui y sont célébrées. Une célébration, une cathédrale comme celle du Latran, disent quelque chose de la grandeur de Dieu ! Et puis d’autre part, par la charité, l’Amour dont témoignent les Saints : ils rendent visible la sollicitude du Seigneur pour les plus pauvres. À travers tout cela, les hommes d’aujourd’hui rencontrent Jésus, aussi sûrement qu’ils pouvaient Le rencontrer autrefois en Galilée.
Dans l’Église, tout chrétien est appelé à vivre, à agir en membre du Corps du Christ pour rendre visible ce Corps : chacun selon sa propre vocation. Certains sont de grands Saints : Martin, Benoît, etc. Ils rayonnent, et sont magnifiques comme la cathédrale du Latran ! D’autres sont discrets comme une chapelle de campagne. Mais c’est toujours le même Esprit qui habite en eux.
Le Temple de Dieu, c’est le Christ, et c’est chacun des baptisés : ne faisons pas de cette maison une « maison de commerce », mais vivons pleinement comme membres du Corps du Christ, Temples de l’Esprit Saint.
Solennité de la Toussaint
L’Espérance de la sainteté
En ce début du mois de novembre, l’Église nous donne deux jours pour lever les yeux et méditer : deux jours pour contempler notre véritable vocation. À quoi sommes-nous appelés, quelle est notre vocation ? Nous sommes appelés à la Vie, c’est pour cela que le Seigneur nous a créés : pour vivre, pas seulement “vivoter” pour un moment, mais vivre éternellement dans la Lumière de Dieu. Nous avons donc ce jour de la Toussaint pour célébrer les Saints ; et demain, jour de prière pour les défunts, nous présenterons nos demandes pour ceux qui nous ont quittés, surtout nos proches, afin qu’eux aussi puissent vivre face au Seigneur pour l’éternité. Nous espérons de tout cœur qu’avec nos prières, nos défunts seront fêtés non plus le 2 novembre, mais le 1er novembre, avec tous les Saints ! Cependant, nous ne savons pas exactement ce qui se passe au Ciel… donc il faut continuer de prier pour eux.
En tout cas, aujourd’hui comme demain, ce qui compte et ce que nous voulons vivre, c’est notre Espérance. L’Espérance, pour nous, ne consiste pas seulement à penser qu’il y a une vie après la mort. L’Espérance fondamentale pour les chrétiens, c’est la certitude que le Seigneur Dieu est vainqueur : vainqueur du mal et du péché, vainqueur de la mort. Nous ne sommes plus condamnés à nous perdre, voués à la mort, à l’oubli, au mal, aux souffrances et aux catastrophes : la fatalité est vaincue. Beaucoup de nos contemporains, comme les païens des temps anciens, pensent qu’il y a une fatalité, un destin maléfique ; qu’on ne peut rien y faire, et que tout finira mal. Mais tout cela est terminé : le Christ a vaincu la mort par sa Résurrection, et Il a vaincu toutes les conséquences de la mort. Plus rien ne peut nous effrayer ni nous désespérer !
Les Saints que nous célébrons aujourd’hui sont ceux qui ont déjà exprimé cette victoire par leur vie. Quand ils étaient parmi nous, ils ont préféré l’Amour de Dieu à tout le reste – particulièrement, bien sûr, les martyrs qui sont allés jusqu’au don de leur vie. Les Saints ont mis en œuvre ces paroles de l’Évangile que nous venons d’entendre : « Heureux les pauvres de cœur ; heureux les doux ; heureux les miséricordieux, heureux les persécutés ! » Ils ont vécu la pauvreté et la douceur, pour qu’en eux soit visible la victoire du Christ sur le mal et la violence. Et non seulement ils ont été signes de cette victoire dans le monde ; mais encore, maintenant qu’ils sont auprès du Seigneur, ils sont pleinement participants de la Victoire définitive. Le Seigneur les comble de sa présence pour l’Éternité, et les brûle dans son Amour : « Nous lui serons semblables, car nous le verrons tel qu’il est » [saint Jean, deuxième lecture]. Notre vocation à nous aussi, c’est d’être des Saints : d’accueillir dans notre vie la Grâce de Dieu, de devenir de plus en plus des images du Christ pour Le contempler dans l’Éternité.
C’est donc cela que le Seigneur nous appelle à vivre, comme les Saints que nous honorons aujourd’hui : leur exemple nous montre qu’il est possible de répondre à cet appel. C’est le fondement de notre Espérance, et c’est pourquoi nous ne devons jamais désespérer ! Mais nous voyons qu’autour de nous, beaucoup désespèrent, car ils ne connaissent pas la joie de l’appel à la sainteté. Depuis plus de deux cents ans, on a voulu remplacer la joie et l’Espérance de l’Évangile par des espoirs de ce monde : on a mis sa confiance dans le progrès, la science, la démocratie, la libération des opprimés, l’égalité… et puis beaucoup de choses se sont effondrées, et ces espoirs n’ont pas suffi à combler le cœur des hommes. Notre monde vit donc dans la peur, l’angoisse ; on ne voit plus le sens de notre vie, ni le but vers lequel tendre ; tout nous effraie, on se dit « éco-anxieux » pour l’avenir du monde ; la peur paralyse, et l’enjeu principal de toute une classe d’âge devient la santé mentale.
Comment retrouver l’Espérance et la joie ? En suivant l’exemple des Saints qui n’ont jamais désespéré, et qui ont laissé resplendir en eux la Résurrection du Seigneur. Grâce à leur prière, nous pouvons vivre dans l’Espérance ; la frontière entre le Ciel et la terre est rompue, nous participons déjà à leur victoire avec Jésus. Nous aussi, nous sommes déjà ressuscités par le Baptême, et nous faisons partie de la famille des Saints – nos “grands frères”, nos proches, nos amis. Nous pouvons ressentir leur présence, la prière de cette « foule immense » dont parlait l’Apocalypse [première lecture]. Comme le dit la messe de ce jour, « dans leur vie tu nous procures un modèle, et dans la communion avec eux, une famille » [Préface des Saints]. Levons les yeux vers nos frères les Saints, vivons l’Espérance ; et soyons nous-mêmes des Saints, pour que l’Amour de Dieu rayonne dans le monde.
28ème dimanche du temps ordinaire
Rendre grâce
« Ta foi t’a sauvé », dit Jésus au lépreux qu’Il a guéri. La foi de cet homme est grande, car il ne fait pas que demander à Dieu : il vient remercier pour sa guérison. Le plus important, pour lui, ce n’est pas d’obtenir des faveurs, c’est d’avoir une relation personnelle avec le Seigneur. C’est pour cela qu’il revient, qu’il remercie, qu’il « glorifie Dieu à pleine voix ». Si l’homme ne se tourne vers son Dieu que lorsqu’il a quelque chose à demander, il n’est pas encore parvenu à la foi : Dieu n’est qu’un “Père Noël” auquel on fait la liste de ses demandes. La foi, c’est dialoguer, écouter, rendre grâce : en un mot, aimer le Seigneur. Jésus avait dit aux dix lépreux d’« aller voir les prêtres » pour constater leur guérison. Les neuf autres ont obéi, mais le dixième, poussé par son amour et sa joie, a désobéi pour rendre grâce : c’est lui qui a la foi !
À travers l’exemple de ce Samaritain qui rend gloire à Dieu, le Seigneur nous ramène à l’essentiel de notre foi : elle est fondée sur une action de grâce. Rendre grâce, c’est d’abord « rendre » : c’est-à-dire faire retourner vers le Seigneur ce que nous avons reçu. Il est essentiel de savoir remercier : c’est le fondement de la foi, c’est aussi le fondement de toute prière. Remercier, c’est reconnaître que nous ne sommes pas la source des biens qui nous entourent, et encore moins la source de notre propre vie ! L’une des premières choses qu’on apprend aux enfants, c’est dire merci : parce que nous naissons dans un monde qui est le fruit d’une histoire, d’un héritage, d’un travail assidu de nos aïeux. Il faut rappeler aux plus jeunes ce qu’ils doivent aux aînés : avoir une maison chauffée, avoir des équipements sophistiqués, vivre dans la paix… Croit-on que tout cela soit tombé du ciel ? Oui, nous devons sans cesse méditer, comme dit la Bible, sur « ce que nous avons récolté sans l’avoir semé » [Josué 24,13] : et nous serons dans la gratitude et dans la joie.
Dans la vie chrétienne, l’action de grâce est double : notre prière, comme la liturgie, est dirigée vers deux raisons de remercier le Seigneur. D’abord, pour la Création ; et ensuite, pour le Salut, la Rédemption. C’est par le Christ que tout a été créé ; et c’est encore par le Christ que tout est re-créé, c’est-à-dire sauvé, renouvelé et délivré [cf. Col 1,16-20]. Notre vie est un don extraordinaire, et la nature qui nous entoure est merveilleuse ; mais l’homme s’est quand même détourné de son Dieu, alors Il a envoyé son Fils pour rétablir la Création, pour nous rendre la vie et la paix.
Dans la Bible, nous recevons cette même attitude de la première Alliance : le patrimoine spirituel de nos « pères dans la foi », les Juifs, consiste déjà à rendre grâce au Seigneur de la même manière. Eux aussi remercient le Dieu tout-puissant pour la Création ; et plus encore, ils rendent grâce pour la libération d’Égypte, la Pâque, qui est au centre de toute l’histoire d’Israël. Les psaumes, les prophètes, ne cessent de rappeler cet événement où la puissance de Dieu s’est montrée aux hommes. Et cette puissance dépasse même le peuple d’Israël, comme nous l’avons vu dans l’épisode de Naaman [première lecture], cet étranger qui était lépreux et qui a été touché par Dieu. Ce général, ce guerrier, a beau être païen, adorer les idoles, il sait remercier le Seigneur pour sa guérison ! Il remercie donc le prophète Élisée, il rend grâce à Dieu, et même il se convertit : « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël ». Les dons du Seigneur traversent les frontières : même ceux qui étaient soumis aux faux dieux, aux idoles, adorent le vrai Dieu et sont sauvés du péché. La lèpre du païen Naaman n’était pas seulement celle de son corps, mais elle touchait son cœur et sa vie : désormais il a rencontré le Seigneur, et c’est Lui qu’il adorera en rendant grâce.
Pour les dix lépreux de l’Évangile, la signification est la même : ce qu’est venu apporter Jésus au monde n’est pas seulement une série de guérisons, mais la parfaite réconciliation de l’homme avec son Dieu. Le dixième lépreux a peut-être compris qu’à travers la guérison de son corps, c’était quelque chose de plus profond qui lui était arrivé : il a retrouvé le chemin de Dieu (et de la communauté humaine, puisqu’il en était séparé à cause de sa maladie). Le Seigneur lui a donné la foi, qui est le plus beau cadeau que Dieu puisse nous faire [c’était déjà le sujet de l’Évangile de dimanche dernier]. Et c’est pour cela qu’il rend grâce, qu’il remercie avec tant de ferveur.
L’attitude de cet homme nous invite donc à rendre grâce en tout temps, même lorsque nous traversons des épreuves. Dieu nous crée, Dieu nous sauve, le Fils de Dieu partage notre existence, nos difficultés et nos souffrances, jusqu’à notre mort : avec Lui, apprenons à dire merci : à faire de notre vie une offrande, une action de grâce, une louange au Seigneur.
27ème dimanche du temps ordinaire
Le juste vivra par sa foi
À l’origine du passage d’Évangile que nous venons d’entendre, il y a ce cri des Apôtres de Jésus : « Augmente en nous la foi ! » Nous ne savons pas pourquoi ils font cette prière ; peut-être, d’après saint Luc, parce que juste avant [Luc 17,4], Jésus leur avait commandé de pardonner « sept fois chaque jour »… et qu’ils se sentaient bien incapables de répondre à ce précepte ? En tout cas, c’est une belle prière, que nous devrions refaire souvent : « Seigneur, augmente notre foi ». Cela dit, cette demande peut paraître un peu incongrue. La plupart de nos contemporains demanderaient plutôt au Seigneur : « Seigneur, fais ce que je te demande ! » La foi, apparemment, on l’a ou on ne l’a pas : peut-on mesurer le degré de foi ? Il y a les croyants, et il y a les non-croyants : beaucoup disent d’ailleurs : « Je suis croyant » comme si c’était quelque chose de fixe, une qualité donnée une fois pour toutes. Mais peu mesurent les implications de leur foi : prière, pratique, charité, pardon… Trop souvent, on se contente de se présenter comme croyant, et cela s’arrête là.
Cette demande des Apôtres est donc une bonne demande, une prière intelligente. Nous avons en effet besoin de plus de foi ! Pour vivre librement, pour vaincre le mal, pour pardonner, pour aimer, la foi est indispensable : elle doit toujours grandir en nous. L’exemple cité par le Seigneur est un peu étonnant : « Si vous aviez un peu de foi, vous diriez à cet arbre : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi ». Est-ce que la foi, c’est juste la puissance de faire des prodiges, de déplacer les choses à distance, comme la Force dans les films de la Guerre des étoiles ? La foi selon le Christ est tout autre chose : c’est d’abord une adhésion au projet de Dieu : c’est la joie de dire : « Notre Père », dans la confiance, au Dieu tout-puissant. Si nous demandons plus de foi, ce n’est pas pour faire des tours de magie – qui aurait l’idée de prier le Seigneur pour qu’un arbre se jette à la mer ? Mais c’est pour entrer toujours plus dans la volonté d’amour du Seigneur.
Le vrai prodige de la foi ne consiste pas à montrer des choses étonnantes, mais à manifester au monde la Miséricorde du Seigneur : par exemple, comme Il le disait juste avant, à « pardonner sept fois par jour ». La foi est ce qui nous donne tant de confiance envers Dieu, que nous pouvons aimer et pardonner comme Lui-même aime et pardonne ; parce que nous savons que son Amour est vainqueur du mal. Bien sûr, nous vivons dans un monde qui est parfois dur et impitoyable ; et ce que nous voyons dans le monde peut affaiblir notre foi. Mais c’est justement là qu’il faut crier plus fort vers le Seigneur ! Lui demander sans cesse d’augmenter notre foi : pour que la Miséricorde soit finalement victorieuse.
Dans la première lecture de ce jour, le prophète Habacuc pousse ce même cri vers le Seigneur. Le peuple d’Israël est opprimé par l’envahisseur, et Dieu semble l’abandonner à son sort : « Pourquoi me fais-tu voir le mal ? Devant moi, pillage et violence… » Lorsque le Seigneur est oublié, il ne reste que le mal et la brutalité ; et la foi du prophète semble bien ébranlée par la violence que subit son peuple. Mais le Seigneur répond par un message d’Espérance : la promesse « tend vers son accomplissement, elle viendra sans retard ». La foi consiste à discerner, même dans les événements les plus tragiques, que le Seigneur continue d’agir dans le monde ; qu’Il n’abandonne pas ses enfants, mais conduit les hommes par le bon chemin. Habacuc termine sa prophétie avec cette magnifique promesse : « Le juste vivra par sa fidélité [ou : par sa foi] ». Si le Seigneur continue d’agir même dans les épreuves, c’est parce que l’homme continue de croire et de prier. Dieu pourrait bien sûr faire tout ce qu’Il veut, mais Il s’interdit d’entrer dans un cœur qui ne L’aime pas, qui ne L’attend pas. « Le juste vivra par la fidélité » : si nous gardons une foi vivante, une foi « augmentée » par le Seigneur, alors rien ne sera impossible, et la promesse de Dieu s’accomplira, même malgré le mal qui semble dominer dans ce monde.
Enfin, la seconde parabole que Jésus nous confie, c’est celle des “serviteurs inutiles” : « Nous sommes de simples serviteurs, nous n’avons fait que notre devoir ». Le serviteur du Seigneur n’est pas quelqu’un qui revendique une récompense pour sa foi. Au contraire, nous sommes bien conscients que la foi est un cadeau magnifique, que nous n’avons rien fait pour la mériter ; et que tout ce que nous pouvons désirer, c’est qu’elle continue de grandir et de porter du fruit. En laissant la foi nous conduire, nous cherchons sans cesse comment servir le Seigneur, comment mieux aimer et servir nos frères ; comment laisser l’Esprit Saint rayonner à travers nous. Oui, Seigneur, « augmente en nous la foi », pour que notre vie ressemble de plus en plus à celle de Jésus !
26ème dimanche du temps ordinaire
Il y a urgence à se convertir
Comme la semaine dernière, l’Évangile de ce jour nous parle à nouveau de richesse et de pauvreté ! Il y a ce riche qui n’a pas tenu compte de la misère de son voisin, et qui est envoyé en enfer ; et le pauvre Lazare, qui a souffert pendant sa vie, et qui rejoint Abraham pour la vie éternelle. En écoutant justement Abraham qui parle dans la parabole, on a l’impression d’une justice un peu aveugle : ceux qui ont été heureux seront malheureux, et ceux qui ont souffert seront récompensés. « Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant, il trouve la consolation, et toi, la souffrance ». Cela semble correspondre à notre époque, où l’on parle beaucoup de “faire payer les riches”… Mais est-ce vraiment le message de l’Évangile, cette espèce de vengeance finale contre les plus prospères ?
Ce qui est étonnant, dans la parabole de saint Luc, c’est que le riche n’est pas décrit comme méchant, ni exploiteur des pauvres, tyrannique ou cruel : tout ce qu’il fait de mal, c’est qu’il est « vêtu de pourpre et de lin fin, et fait chaque jour des festins somptueux ». Il n’est pas méchant envers le pauvre Lazare : il est juste indifférent. Mais c’est justement cela la clef du récit : cet homme est indifférent aux pauvres, aux autres ; et même indifférent à Dieu. Comme on l’entend à la fin, ni lui ni sa famille « n’écoutent Moïse et les prophètes ». S’il est condamné au feu éternel, c’est à cause de son indifférence.
Est-il indifférent parce qu’il est riche ? Nous ne connaissons pas l’intérieur de cet homme. Mais il est vrai que c’est souvent une conséquence de l’abondance, de renfermer le cœur des hommes sur lui-même. Les sociétés prospères matériellement sont en même temps les plus matérialistes, les plus égoïstes, et surtout les plus athées ! Quand on est dans la misère, on n’oublie pas le Seigneur car on sait qu’on dépend de Lui ; mais la richesse fait croire qu’on se suffit à soi-même, et elle éloigne de la recherche de Dieu : elle rend indifférent à Dieu et aux hommes.
Le plus dangereux lorsque l’on s’enferme sur ses biens matériels, c’est qu’on oublie l’enjeu de notre vie sur terre. Or quel est l’enjeu, quel est le défi de notre vie ? Tout simplement, la vie éternelle. C’est ce que nous montre la parabole de Jésus, qui est très claire et très imagée sur l’enfer et le paradis ! Le riche est en proie aux « tortures », il « souffre dans la fournaise », tandis que Lazare est dans la paix, auprès d’Abraham, le père des croyants. Tout cela devrait nous concerner, nous faire réfléchir, nous convertir en profondeur ; mais trop souvent, les petits plaisirs quotidiens l’emportent sur l’enjeu de la vie éternelle et du jugement.
C’est avec les mêmes paroles, sans aucune compromission, que le prophète Amos (que nous avions déjà entendu dimanche dernier) appelle à la conversion ceux qu’il appelle la « bande des vautrés » [première lecture]. Le prophète dénonce avec force les injustices, les riches qui se « vautrent » et profitent de leur confort, alors que l’enjeu est immense ! Nous sommes vers l’année 750 av. J.-C., et le royaume d’Israël touche à sa fin : l’envahissement aura lieu trente ans plus tard [721 : prise de Samarie]. Et malgré cette proximité, rien ne change : « ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! » Amos rappelle l’urgence de la situation : changez de vie, convertissez-vous, car tout va changer, tout va être détruit. Mais les hommes préfèrent leur petit confort et refusent d’écouter l’annonce de la catastrophe : « Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles, qui se croient en sécurité »…
Alors quelle est notre attitude de chrétiens ? Il ne s’agit pas de faire quelques gestes de générosité pour nous tranquilliser : il s’agit de vivre dans ce monde en étant ouverts à la Parole de Dieu (en écoutant « Moïse et les prophètes »), en étant en dialogue avec le Seigneur ; en priant, en laissant entrer dans notre vie la Grâce de Dieu qui rayonne par une générosité plus grande. Car les choses de ce monde [comme le disait déjà Jésus dimanche dernier] sont en train de passer, et il ne restera bientôt que l’Amour et la foi pour nous éclairer ; nous devons ouvrir les yeux sur le véritable enjeu de notre vie, qui est l’appel à l’Éternité.
Finalement, méditons la dernière parole d’Abraham dans la parabole : « S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus ». Si l’on se ferme à la voix du Seigneur, on se ferme en même temps aux signes qu’Il nous envoie chaque jour par nos frères. L’ouverture du cœur à Dieu nous permet de nous ouvrir aux autres, tout comme on ne peut pas séparer l’Amour de Dieu et l’amour du prochain. Nous avons Moïse et les prophètes, et même l’Évangile : écoutons-les !
25ème dimanche du temps ordinaire
Utiliser les biens du monde
En ce moment de prière dominicale, nous entendons parler d’argent, et cela peut nous surprendre ! Car nous ne venons pas à la messe pour parler d’argent, mais pour écouter la Parole de Dieu ; et même d’une certaine manière, pour essayer de nous élever un peu au-dessus de nos préoccupations quotidiennes. Faut-il vraiment revenir à des sujets si matériels, entendre des histoires de dettes, de créanciers, de sacs de blé et de barils d’huile ? Cependant, le Seigneur nous a créés dans un monde qui n’est pas le monde des anges, et nous ne flottons pas sur les nuages… Nous sommes bien ancrés dans une vie matérielle ; et si nous avons les pieds sur terre, nous voyons bien que la question des biens de ce monde n’est pas indifférente.
La vie des hommes est faite de choses matérielles, de soucis très concrets. Jésus, en nous parlant des biens et de l’argent, nous rappelle qui nous sommes : des enfants de Dieu, mais aussi des enfants des hommes avec un corps bien réel. Avec un peu d’expérience, on se rend compte qu’il peut y avoir des conflits dans notre vie : entre les soucis du monde d’un côté, et le désir de Dieu de l’autre. Il est légitime qu’on cherche à « vivre bien » (matériellement), ce qui signifie avoir des biens, posséder, jouir de la vie, prévoir l’avenir ; mais cela peut aussi déboucher sur l’égoïsme, le matérialisme, l’indifférence. Il est facile de gérer notre vie “comme si Dieu n’existait pas” ; c’est-à-dire faire des choix guidés par l’intérêt personnel. Beaucoup de nos contemporains agissent ainsi, et comme leur cœur est insatisfait, ils rajoutent une “couche de spiritualité” à la mode d’aujourd’hui : méditation, magnétisme, psychologies en tout genre. Mais au fond, on reste matérialiste.
À l’inverse, on peut faire semblant de ne pas se préoccuper de l’argent, se croire déjà au Ciel, penser que Dieu va travailler à ma place ! Mais l’imprévoyance, la paresse, l’insouciance, ne sont pas non plus des qualités chrétiennes. L’attitude évangélique, si nous voulons être fidèles à la parole du Christ, est différente. Nous partageons la nature humaine avec ses exigences ; et Jésus, le Fils de Dieu, a voulu se faire homme au milieu de nous. Ce qui veut dire que la dimension humaine, incarnée, est d’une immense importance pour Dieu. Mais aussi, le Seigneur nous appelle à la Vie éternelle : les préoccupations du monde sont relatives, le monde n’a pas sa fin en lui-même, et nous avons à lever les yeux vers l’Éternité.
Depuis l’Ancien Testament, les prophètes appellent à se tourner vers Dieu, et ils affirment que cette conversion ne peut se faire sans un changement d’attitude face aux biens matériels : c’est ce que nous disait le prophète Amos [première lecture], en blâmant ceux qui se servent de leurs richesses pour opprimer les plus pauvres : « Écoutez, vous qui écrasez le malheureux : je n’oublierai pas vos méfaits ! » L’argent peut être utilisé pour faire le mal ; et Dieu ne supporte pas l’injustice.
Dans l’Évangile, Jésus nous propose une parabole un peu étrange, celle d’un intendant (un gérant) qui triche pour se faire des amis. Cela ressemble à un éloge de la malhonnêteté et de l’escroquerie… Mais en fait, c’est l’astuce de cet homme qui est mise en avant. L’intendant utilise les biens dont il dispose pour un temps très court (avant que son maître ne le renvoie), pour assurer son avenir. Si le Seigneur nous cite cet homme en exemple, c’est pour que nous ayons la même attitude : nous avons notre vie terrestre et ses biens matériels, pour un temps très court (par rapport à l’infini) ! et nous avons à utiliser tout cela pour assurer notre avenir éternel. Les richesses de ce monde, comme le dit Jésus, sont de petites choses qui orientent vers l’Éternité : « Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande ».
Alors quelle est l’attitude chrétienne face aux richesses ? L’argent n’est pas quelque chose de mauvais ni d’impur : si Jésus le qualifie de « malhonnête », c’est que nous avons tendance à mettre notre espoir dans les biens matériels, en espérant qu’ils nous donneront la vie et le bonheur. L’argent n’est ni bon ni mauvais, mais il n’est pas Dieu : il doit être utilisé pour le bien, pour un Bien plus grand, celui de l’Amour et de la Vie éternelle.
Notre vie n’est pas coupée en deux, entre le “Dieu bon” d’un côté, et “l’argent mauvais” de l’autre : toutes les dimensions de l’existence peuvent servir à s’orienter vers le Seigneur dans la paix. Jésus nous apprend à tout unifier, à faire de nos soucis matériels un chemin vers Dieu. Le pape Léon XIV affirmait récemment aux élus du diocèse de Créteil qu’« il n’y a pas de séparation : d’un côté l’homme politique, de l’autre le chrétien. Chacun vit sous le regard de Dieu, ses engagements et ses responsabilités ». À nous d’unifier notre vie, pour que tout – même l’argent – soit au service du Seigneur !
23ème dimanche du temps ordinaire
La Sagesse illumine notre vie
« Les invités choisissaient les premières places », nous dit l’Évangile à propos de ce repas du pharisien où Jésus est invité. C’est plutôt un manque d’éducation, que de se mettre toujours à la première place. Nous connaissons sans doute des personnes qui passent leur temps à se mettre au premier rang, à parler d’eux-mêmes, à faire tourner le monde autour d’eux… C’est souvent assez ennuyeux pour les autres ! Les psychologues disent que cela correspond à un manque d’estime de soi-même : on n’est pas très sûr de soi, ni de ses propres capacités, alors pour compenser, on occupe toute la place et on déprécie les autres. C’est peut-être pour cela que les invités du pharisien se comportent ainsi ; mais de manière plus profonde, on doit se demander pourquoi nous avons souvent cette tendance à nous mettre au premier plan ; pourquoi on aime que les gens parlent de nous, disent du bien de nous ; pourquoi on aime être flatté, complimenté. C’est une question profonde, car il s’agit du sens de notre vie. Est-ce que notre bonheur vient de la place que nous avons parmi les autres ? De l’estime en laquelle nous tiennent nos proches ? De notre éventuelle célébrité ? Ou bien y a-t-il plus que cela ?
C’est une réflexion qui touche notre vie et tout ce que nous faisons. Quand nous agissons, quand nous travaillons, nous pouvons faire un choix : soit la recherche de soi-même par nos actions (c’est-à-dire se mettre en avant) ; soit le service (c’est-à-dire chercher à donner à travers ce que nous faisons). Ce n’est pas d’abord une question de politesse, comme Jésus a l’air de le dire lors de ce repas : c’est une question de signification, du sens que nous voulons donner à notre vie. Alors, orgueil ou service ?
Nous avons entendu un passage de l’Ancien Testament [première lecture] qui aborde ce sujet, en parlant de puissance et d’orgueil. Dans le contexte biblique de cette époque (à peu près deux siècles avant Jésus), on pense aux rois de l’Antiquité, qui sont puissants et redoutés. Ils cherchent à augmenter leur puissance ; certains sont impitoyables, tyranniques. Les rois sont au-dessus du peuple, ils sont servis et adorés. Mais le Sage de la Bible leur rappelle que la vraie puissance est celle du Seigneur ; et que les rois vraiment grands [comme David, Salomon] ont été ceux qui ont reçu leur puissance de Dieu. Être puissant n’est pas un but, et c’est souvent une illusion. Il faudra attendre la venue de l’Évangile, pour que peu à peu les rois chrétiens comprennent que le pouvoir est d’abord un service, pour le bien et pour la paix du peuple. D’ailleurs, nous utilisons de nos jours le terme ministre pour les hommes de pouvoir [question qui redevient actuelle depuis quelques jours], et nous oublions parfois que ce mot signifie serviteur !
Ce qui fait la véritable grandeur d’une personne, dans sa manière de vivre et de travailler, ce n’est donc pas la place qu’elle occupe à table : c’est le service qu’elle accomplit, à l’exemple du Christ Lui-même qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » [Mt 20,28]. Ce qui est en jeu, c’est le sens de notre vie. Si nous sommes dans la position du serviteur, notre vie tout entière devient une offrande d’amour. C’est pour cela qu’en ce début d’année, nous demandons au Seigneur qu’Il bénisse notre travail et toute notre activité [à travers la bénédiction des instruments de travail]. Invoquer la bénédiction du Seigneur pour le travail, c’est bien sûr Lui demander que nos activités soient efficaces, positives, et qu’elles nous permettent (pour les adultes) de gagner notre vie ; et pour les jeunes, que le travail les fasse grandir en sagesse. Mais la bénédiction est aussi, plus profondément, une consécration de notre activité et de toute notre personne : afin que le travail ne vise pas seulement l’efficacité, mais aussi et surtout, qu’il soit chemin de sainteté et de service. Ce qui restera de notre travail, ce ne sont pas les honneurs que nous aurons obtenus : c’est la consécration donnée par le Seigneur. Le pain et le vin de l’Eucharistie, qui représentent notre activité, sont consacrés et deviennent ainsi les signes réels de la Grâce de Dieu.
Il est certain que le vrai service ne fait pas beaucoup de bruit : chercher la célébrité et la renommée n’est pas un chemin de service. Dans la Lettre aux Hébreux [deuxième lecture], nous entendions que la réalité de l’Alliance du Seigneur ne se composait pas d’« ouragan et de son de trompettes », mais qu’elle était l’« assemblée des anges, des premiers-nés, la Jérusalem céleste ». Chaque dimanche par la Messe, nous entrons dans la Cité sainte, nous sommes sanctifiés, rendus justes ; notre travail, notre service de la semaine est béni, sanctifié, consacré. Soyons des « serviteurs bons et fidèles » [Mt 25,23], et le Seigneur Lui-même nous mettra à la première place !
Si nous sommes présents ce dimanche dans cette église, c’est pour être de plus en plus disciples de Jésus. Nous avons reconnu en Lui le Sauveur, nous savons qu’Il est le modèle de notre vie, l’envoyé du Père, le Fils de Dieu, celui qui nous délivre de la mort. Être disciples du Christ, c’est recevoir la dignité de baptisés ; c’est aussi une décision, un choix de chaque jour. On ne peut pas “s’installer” en se disant chrétien, comme si cela faisait partie de notre identité pour toujours : se mettre à la suite du Christ, c’est L’écouter sans cesse, et Le laisser changer notre vie. Il vient de nous le dire : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer… s’il ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite, il ne peut pas être mon disciple ». Accueillir le Seigneur comme notre Dieu et notre Sauveur, c’est la joie parfaite ; mais c’est en même temps une exigence de chaque jour. Pour être sanctifié par Celui qui est Saint, il faut Le connaître et L’aimer plus que tout – et même davantage, dit-il, que nos parents et notre famille ! Son Amour est la source de tout amour : on n’aime pas vraiment tant qu’on n’a pas appris à aimer comme Lui ; on ne vit pas vraiment sans imiter Jésus et vivre comme Lui.
Chaque jour, nous avons donc à refaire le choix d’être disciples du Christ. Mais dans ce passage de l’Évangile selon saint Luc, Jésus nous parle aussi d’autres choix à faire dans notre vie : les décisions raisonnables qui nous rendent libres, jour après jour. À travers les deux exemples de la construction d’une tour et de la conduite d’une guerre, il s’agit d’apprendre la prévoyance ; envisager l’avenir, réfléchir sur les événements qui vont arriver, anticiper en fonction de nos capacités et des situations prévues. Nous ne sommes pas le jouet aveugle des circonstances : nous sommes libres à l’image de Dieu, et nous sommes aussi responsables des conséquences de nos décisions. Tout n’est pas possible dans notre vie ; on ne peut pas faire ce qu’on veut, en pensant que tout finira bien comme dans les films… Pour les enfants, c’est l’un des buts de leur éducation : leur apprendre à être libres, à réfléchir pour devenir responsables de leurs choix.
L’Évangile nous parle donc d’une Sagesse qui est en même temps divine et humaine. Elle est la Sagesse de Dieu ; et Jésus, le Fils de Dieu, porte cette Sagesse dans sa nature humaine. Elle nous permet de vivre dans ce monde sous le regard de Dieu, en sachant d’où nous venons et où nous allons. C’est l’objet de la première lecture de ce dimanche [Livre de la Sagesse], ce passage magnifique où l’homme reconnaît en même temps sa petitesse, et la participation à la Sagesse de Dieu. C’est en vivant de cette Sagesse, que nous pouvons devenir de plus en plus disciples du Christ et prendre les bonnes décisions.
Le passage que nous avons entendu parle donc de notre faiblesse, de notre instabilité et de la difficulté à comprendre les choses. « Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre ; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? » La science nous permet, avec beaucoup d’efforts, de déchiffrer les lois de la Création ; nous y lisons la présence de Dieu, mais nous ne pouvons pas encore connaître Dieu. C’est Lui qui « donne la Sagesse et envoie d’en haut l’Esprit Saint ». Avec cette force donnée par Dieu, peu à peu nous apprenons comment diriger notre vie ; nous savons distinguer le bien du mal, et nous savons comment faire grandir en nous l’image de Dieu. La Sagesse de Dieu nous enseigne les chemins à prendre pour grandir en vérité et en sainteté.
Or nous vivons une époque où cette Sagesse devient vraiment indispensable ; car les générations qui se lèvent ne reçoivent plus beaucoup de la sagesse transmise par les anciens. Beaucoup grandissent dans l’absence de repères humains et spirituels : le sens de la vie, le sens de l’amour et de l’engagement ; le sens de la dignité de la vie humaine [on l’a vu avec cette triste affaire du pauvre homme qui est mort en direct sur Internet] ; le sens de l’effort, du respect, de la patience ; et même la dimension spirituelle de chacun, tout cela semble avoir disparu de la perspective commune.
Il est donc nécessaire de transmettre à nouveau une sagesse qui est humaine, mais qui vient du Seigneur, puisqu’Il nous a créés, qu’Il nous connaît et nous aime. « C’est ainsi que les sentiers des hommes sont devenus droits ; et par la Sagesse, ont été sauvés ». En particulier, en ce début d’année, retrouvons le sens du travail, sa beauté et sa signification ! En bénissant les cartables et les instruments de travail, nous apprenons que le travail accomplit l’Œuvre de Dieu, qu’il nous épanouit, qu’il est un chemin de solidarité et de sainteté. Jour après jour, recevons la Sagesse de l’Évangile, choisissons d’être disciples de Jésus, et apprenons à Le suivre, à L’imiter, dans chacune de nos décisions.
22ème dimanche du temps ordinaire
Le service et l'offrande
« Les invités choisissaient les premières places », nous dit l’Évangile à propos de ce repas du pharisien où Jésus est invité. C’est plutôt un manque d’éducation, que de se mettre toujours à la première place. Nous connaissons sans doute des personnes qui passent leur temps à se mettre au premier rang, à parler d’eux-mêmes, à faire tourner le monde autour d’eux… C’est souvent assez ennuyeux pour les autres ! Les psychologues disent que cela correspond à un manque d’estime de soi-même : on n’est pas très sûr de soi, ni de ses propres capacités, alors pour compenser, on occupe toute la place et on déprécie les autres. C’est peut-être pour cela que les invités du pharisien se comportent ainsi ; mais de manière plus profonde, on doit se demander pourquoi nous avons souvent cette tendance à nous mettre au premier plan ; pourquoi on aime que les gens parlent de nous, disent du bien de nous ; pourquoi on aime être flatté, complimenté. C’est une question profonde, car il s’agit du sens de notre vie. Est-ce que notre bonheur vient de la place que nous avons parmi les autres ? De l’estime en laquelle nous tiennent nos proches ? De notre éventuelle célébrité ? Ou bien y a-t-il plus que cela ?
C’est une réflexion qui touche notre vie et tout ce que nous faisons. Quand nous agissons, quand nous travaillons, nous pouvons faire un choix : soit la recherche de soi-même par nos actions (c’est-à-dire se mettre en avant) ; soit le service (c’est-à-dire chercher à donner à travers ce que nous faisons). Ce n’est pas d’abord une question de politesse, comme Jésus a l’air de le dire lors de ce repas : c’est une question de signification, du sens que nous voulons donner à notre vie. Alors, orgueil ou service ?
Nous avons entendu un passage de l’Ancien Testament [première lecture] qui aborde ce sujet, en parlant de puissance et d’orgueil. Dans le contexte biblique de cette époque (à peu près deux siècles avant Jésus), on pense aux rois de l’Antiquité, qui sont puissants et redoutés. Ils cherchent à augmenter leur puissance ; certains sont impitoyables, tyranniques. Les rois sont au-dessus du peuple, ils sont servis et adorés. Mais le Sage de la Bible leur rappelle que la vraie puissance est celle du Seigneur ; et que les rois vraiment grands [comme David, Salomon] ont été ceux qui ont reçu leur puissance de Dieu. Être puissant n’est pas un but, et c’est souvent une illusion. Il faudra attendre la venue de l’Évangile, pour que peu à peu les rois chrétiens comprennent que le pouvoir est d’abord un service, pour le bien et pour la paix du peuple. D’ailleurs, nous utilisons de nos jours le terme ministre pour les hommes de pouvoir [question qui redevient actuelle depuis quelques jours], et nous oublions parfois que ce mot signifie serviteur !
Ce qui fait la véritable grandeur d’une personne, dans sa manière de vivre et de travailler, ce n’est donc pas la place qu’elle occupe à table : c’est le service qu’elle accomplit, à l’exemple du Christ Lui-même qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » [Mt 20,28]. Ce qui est en jeu, c’est le sens de notre vie. Si nous sommes dans la position du serviteur, notre vie tout entière devient une offrande d’amour. C’est pour cela qu’en ce début d’année, nous demandons au Seigneur qu’Il bénisse notre travail et toute notre activité [à travers la bénédiction des instruments de travail]. Invoquer la bénédiction du Seigneur pour le travail, c’est bien sûr Lui demander que nos activités soient efficaces, positives, et qu’elles nous permettent (pour les adultes) de gagner notre vie ; et pour les jeunes, que le travail les fasse grandir en sagesse. Mais la bénédiction est aussi, plus profondément, une consécration de notre activité et de toute notre personne : afin que le travail ne vise pas seulement l’efficacité, mais aussi et surtout, qu’il soit chemin de sainteté et de service. Ce qui restera de notre travail, ce ne sont pas les honneurs que nous aurons obtenus : c’est la consécration donnée par le Seigneur. Le pain et le vin de l’Eucharistie, qui représentent notre activité, sont consacrés et deviennent ainsi les signes réels de la Grâce de Dieu.
Il est certain que le vrai service ne fait pas beaucoup de bruit : chercher la célébrité et la renommée n’est pas un chemin de service. Dans la Lettre aux Hébreux [deuxième lecture], nous entendions que la réalité de l’Alliance du Seigneur ne se composait pas d’« ouragan et de son de trompettes », mais qu’elle était l’« assemblée des anges, des premiers-nés, la Jérusalem céleste ». Chaque dimanche par la Messe, nous entrons dans la Cité sainte, nous sommes sanctifiés, rendus justes ; notre travail, notre service de la semaine est béni, sanctifié, consacré. Soyons des « serviteurs bons et fidèles » [Mt 25,23], et le Seigneur Lui-même nous mettra à la première place !
21ème dimanche du temps ordinaire
Le chemin du salut
Jésus est exigeant. Lorsqu’Il parle du Royaume de Dieu, lorsqu’Il parle de son Père, Il dirige notre regard toujours plus haut. Être son disciple n’est pas quelque chose qu’on fait en dilettante ou en touriste : c’est un choix qui engage toute notre vie. Certains sont émerveillés – à juste titre ! – par la Miséricorde dont Il fait preuve, par ses paroles et ses actions. Mais cette Miséricorde demande une réponse de notre part ; si nous voulons juste “rajouter un peu de spiritualité” à notre vie tout en restant dans notre petit confort matériel, alors en effet, le Seigneur nous semblera bien exigeant dans ses paroles. Il y a même des épisodes dans l’Évangile où des disciples Le quittent parce qu’ils Le trouvent trop radical ! [p.ex. Jn 6,66] C’est peut-être pour cela que nous entendons aujourd’hui cette curieuse question : « N’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Effectivement, cet Évangile parfois intransigeant est-il réservé à une “élite” de croyants ?
Comme souvent, la question est mal posée. Si nous demandons les statistiques des entrées au Paradis (la liste des “gentils” et des “méchants” !), bien sûr nous serons déçus. Il ne s’agit pas de connaître le nombre des sauvés comme un sujet sociologique, mais il s’agit de se tourner chacun vers son propre cœur en se demandant : « Et moi ? Quel est mon chemin de salut, et quel est mon témoignage face à l’Évangile ? ». Où en sommes-nous sur cette route qui conduit au Royaume de Dieu ? On peut avoir l’impression que tout va bien et que le Seigneur nous aime, parce qu’on a une vie tranquille. On peut aussi traverser des épreuves, et se dire que nous sommes perdus, que le Seigneur ne nous aime pas et nous abandonne…
C’est le sujet de la lecture de la Lettre aux Hébreux [deuxième lecture], qui parlait des leçons du Seigneur : « Ne néglige pas les leçons, les reproches du Seigneur… Quand le Seigneur aime quelqu’un, il corrige tous ceux qu’il accueille comme ses fils […] La leçon produit un fruit de paix et de justice ». En réalité, nous ne savons pas quel regard le Seigneur pose sur nous, sinon un regard d’Amour ! Les épreuves peuvent venir de Dieu qui purifie ainsi notre cœur. Si l’homme est dans la prospérité, ce n’est pas toujours une récompense ni un signe de faveur ; et s’il est dans la souffrance, cela peut être aussi un chemin de salut, car l’épreuve rend proche de Jésus. La semaine dernière, dans le même chapitre de la Lettre aux Hébreux, nous entendions que Jésus « avait enduré la croix et la honte de ce supplice » : le Christ Lui-même a fait de sa croix un chemin de Résurrection et de salut (alors que tout le monde pensait qu’Il était condamné). Nous ne pouvons pas savoir qui sera sauvé, et nous ne savons même pas où nous en sommes nous-mêmes ! L’important est d’aimer sans chercher une récompense ou des signes : aimer de manière désintéressée.
Loin de tout calcul ou estimation, nous avons une certitude de foi, qui nous est donnée par la conclusion du Seigneur dans ce passage : « On viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu ». Cette certitude, c’est que tous les hommes sont appelés, invités, conviés au Royaume de Dieu. Le Seigneur est venu parmi nous, Il a pris notre nature humaine, pour que toute personne humaine soit renouvelée et sauvée à son image.
Mais Il ajoute aussi une autre parole qui nous surprend : « Entrez par la porte étroite, car beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas ». Cela ne signifie pas, bien sûr, que le Seigneur soit mesquin ou avare dans son appel. Mais cela veut dire que nous sommes responsables de notre réponse à son appel. Rien n’est automatique sur le chemin du salut : la porte du Royaume n’est pas une porte coulissante à l’entrée d’un grand magasin. Si le Seigneur nous appelle avec générosité, que faisons-nous pour répondre, pour être dignes de son appel, pour aimer Dieu et nos frères comme Lui-même nous a aimés le premier ? [1Jn 4,10] Le Seigneur ne nous demande pas de faire des bonnes actions pour obtenir une récompense finale (« Nous avons mangé et bu en ta présence… »), mais de nous disposer sincèrement à L’accueillir, à Le laisser changer notre vie. La « porte étroite » dont Il parle est celle du Royaume, mais elle est surtout celle de notre cœur : si elle est trop étroite pour laisser passer l’Esprit Saint, alors notre chemin de salut n’ira pas très loin !
Enfin, nous avons entendu la parole finale : « Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi ». Réponse dure ! Si le Seigneur dit qu’Il ne connaît pas ces gens, c’est surtout qu’eux-mêmes ne Le connaissent pas. La vraie question ne regarde donc pas le “nombre des sauvés”, mais notre foi, notre connaissance et notre amour. Connaissons-nous vraiment le Seigneur, d’une connaissance vivante et active ? Que cette Messe soit pour nous une rencontre, une prière, un chemin de salut.
20ème dimanche du temps ordinaire
Risquer la division, pour que vienne la paix
« Je suis venu apporter un feu sur la terre », dit Jésus. Les paroles que nous venons d’entendre sont effectivement pleines de feu, elles ne nous laissent pas indifférents, elles nous réveillent ! Si nous considérons parfois le Christ comme quelqu’un de sympathique, débonnaire, qui accueille tout le monde gentiment, nous voyons ici un autre aspect de sa mission. Jésus est venu nous appeler à la conversion, nous libérer de la mort et du péché : et pour prendre la décision de rejeter le péché, il faut savoir où il se situe. Le feu de Jésus, c’est celui de l’Amour, bien sûr, mais ce feu éclaire, révèle les ténèbres de nos cœurs ; et ce feu brûle aussi nos égoïsmes et nos orgueils. L’Évangile n’est pas un message romantique : pour l’accueillir, il faut nous laisser consumer par le feu de la Miséricorde.
La suite des paroles du Christ continue à nous appeler à la conversion. Et bien sûr, nous avons relevé le paradoxe de ce message. Jésus est le Prince de la Paix, Il est le Messie qui apporte la paix de Dieu : nous entendons à la messe les paroles bien connues : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ». Et pourtant, Il semble maintenant nous annoncer l’opposé : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division ». Comment le Messie de paix peut-Il apporter la division ?
En réalité, tout dépend de ce qu’on entend quand on parle de paix. Est-ce que toute situation “calme” peut être qualifiée de paix ? Quand un agresseur a massacré tous ses adversaires, il y a une certaine paix… mais est-ce ce type de paix que le Christ est venu nous apporter ? Il y a des paix qui sont injustes, quand on s’installe dans une situation mauvaise ; quand il n’y a pas de conflit apparent, mais que la dignité humaine n’est pas respectée. Le pape saint Jean-Paul II appelait cela une « structure de péché » : lorsque l’injustice est tellement ancrée, qu’elle finit par être admise par tous, et faire partie de la communauté humaine. Plus personne n’ose en parler, et pourtant le mal est bien présent : et il n’y a plus de réaction pour lutter contre le péché.
La mission des chrétiens est de porter la Miséricorde et la Vérité, et les deux vont ensemble. Si l’Église, si les chrétiens, se taisent face au mal ; s’ils s’habituent aux structures de péché ; alors le mal finira par l’emporter. Nous sommes tous confrontés à certaines situations injustes ou mauvaises [parfois même dans nos familles, comme le dit Jésus], face auxquelles nous ne savons pas comment réagir : faut-il parler et risquer un conflit ? Ou bien vaut-il mieux se taire et rester dans l’injustice ? De même, à l’échelle du monde, il y a tant d’injustices qui frappent les pays et les hommes : nous avons porté cela dans notre prière du jour de l’Assomption, en mentionnant les guerres, et aussi les menaces contre les personnes fragiles, au début et à la fin de la vie humaine. Face à ces situations et ces dangers, si les chrétiens se taisent, qui défendra l’homme face au mal ?
C’est en ce sens qu’il faut entendre la « division » dont parle Jésus. Il n’est pas venu apporter un nouveau conflit dans un monde en paix, mais Il est venu révéler les divisions qui sont déjà à l’œuvre dans le cœur des hommes. La division est presque quelque chose de naturel, qui advient lorsque le mal est actif, et que des prophètes se lèvent pour le dénoncer. Nous avons entendu le prophète Jérémie [première lecture], qui annonce la Parole de Dieu au peuple de Jérusalem. C’est une parole dure, mais vraie ! Or Jérémie est accusé de diviser, de « chercher le malheur du peuple », car les hommes préfèrent suivre leur propre projet que d’écouter la parole prophétique.
Portés par la Parole de Dieu, nous savons que le Seigneur est vainqueur du mal : dénoncer le mal, c’est en même temps laisser la place à la force de Résurrection qui agit dans nos cœurs. Jean-Paul II, lui aussi, a porté la parole de Résurrection. Face à la dictature communiste dans son pays, la Pologne, il n’a pas fait silence, il a annoncé l’Évangile. On l’a accusé de ne pas être assez diplomate : il a apporté une certaine division ! Mais il fallait cette parole prophétique pour rappeler aux hommes leur dignité, leur liberté d’enfants de Dieu. Et les « structures de péché » se sont finalement effondrées !
Le Seigneur est bien venu nous donner la paix, mais il s’agit de sa paix : celle qui vient de la réconciliation de l’homme avec Dieu, dont la source est la mort et la Résurrection du Christ. Hors de cette paix, tant que l’homme se sépare de son Dieu, il y aura toujours des « divisions » dans le monde ! Soyons témoins de cette vraie paix, qui naît dans la prière et se transmet dans la charité : le monde a besoin de recevoir enfin la paix du Christ.
Assomption de Dame
Les pauvres sont appelés à la Gloire
Nous avons la chance de nous retrouver en cette fête de l’Assomption de Marie, qui n’est ni un samedi ni un dimanche : le 15 août est un jour férié en France, et c’est une joie de vivre ensemble ce moment de communion (même pour ceux qui ne sont pas croyants) ! Bien sûr, nous connaissons l’Histoire de France : si ce jour est un jour de fête en France, c’est grâce au fameux Vœu de Louis XIII, en 1638, qui place le royaume sous la protection particulière de la Vierge Marie en son Assomption. Cet événement a un rapport avec la naissance de Louis XIV, la même année, qui assure l’avenir et la stabilité du pays. Ce vœu, cette promesse, ont donc une signification importante pour nous, et nous devons rendre grâce de ce qu’après plus de deux siècles, et au travers de multiples événements historiques, cette date soit restée un jour de fête ; et même, d’une certaine manière, une “fête nationale” que l’Église nous propose pour cultiver notre héritage de foi.
Être placés sous la protection de la Vierge Marie, ce n’est pas un “privilège” de la France et des Français, au sens où rien de désagréable ne pourrait nous arriver ! C’est plutôt une mission que le Seigneur nous confie parmi toutes les nations, et qui est accompagnée par la prière de Marie au Ciel. Afin de mieux la vivre, chaque année, nos évêques nous proposent une Prière Universelle pour cette messe. Nous allons l’entendre dans un instant : elle nous parle surtout de la défense de la vie humaine, qui est menacée à plusieurs niveaux. Notre mission, comme enfants de la Vierge Marie, c’est de travailler à retrouver la dignité de la vie humaine, et d’en témoigner dans notre monde.
Alors pourquoi l’Assomption de Marie est-elle un événement important pour ce témoignage ? Et d’abord, qu’est-ce que l’Assomption ? La femme que le Seigneur fait monter auprès de Lui, celle qu’Il « assume » aujourd’hui dans la Gloire de Dieu, c’est une toute petite créature humaine, faible, simple, qui a reçu un appel particulier lorsqu’un ange est venu la visiter. Cette jeune femme qui a accompagné son Fils jusqu’au bout de sa mission, elle est désormais dans la Vie éternelle, dans la contemplation parfaite de la Lumière de Dieu. Pourquoi ? C’est le mystère du projet de Dieu, un amour gratuit qui s’adresse à ses enfants. Dieu ne réserve pas ce don à Marie : Il veut, à travers son exemple, que tous ses enfants Le contemplent dans sa joie infinie. Nous avons conscience d’être des pécheurs, mais cela n’empêche pas que cet appel à voir Dieu s’adresse à tous les hommes. La Sainte Trinité a envoyé le Fils, pour se faire l’un de nous, pour nous réconcilier par sa mort et sa Résurrection, et pour nous montrer le chemin de la joie éternelle. Ce que nous admirons aujourd’hui à travers l’Assomption de Marie, c’est la première créature qui reçoit pleinement les fruits du Salut.
C’est donc une “petite”, une personne humble devant Dieu, qui est maintenant la Reine du Ciel. Notre vision des pauvres, des petits, de toute vie humaine, est donc complètement renouvelée par cet événement. Toute créature humaine, même la plus petite et la plus humble, est elle aussi appelée à cette même Gloire de Dieu ! C’est ce qui doit motiver notre amour, notre sollicitude auprès des plus pauvres. La Prière Universelle de ce jour aborde les lieux où la dignité des pauvres est bafouée : surtout les pays en guerre, qui ne manquent pas à notre époque ; et pour nous qui vivons apparemment en paix, c’est surtout le début et la fin de la vie, ces lieux de fragilité, de vulnérabilité, qui sont en jeu. Il est tellement facile de faire croire qu’une vie fragile (ou souffrante) ne vaut pas la peine d’être vécue, et qu’il serait raisonnable de s’en débarrasser ! Mais du haut du Ciel, la Vierge Marie nous rappelle qu’elle aussi a été fragile ; que son Fils était vu comme un gêneur, et que sa vie n’a pas eu beaucoup de prix aux yeux de ses persécuteurs ; et que pourtant, Marie, à la suite de Jésus est entrée dans la Gloire de Dieu.
L’Évangile nous a fait entendre le chant de Marie, le Magnificat où elle proclame que Dieu « renverse les puissants de leurs trônes » et qu’Il « élève les humbles ». Les humbles et les affamés sont non seulement relevés, mais ils sont appelés à contempler Dieu face à face, comme Marie et avec Marie. Si nous levons les yeux vers Marie aujourd’hui, si la France lève les yeux vers Marie, c’est pour mieux prendre conscience de la dignité de chacun, du sens de toute vie créée à l’image de Dieu, et appelée à contempler Dieu pour l’Éternité. Prions pour qu’en France et ailleurs, tout homme, toute femme et tout enfant soient regardés avec amour, et soient respectés comme Jésus Lui-même.
19ème dimanche du temps ordinaire
Vivre différemment dans l’Espérance
Dimanche après dimanche, le Seigneur nous invite à Le prier et à L’adorer dans l’Eucharistie, notre Pain de vie ; et Il nous invite toujours plus à mettre notre confiance dans son Nom. En lisant l’Évangile de manière suivie, nous comprenons la progression des paroles de Jésus, et nous nous laissons convertir. Dimanche dernier, le Seigneur nous invitait surtout à ne pas mettre notre confiance dans les choses de ce monde, car tout passe : « Soyez riches en vue de Dieu ». Et aujourd’hui, Il nous dit quelle est la vraie richesse que nous pouvons espérer : « Votre Père vous donne le Royaume ». Ce que nous visons, ce que nous espérons, c’est le Royaume de Dieu, dans lequel nous sommes déjà entrés par notre baptême.
Nous aspirons donc à ce Royaume, qui est la réconciliation complète entre Dieu et l’humanité, donnée par la mission du Christ. Pour recevoir cette Vie nouvelle, Jésus nous invite à une attitude particulière, qui est la vigilance : « Gardez vos lampes allumées ; soyez comme des gens qui attendent leur maître… » La vigilance de l’Évangile n’est pas une contenance apeurée, comme si l’on craignait qu’un agresseur nous attaque ; c’est une attitude d’attente joyeuse (telle que nous la vivons par exemple en Avent pour préparer Noël). Veiller, c’est espérer, attendre la venue du Seigneur, et être convaincus que le Seigneur agit déjà dans notre vie. Pour veiller, pour espérer, ce qui est requis de nous, c’est bien sûr la foi, donnée au baptême et qui doit demeurer active.
Nous avons entendu un célèbre passage de la Lettre aux Hébreux [deuxième lecture], qui nous parle justement de la foi – en citant les exemples des grands personnages bibliques. Avons-nous cette même foi en Dieu, qui a permis à nos ancêtres de traverser les épreuves dans la paix ? La foi, nous dit le texte, c’est « une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas ». L’attitude des premiers croyants nous montre cette manière de vivre : pensons à Abraham, à Sara, à Moïse et à tant d’autres. Ils avaient devant eux la réalité du monde, ils ont vécu dans le monde comme chacun ; mais en même temps, leur regard était dirigé au-delà de ce qu’ils voyaient. Leur foi leur a fait comprendre la présence de Dieu dans le monde, qui nous élève au-dessus des apparences ; c’est pourquoi ils ont cru dans les promesses du Seigneur, ils ont attendu la réalisation de l’Alliance.
La foi débouche donc sur l’Espérance, c’est-à-dire la confiance dans la puissance de Dieu. On n’espère pas si l’on ne croit pas ; sinon, l’Espérance devient un rêve illusoire. Mais si je crois fermement que le Royaume vient, si je « garde ma lampe allumée » comme le demande le Seigneur, alors je me dispose à l’action de Dieu dans ma vie. Ce que nous rappelle Jésus dans l’Évangile, c’est que la vigilance dans la foi est une attitude active : veiller, c’est se comporter d’une manière résolue, agissante. Croire et espérer change notre manière de vivre, et transforme notre attitude. Je peux attendre un train avec hâte et joie… mais cela ne change pas ma manière de vivre, puisque je suis passif en attendant ! En revanche, si nous veillons dans l’Espérance, toutes nos actions sont déjà marquées par la présence du Seigneur : c’est l’attitude des baptisés. Nous savons, avec la certitude de la foi, que le Seigneur vient : en conséquence, ce que nous faisons s’inscrit déjà dans le sens de cette attente. Nous pouvons faire le bien, aimer, consoler, parce que nous savons que le Seigneur apporte avec Lui le Bien, l’Amour, la consolation. Espérer, c’est déjà agir comme agit Celui qui va venir. L’image que Jésus emploie est très parlante : c’est celle de l’intendant, qui a la charge de la maison en attendant le retour du maître. Sa mission est de faire, dès maintenant, ce que fera le maître quand il reviendra.
« Soyez donc comme des gens qui attendent leur maître » : l’Espérance des chrétiens ne consiste pas à rester le nez en l’air en attendant l’avenir, mais à rendre présent le Royaume de Dieu, dès maintenant, avec la force de l’Esprit saint. Le Royaume est déjà là, si les baptisés se comportent comme des intendants de ce Royaume ; s’ils agissent avec la Grâce de Dieu ; s’ils prient avec confiance, s’ils célèbrent l’Eucharistie et méditent la Parole de Dieu ; s’ils témoignent de la Charité et de l’Espérance pour tous les hommes ; s’ils offrent au Seigneur leurs travaux et même leurs difficultés. « Restez en tenue de service », nous dit Jésus : nous espérons la venue du Dieu qui est Amour, nous voulons être témoins de l’amour : en faisant le bien autour de nous, nous témoignons de Celui que nous espérons.
18ème dimanche du temps ordinaire
La vraie justice de Dieu
Il est beau de voir la confiance que Jésus inspire à ses contemporains : en L’écoutant, tout le monde est conscient que cet homme est un messager de paix et de vérité. C’est pourquoi on voit sans cesse, dans les Évangiles, des personnes qui se précipitent vers Lui, qui Lui demandent des guérisons, des aides, des enseignements. Ce rayonnement de Jésus à son époque (alors qu’on ne sait pas encore qui Il est vraiment !), c’est déjà un signe de la présence de Dieu dans le monde. Deux mille ans plus tard, avec la force de l’Esprit Saint, l’Église doit avoir le même rayonnement : tant de personnes se dirigent vers l’Église, vers les chrétiens, pour trouver des réponses et un sens à ce qu’ils vivent. Nous l’avons vu cette année avec le nombre de baptisés adultes : et ce n’est que le début ! Le Seigneur agit toujours plus dans les cœurs pour attirer à Lui.
La demande qui est faite aujourd’hui, dans ce passage de l’Évangile selon saint Luc, est cependant un peu particulière. Cet homme qui s’adresse à Jésus ne demande pas une guérison, il ne voit pas le Christ comme le Sauveur, mais davantage comme un juge. « Dis à mon frère de partager notre héritage ! » C’est sans doute une demande légitime : le frère est peut-être malhonnête, cupide, et il faut que l’héritage familial soit réparti avec justice. Jésus est reconnu comme un homme juste et vrai : il semble normal de Lui demander de l’aide. Pour un Juif qui connaît la Loi de Moïse, la justice est quelque chose d’essentiel : ne pas opprimer le pauvre, rendre à chacun ce qui lui est dû, respecter les autorités, les contrats… Dieu n’aime pas l’injustice et Il punit le méchant.
Jésus, cependant, n’accepte pas de laisser enfermer sa mission dans les limites de la justice ou de la morale : Il n’est pas venu, comme Il le dit ailleurs [Jn 3,17 ; 12,47], pour juger les hommes, mais pour les sauver ! Aujourd’hui, de la même manière, on fait souvent de Jésus un philosophe, un sage, un homme bienveillant ; ce qui est vrai, mais si on se limite à ces valeurs humaines, on laisse de côté l’essentiel de la Personne du Fils de Dieu, le Sauveur du monde.
La justice est nécessaire, elle ne doit pas être oubliée comme si notre foi nous détachait de la réalité humaine. Bien sûr, le Seigneur nous demande de pardonner ; mais pour pardonner, il faut que la situation soit rétablie. L’homme de l’Évangile, dépouillé par son frère, devra pardonner pour que l’amour et la paix règnent à nouveau dans la famille ; mais il ne pourra pas le faire si l’autre garde l’héritage et ne reconnaît pas ses torts. Sans la justice et la vérité, le pardon devient une forme d’oubli, de résignation, et même parfois de faiblesse.
Mais ce que nous dit l’Évangile, c’est que la justice ne suffit pas. Le Seigneur ne nous donne pas “juste ce qu’il faut” : Il nous comble d’un Amour qui dépasse nos désirs les plus grands. Notre cœur est surtout fait pour l’abondance de l’amour ; les relations entre frères ne doivent pas être guidées par le simple partage de l’héritage, mais par le désir de la réconciliation complète. C’est ce que disait aussi le Livre de Qohèleth [qu’on appelle l’Ecclésiaste, première lecture] : « Que reste-t-il à l’homme de toute la peine dont il se fatigue ? ». L’homme travaille, se donne de la peine, et reçoit son salaire : cela est juste. Mais tout passe, et les soucis finissent par arriver : si nous mettons notre confiance dans les choses du monde, notre âme reste insatisfaite et notre vie n’a pas de sens. Les espoirs sont vite déçus, si nous ne cherchons pas à vivre de l’Espérance qui vient du Seigneur.
Saint Paul, dans la Lettre aux Colossiens [deuxième lecture], nous invitait à « rechercher les réalités d’en haut », car nous sommes « ressuscités avec le Christ ». Il s’agit toujours, bien sûr, d’être des « justes » selon la Loi de Moïse ; mais les baptisés appartiennent au Christ, ils sont ressuscités avec Lui et partagent dès maintenant sa vie céleste. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous limiter à être des justes : il nous faut être des Saints ! C’est le sens de la réponse un peu dure de Jésus à l’homme qui L’interpelle : « N’amassez pas pour vous-mêmes, mais soyez riches en vue de Dieu ». La vie des baptisés est tout entière orientée vers Dieu.
Il y a des injustices dans le monde, qui nous révoltent à juste titre : injustice des voleurs, des dictateurs, des manipulateurs (et celle de l’héritage dans l’Évangile !). Mais Jésus est venu pour nous délivrer de la source de toutes les injustices : celle qui consiste à refuser la Miséricorde du Père. Nous devons à Dieu l’Amour et l’adoration [cf. Jn 4,23], et nous devons à nos frères la Miséricorde et la sollicitude : c’est cela la vraie justice, elle vient du cœur, et elle nous renouvelle à l’image du Christ. Jésus est venu pour nous rétablir dans la justice et la réconciliation : soyons des justes… et surtout, soyons des Saints !
14ème dimanche du temps ordinaire
L’Église en mission
Quand nous lisons ce passage de l’Évangile selon saint Luc, il y a une parole qui nous semble bien d’actualité : « Les ouvriers sont peu nombreux : priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson ! ». De fait, les « ouvriers de la moisson » du Seigneur sont bien peu nombreux, surtout à notre époque : dans nos paroisses les prêtres sont de moins en moins disponibles, leur emploi du temps devient tendu ; et même les prêtres âgés continuent d’être appelés à la mission, alors que certains voudraient peut-être se reposer un peu… Mais l’important, c’est bien ce que dit le Seigneur : « Priez ». En d’autres termes, cela ne dépend pas de nous, c’est la Grâce de Dieu qui agit dans les cœurs pour susciter des vocations. Depuis l’an dernier, de manière complètement imprévisible, le nombre des adultes candidats au baptême a explosé : la Grâce agit ! Et nous ne doutons pas qu’un jour – quand le Seigneur le voudra –, ce sera la même chose avec les candidats à la vie religieuse (jeunes hommes et jeunes femmes), et avec les prêtres. Simplement, ce que le Seigneur nous demande, c’est de prier, et de le faire avec foi et Espérance.
Toute la richesse de la vie chrétienne, c’est que le Seigneur agit (et donc que nous devons prier) ; mais qu’en même temps Il veut que nous aussi, nous donnions de nous-mêmes. Dans l’Évangile, il se passe quelque chose d’essentiel : pour la deuxième fois [après l’envoi des Douze, chap. 9], Jésus envoie des disciples pour préparer sa venue et manifester sa mission. C’est bien sa Grâce qui agit, mais le Seigneur veut aussi que sa puissance de vie et de guérison passe par des hommes. Cette force de Salut que Jésus porte en Lui, puisqu’Il est Fils de Dieu, elle se transmet en passant par ses envoyés. Cela nous semble normal, et pourtant c’est extraordinaire ! Car cela signifie que l’homme, image de Dieu, est désormais capable d’être un relais de la Vie de Dieu. Le Fils de Dieu s’est fait homme, Il est devenu notre frère : maintenant, toute notre existence est transformée, puisque nous sommes devenus enfants de Dieu. Nous sommes rendus capables de transmettre la force de Résurrection, qui agit dans notre faiblesse humaine.
Et puis, cette mission donnée par Jésus aux soixante-douze disciples veut dire quelque chose d’autre : c’est le signe de l’Église qui est envoyée en mission à la suite du Christ. Après sa mort et sa Résurrection, les hommes ne sont pas laissés seuls : tout ce qu’a accompli Jésus, l’Église continue de l’accomplir, en guérissant les malades, en annonçant la Bonne Nouvelle de la réconciliation. Cette Église est née du sang et de l’eau, jaillis du côté du Christ [ce que nous avons célébré avec la fête du Sacré-Cœur la semaine dernière] ; elle reçoit la même puissance contre le Mal et le péché, puissance de Vie et de Résurrection.
Jésus envoie donc des hommes en mission, pour appeler d’autres hommes à la foi. Le message de l’Évangile est un appel au Salut, à la paix ; et c’est un appel à être libre. On ne répond à l’Évangile que par un acte de liberté : celui qui annonce l’Évangile ne peut jamais “forcer” les autres à croire, ni imposer sa propre foi. Jésus Lui-même a appelé à croire en Lui ; mais une partie de son peuple L’a rejeté et crucifié : les disciples de Jésus n’ont pas non plus la garantie que leur message aura beaucoup de succès ! C’est pour cela qu’en les envoyant, le Seigneur les prévient que le résultat ne dépendra pas d’eux, mais de la grâce de Dieu. Et pour ne pas croire à notre propre efficacité, le meilleur moyen est de suivre les conseils de Jésus : « Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales ; mangez et buvez ce que l’on vous servira ». Il invite les missionnaires au détachement, à la pauvreté : l’important n’est pas d’appliquer des recettes ou des compétences, ni de nous appuyer sur nos propres talents, mais de compter entièrement sur le don de Dieu. Nous ne pouvons nous consacrer à la mission, comme les soixante-douze disciples, que si nous sommes certains que le Seigneur agit ; sinon, nous partirons tout seuls, et notre action n’aura aucun résultat.
Au retour de leur mission, les disciples sont tout émerveillés : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ! ». Parce qu’ils ont compté sur le Seigneur seul, Lui-même a pu agir à travers eux : le monde a été témoin de sa puissance de vie.
Préparer les chemins du Seigneur, annoncer l’Évangile, c’est la mission essentielle de l’Église. C’est pour cela que nous devons prier comme le demande Jésus, car les hommes ont besoin de connaître le Christ, ils ont besoin d’être sauvés pour connaître la paix véritable. Si l’Évangile se répand, avec les « ouvriers de la moisson » et la grâce de Dieu, alors s’accomplira la prophétie d’Isaïe [première lecture] : « Réjouissez-vous avec Jérusalem, soyez dans l’allégresse ; je dirige vers elle la paix comme un fleuve ».
Des hommes comme les autres
Sur la foi de Pierre, l’Église du Seigneur est bâtie ; et sur l’enseignement de Paul, sur sa sagesse, l’Église s’est répandue dans le monde entier. Ces deux Apôtres nous apparaissent immenses, ils sont les « colonnes de l’Église » [Ga 2,9], et nous nous sentons bien petits par rapport à eux ! Pourtant, tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont accompli avec la puissance du Seigneur. Cette fête d’aujourd’hui est d’abord une “fête de famille”, nous honorons nos aïeux dans la foi, et ces « colonnes » nous sont surtout données pour devenir nos amis. Pierre et Paul ont eu, eux aussi, des faiblesses et des reniements. Le Seigneur ne les a pas choisis pour leurs vertus ou leurs compétences : Il a choisi les relais de l’Évangile et de l’Église, Il a choisi ceux auxquels Il allait faire le don de la fidélité.
Ce qui est très touchant dans l’Écriture [Évangiles, Actes des Apôtres, Lettres], c’est toujours l’insistance avec laquelle nous est montrée l’humanité des Apôtres. Ils ne sont pas des inconnus qui nous auraient transmis un message secret : Pierre et Paul – et les autres Apôtres – sont connus, nous les entendons parler, nous les voyons agir. Ce ne sont pas non plus des gens merveilleux descendus du Ciel, ni les demi-dieux des légendes anciennes : on assiste à leurs combats, leurs tentations, leurs misères, leurs déceptions ; et nous sommes même parfois témoins de leurs manques de foi. En méditant l’Écriture, ils nous deviennent familiers : nous les connaissons comme des amis, avec leurs caractères (très différents l’un de l’autre !), avec leurs difficultés et leurs faiblesses. Et c’est justement là, dans leur humanité, qu’ils donnent leur témoignage le plus fort. Nous aurions du mal à croire quelqu’un qui nous parle du Christ, s’il ne nous ressemblait pas, s’il nous apparaissait comme trop parfait, trop extraordinaire ! Mais Pierre et Paul ne sont pas parfaits, leur vie est parfois chaotique, et ils partagent avec nous leurs doutes [2Co 12,21].
L’exemple des Apôtres nous donne un formidable encouragement dans nos propres faiblesses. Ils ont vécu des combats, mais ils sont tout de même allés jusqu’au bout de leur Amour pour le Christ : ils ont donné leur vie, Pierre par la crucifixion, Paul en étant décapité. Leur fidélité n’est pas venue de leur propre courage, mais de la Grâce du Seigneur : ils ont laissé l’Esprit saint agir en eux. Et ils ne sont pas morts pour des idées ou pour un message : ils sont morts pour entrer dans la Vie, à la suite d’une Personne à laquelle ils avaient consacré leur vie, le Seigneur Jésus ressuscité. La foi, cette foi sur laquelle est fondée l’Église, c’est une relation avec Quelqu’un, un Amour vécu jusqu’au bout ; et c’est aussi une force de Résurrection pour affronter les difficultés de la vie.
Ce qui rend tout à fait particulière la fête de ce jour, c’est le rôle unique de Pierre et Paul dans les débuts de l’Église, à une époque où tout était nouveau : l’Évangile était encore à découvrir dans sa richesse. Et les croyants ont pris conscience, peu à peu, que l’Église était un don du Seigneur pour répandre dans le monde l’Évangile, avec sa puissance de vie et de sagesse. Pierre et Paul ont été présents pour assurer les fondations de l’Église, pour garantir la fidélité des chrétiens, pour enseigner ce qu’ils avaient eux-mêmes reçu directement du Seigneur. L’un et l’autre sont très différents, mais réunis par la Grâce de Dieu, ils ont été indispensables : ils sont devenus les fondements de cette Église, qui est encore aujourd’hui le moyen par lequel la Vie du Seigneur se transmet au monde. En rendant grâce au Seigneur pour notre Église, nous ne pouvons que rendre grâce pour le don de ces deux Apôtres.
L’Église repose donc naturellement sur le don de l’Esprit Saint, mais aussi sur le témoignage de ces hommes envoyés par Dieu. L’Évangile se transmet de manière incarnée, humaine, par des hommes et des femmes qui ont chacun leur charisme, leur manière de vivre ; nous faisons partie de ces envoyés, nous aussi, à la suite de Pierre et Paul. Nous sommes faibles ; mais eux aussi ont eu leurs faiblesses, et comme eux nous pouvons compter sur la Grâce du Seigneur.
Pierre a été fondement de l’Église par sa proclamation de la foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » [Évangile]. Il a connu le Christ, il L’a écouté et Lui a répondu. Quant à Paul, il a été fidèle, voyageur missionnaire, enseignant, évangélisateur ; sans lui, l’Évangile serait encore obscur et caché. Prions pour ceux qui continuent aujourd’hui à transmettre l’Évangile, et pour que chaque baptisé prenne exemple sur Pierre et Paul.
Aujourd’hui, Pierre s’appelle Léon ! Or quand Pierre est prisonnier [première lecture], « l’Église prie pour lui avec insistance » : prions pour notre Saint-Père, pour sa fidélité et pour celle des pasteurs de l’Église.
Nos pains et nos poissons
« Il y avait environ cinq mille hommes », nous dit l’Évangéliste saint Luc : lorsque Jésus accomplit des signes pour le peuple, Il n’agit pas à moitié ! Il nourrit d’un seul coup une foule considérable, au milieu d’un « endroit désert » où il n’y a rien à manger ni à acheter. En cette fête du Saint Sacrement, c’est l’abondance qui domine : abondance du pain multiplié dans l’Évangile, abondance de la présence du Seigneur dans notre vie. Il est toujours là, auprès de nous, et sa Grâce ne nous manque jamais ; nous avons tous expérimenté des moments de notre vie où le Seigneur a répondu largement à notre appel. Il est là par son Esprit, Il est là par son Amour et par tous ses dons ; Il est là en particulier, et c’est le thème de cette fête, par son Corps et par son Sang, qui sont le Pain de vie et la boisson du Salut. Chaque dimanche (et même chaque jour), le Christ vient se donner à son Église dans l’Eucharistie, qui est le don infini, toujours renouvelé. Jésus continue de « donner le pain à ses disciples, pour qu’ils le distribuent à la foule » ; et ce Pain ne nous manquera jamais.
Lorsque nous méditons les épisodes de l’Évangile, nous comprenons que la présence du Seigneur devient agissante précisément là où les hommes en ont besoin. Jésus n’est pas venu nous donner un “petit coup de main” dans nos problèmes de tous les jours : Il est venu radicalement pour nous sauver. Quand nous ressentons notre pauvreté, notre incapacité : c’est là que le Seigneur agit, c’est là qu’Il met en œuvre sa puissance de salut. Si parfois dans l’Évangile il ne se passe rien [Mt 13,58], c’est parce que les hommes n’ont pas assez confiance pour accueillir le don de Dieu ! Mais si nous nous confions à Lui, si nous comprenons que sans Lui, nous ne serons jamais capables d’accomplir notre vocation, alors Il vient à notre secours ; et Il le fait avec d’autant plus de générosité, que nous Lui laissons la place de le faire. Ce que veut le Seigneur, ce n’est pas simplement nous “tirer la tête de l’eau” pour un moment : c’est nous sauver entièrement, et nous délivrer de tout mal.
L’Eucharistie est le signe par excellence de la générosité du Seigneur. Il nous donne avec abondance, et d’une manière particulière : celle d’une présence visible : Il se donne à voir, à aimer… et même à manger. L’Eucharistie nous préserve de tomber dans l’idéalisme, dans l’imagination : Jésus est là, devant nous, et Il nous ramène sans cesse à Lui. Saint Paul nous rappelait tout à l’heure [deuxième lecture] : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne ». À chaque Messe, nous revivons donc sa mort et sa Résurrection : le don suprême de l’Amour de Dieu, comme Marie a pu le vivre douloureusement sur la colline du Calvaire, nous l’avons nous aussi devant les yeux. Chaque Messe fait descendre sur nous cette grâce de l’Amour donné jusqu’au bout !
Nous ne devons donc jamais cesser de nous émerveiller devant ce don de l’Eucharistie. Mais il y a un autre aspect essentiel à cette abondance du don de Dieu. C’est qu’il s’agit d’un dialogue entre le Seigneur et nous : nous ne sommes pas passifs, comme des petits oiseaux qui attendent le bec ouvert. Même si sa puissance est infinie, même si nous avons à ressentir notre faiblesse, il n’empêche que le Seigneur veut que nous participions à ce don. Bien sûr, nous avons remarqué que les Douze proposent à Jésus « cinq pains et deux poissons » : c’est largement insuffisant, mais c’est la contribution nécessaire des hommes ! Pour que Jésus multiplie les pains, il faut qu’il y ait du pain à multiplier. Notre attitude face à Dieu n’est pas celle d’enfants irresponsables qui attendraient que tout se passe : les chrétiens sont accueillants aux dons du Seigneur, mais ils sont aussi actifs dans la part qui leur revient.
L’Eucharistie, elle aussi, s’accomplit avec un apport des hommes : le pain et le vin, « fruits de la terre et du travail des hommes ». À travers ces simples dons (qui sont d’ailleurs offerts en même temps que la quête, signe de notre contribution), nous apprenons que notre travail, notre action, nos efforts, sont essentiels dans notre vie de foi. L’abondance du Seigneur est au-delà de notre capacité, mais il est tout de même nécessaire d’apporter notre petite contribution. Si nous ne donnons pas de nous-mêmes, par notre amour et notre volonté, comment le Seigneur pourra-t-Il se donner à nous ?
Notre conviction, notre manière de vivre face au Seigneur, c’est la certitude que tout ce que nous faisons, tout ce que nous vivons, a une immense importance aux yeux de Dieu. Il suffit de Lui offrir nos pains et nos poissons ! et Il viendra au milieu de nous dans l’Eucharistie. Il vit avec nous, comme Il a déjà vécu au milieu des hommes. La Vie éternelle est déjà là, le Seigneur se rend présent dans nos efforts de chaque jour : offrons-Lui notre vie, et Il nous donnera avec abondance.
Qui est Dieu ?
Jésus a encore « beaucoup de choses à nous dire », comme Il l’affirme à ses disciples : et nous, nous avons encore beaucoup de choses à comprendre (et à vivre) pour devenir vraiment chrétiens ! Depuis que nous avons vécu l’événement de la Pentecôte, nous comprenons que c’est « l’Esprit de vérité » qui nous « conduira dans la vérité tout entière », qui nous permettra d’être de plus en plus croyants, de connaître de mieux en mieux Celui qui nous aime et nous sauve. Cette fête du dimanche après la Pentecôte nous aide à entrer plus avant dans le grand Mystère de notre foi : le Mystère de la Très Sainte Trinité. Quand nous parlons d’un Mystère de notre foi, il faut bien comprendre qu’un “Mystère” au sens chrétien n’est pas une chose incompréhensible ou bizarre : un Mystère, c’est une révélation de Dieu, tellement grande qu’on n’a jamais fini de l’approfondir. La Trinité est pour nous une source de sagesse et de joie jamais épuisée : il s’agit de connaître Dieu, et c’est un chemin sans fin. Si l’on pouvait dire qu’on comprend parfaitement Dieu, ce serait une illusion, nous nous ferions un Dieu à notre image. Dieu Père, Fils, Saint-Esprit, c’est un émerveillement, un chemin de foi qui ne cesse de progresser.
Alors Qui est ce Dieu qui nous parle ? Certains, dans d’autres religions, disent que croire en Dieu Père, Fils, Saint-Esprit, c’est avoir « trois dieux »… Bien sûr, il n’y a qu’un seul Dieu, comme nous le disons dans le Credo : un seul Créateur, Dieu qui est Amour, qui est source de toute vie. Nous venons de Lui, nous retournons à Lui : seul Dieu donne un sens à notre vie.
Ce Dieu ne nous laisse pas tout seuls : Il nous parle pour nous dire son Amour, comme deux fiancés s’écrivent des lettres pour partager ce qu’ils ont de plus intime. Pour savoir qui est Dieu, il faut donc écouter sa Parole ! En l’écoutant, nous le connaissons de mieux en mieux. Si nous voulons lui parler, le prier, il est nécessaire de commencer par le laisser parler. Plus nous le connaissons, plus nous savons comment nous adresser à Lui comme à un ami. Et en même temps, en le connaissant, nous savons comment orienter notre vie : Il nous dit la direction à prendre, Il nous enseigne à distinguer le bien du mal. Pour le dire simplement : si nous ne connaissons pas Dieu, nous ne savons pas comment prier, et nous ne savons pas comment vivre. Nous ne savons même pas comment aimer en vérité !
C’est donc toujours la même question qui nous est posée, à nous qui voulons être croyants (et elle nous est posée de manière plus pressante en cette fête de la Trinité) : Connais-tu ton Dieu ? Comment pries-tu, et quelle direction donnes-tu à ta vie ? Si nous écoutons la Parole de Dieu, nous contemplons la vie de Jésus, et nous entendons ses enseignements : nous voyons que Jésus est bien plus qu’un simple prophète. Il est Fils de Dieu, envoyé par son Père, égal à Lui dans l’Amour et la confiance. C’est aussi Lui qui envoie sur le monde l’Esprit de Dieu. Ce Dieu auquel nous croyons n’est donc pas solitaire : Il est dialogue et Il agit dans le dialogue. C’est ce que nous avons aussi entendu de manière un peu énigmatique (et anticipée) dans la première lecture [Livre des Proverbes], avec la figure de la Sagesse de Dieu, qui est « enfantée par Dieu » et agit avec Lui dans l’œuvre de la Création. La relation d’Amour de Dieu est force de création.
Si nous croyons à la Trinité, ce n’est pas comme une connaissance extérieure : Dieu se révèle à nous car Il veut habiter en nous, nous faire participer à ce dialogue d’Amour. Il éclaire notre manière de vivre. Et ainsi, par la connaissance du Seigneur, nous savons comment Le prier, et nous savons comment conduire notre vie. En premier lieu, notre prière est celle des enfants de Dieu, conduits par l’Esprit : saint Paul nous disait dimanche dernier [Rm 8,15] que l’Esprit criait en nous vers le Père en L’appelant : « Abba ! Père ! » L’Esprit prie en nous, Jésus nous L’a promis pour nous guider : « L’Esprit recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître ». Et puis, comme nous sommes devenus enfants de Dieu, nous pouvons vivre comme Jésus, dans la paix et le pardon. Connaître la Trinité, c’est recevoir en nous la grâce et la puissance du Ressuscité qui a vaincu la mort. Nous ne sommes plus soumis au mal, au péché, à la violence : comme nous sommes invités à vivre dans l’intimité de la Trinité, nous participons à la Victoire de Dieu sur la mort.
Alors, sommes-nous conscients de connaître Dieu ? Accueillons-nous ce don extraordinaire qui transforme notre vie à l’image de la Trinité ? Il n’y a plus de séparation, mais la communion entre Dieu et les hommes : nous sommes [deuxième lecture] « en paix avec Dieu, par le Seigneur Jésus », dans l’Esprit saint. Dieu s’est révélé à nous : vivons au cœur de la Sainte Trinité !
Les homélies de Pâques
L’Esprit Saint, vie de l’Église
Avant de remonter vers son Père, Jésus nous promet l’Esprit Saint. Sa présence parmi ses disciples avait été un don extraordinaire, source de joie et de sagesse ; comment imaginer que tout cela prenne fin, que Jésus ne soit venu que pour un temps sans lendemain ? S’Il est venu, c’est pour que Dieu et l’homme soient réconciliés pour l’Éternité ; et cela ne peut pas se faire si une Force d’en-haut ne descend pas sur les hommes. Celui que Jésus annonce, c’est le Défenseur : le mot grec (« paraclet ») traduit bien ce rôle d’avocat, d’intercesseur, de conseil, que Dieu nous envoie. Nous avons tant besoin de cette présence, dans un monde parfois hostile ; nous avons besoin de son action, de son aide, pour nous éclairer, pour nous conduire à Dieu, et pour nous défendre face à la tentation et au Mal. « Le Défenseur sera pour toujours avec vous […] Il vous enseignera, vous rappellera mes paroles ». Si Jésus partait et nous laissait seuls, comment pourrions-nous continuer à vivre dans la confiance ?
Saint Paul, en parlant de l’Esprit Saint dans sa Lettre aux Romains [deuxième lecture], décrit son action dans le cœur des hommes. L’Esprit de Dieu est l’Esprit du Christ : c’est Jésus qui nous L’envoie, et Il nous rend de plus en plus ressemblants à Jésus. De la même manière que Jésus est mort et ressuscité, Dieu, « qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » L’Esprit nous ressuscite, nous sanctifie, nous donne une Vie nouvelle qui n’est plus « marquée par la mort », mais qui est déjà éternelle. Habités par l’Esprit Saint, nous ne sommes plus « sous l’emprise de la chair », c’est-à-dire soumis aux égoïsmes et aux convoitises qui nous perturbent ; et nous ne sommes pas non plus « esclaves de la peur », dit encore saint Paul, puisque le Seigneur est en nous. Nous sommes rendus capables de vivre une vie où dominent l’Amour et la paix, qui viennent de Dieu.
Mais le don de l’Esprit Saint est bien plus grand qu’un simple cadeau individuel : c’est toute l’Église qui est créée et sanctifiée par l’Esprit. Paul ajoute que l’Esprit « fait de nous des fils : en Lui nous crions : “Abba !” c’est-à-dire : Père ! ». Nous ne sommes pas des enfants de Dieu “chacun pour soi” : quand nous prions « Abba », c’est-à-dire « Père », nous prions en fait : « Notre Père ». C’est ensemble, en Église, que nous sommes ses enfants et que nous formons le Corps du Christ. Vivre dans l’Esprit Saint, c’est une mission personnelle (dans l’intimité du cœur), mais c’est aussi une mission de communauté : celle de rendre présent Jésus en ce monde, de continuer l’œuvre du Christ.
La fête de la Pentecôte est donc d’abord une “fête de famille”, une fête d’Église. Nous avons entendu ce magnifique récit des Actes des Apôtres qui raconte le cinquantième jour après Pâques, où la Vierge Marie et les disciples (donc l’Église) sont assemblés en prière, reçoivent l’Esprit, témoignent auprès de tous les peuples des merveilles de Dieu. Dès la naissance de l’Église, l’Esprit Saint envoie des missionnaires pour parler toutes les langues, s’adresser à tous les hommes. Nous voyons bien que tout le monde ne parle pas la même langue, mais qu’au contraire l’Église rejoint chaque homme dans sa particularité, dans sa culture, dans son langage. Chacun reçoit l’Évangile, chacun est respecté dans sa propre vocation, et tous sont unis par l’Esprit.
Ce qui fait vivre l’Église, c’est cet équilibre entre chaque personne et la Communauté. L’Esprit parle dans le secret du cœur de l’homme, mais les chrétiens ne sont pas individualistes ; et l’Esprit nous unit dans le Corps du Christ, mais l’Église n’est pas non plus une collectivité qui écrase la personne. Chacun est unique, chacun est aimé par le Seigneur, et nous formons une famille qui chemine ensemble vers la Vie éternelle.
En ce jour de la Pentecôte, nous célébrons donc la naissance de cette grande famille qui est l’Église, et qui continue l’œuvre de Jésus. Pensons-y lorsque nous proclamons le Credo : nous croyons en l’Esprit saint, et nous croyons à ce qu’Il continue à accomplir dans le monde, tout comme Jésus l’a fait. C’est l’Esprit qui opère le pardon des péchés, comme Jésus a pardonné les péchés ; c’est l’Esprit qui ressuscite, comme Jésus est ressuscité ; c’est l’Esprit qui réconcilie, comme Jésus nous a réconciliés avec le Père. L’Église, par le don de l’Esprit Saint, rend présent le Christ, transmet ses dons, annonce l’Espérance. Tout ce que Jésus a fait sur terre pendant quelques années, l’Esprit l’accomplit dans l’Église jusqu’à la fin des temps. Jésus est reparti, mais nous ne sommes pas orphelins : nous vivons de sa présence pour l’éternité, et rien ne peut nous effrayer. Dans l’Esprit de Pentecôte, l’Église, les Saints, nous-mêmes, nous continuons d’écrire l’Évangile !
Dignité de l’homme élevé au Ciel
Les disciples de Jésus sont dans la joie, et rien ne peut leur enlever cette joie. Ils étaient passés par des épreuves terribles en suivant Jésus, ils avaient cru que tout était perdu, leur Maître était mort et leurs espoirs avaient disparu ; mais depuis qu’ils L’ont revu ressuscité, ils ont compris le sens de sa victoire sur la mort. Ils n’ont pas encore reçu pleinement le don de l’Esprit saint, mais leur foi est revenue, et ils ont commencé à vraiment comprendre le sens de l’Évangile, la Bonne Nouvelle. C’est pour cela que même au jour de l’Ascension, alors qu’on pourrait les croire désorientés par ce nouveau départ, saint Luc nous les décrit ainsi : « En grande joie, ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu ». Jésus avait été « élevé » [Jn 12,32] sur la Croix, maintenant Il est « élevé au ciel » : avec l’Ascension, c’est la Gloire de Dieu qui se manifeste en son Fils. Toutes les promesses seront accomplies dans dix jours, avec la venue de l’Esprit saint à la Pentecôte.
Que se passe-t-il au jour de l’Ascension ? Jésus remonte vers son Père. Cela semble bien normal, puisqu’Il est le Fils ! La Sainte Trinité, Père, Fils, Saint-Esprit, est réunie dans la communion du Ciel, c’est-à-dire dans la réalité spirituelle de la Gloire de Dieu. Mais ce n’est pas si simple, car entretemps, le Fils a pris la nature humaine dans le sein de la Vierge Marie. En remontant vers son Père, le Christ ne “jette” pas sa condition humaine comme un vieux vêtement : Il monte vers Dieu avec son corps, son âme, tout ce qui fait qu’Il est homme comme nous. Ainsi, notre nature humaine, notre corps, notre âme, la beauté de ce que nous sommes… mais aussi nos difficultés et nos limites : tout cela rejoint pour l’éternité la Vie de Dieu. Est-ce que nous nous rendons compte de ce que cela signifie pour nous ? L’homme, la nature humaine, est désormais au Ciel, près de Dieu : cela nous donne – à chacun de nous – une dignité, une grandeur nouvelles. Chaque homme, chaque femme, est précieux aux yeux du Seigneur, puisque le Père, en voyant son Fils qui partage sa Gloire, voit sa ressemblance avec nous.
On peut dire que cette dignité nouvelle de l’homme est l’accomplissement de toutes les promesses de Dieu, depuis l’Ancien Testament et le début des alliances. Dieu avait déjà créé l’homme à son image. Il ne voulait pas que l’homme soit simplement soumis à une Loi, mais Il l’avait rendu capable de dialoguer avec Lui : libre d’aimer et de choisir le Bien, libre de répondre à sa Parole à travers les prophètes. Puis avec la venue de Jésus, tout a été transformé : Dieu a même voulu nous accompagner dans toutes les dimensions de notre vie humaine, Il a travaillé avec nous, a prié, a souffert auprès de nous. Il est allé jusqu’à la mort, et au-delà : par sa Résurrection, Il nous a tous ressuscités, Il nous a rendus, nous aussi, victorieux du mal et de la mort. Et enfin, par cette dernière étape de l’Ascension, nous montons avec Lui pour l’éternité vers le Père. Chacun de nous, en Jésus, est déjà assis à la droite du Père ; par l’Esprit saint, nous sommes rendus conformes à Jésus et nous entrons dans l’intimité de la Sainte Trinité. C’était le projet de Dieu depuis l’aube des temps : et ce projet est maintenant accompli. Comme les disciples, rien ne peut nous enlever notre joie : la joie de vivre déjà aux Cieux !
Nous ne devons jamais oublier cet appel, la vocation incroyable qui est la nôtre. Dans le récit des Actes des Apôtres, les anges ont l’air de reprocher aux disciples leur attitude : « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » Et pourtant, il est important de « regarder vers le ciel », car c’est là que résident notre joie et notre Espérance. Jésus reviendra pour accomplir sa promesse ; en attendant, nous vivons déjà auprès de Lui, dans le Ciel.
En particulier, dans le monde actuel, la vocation de chacun à vivre au Ciel, avec Jésus, ne doit jamais être négligée. L’actualité nous rappelle que la dignité de chaque personne humaine est toujours à réaffirmer ! L’Église, éclairée par l’Évangile et par l’Esprit saint, ne cesse de redire que la vie humaine est ce qu’il y a de plus précieux : on ne peut jamais disposer de la condition humaine, puisqu’elle est déjà au Ciel, dans la Gloire de Dieu. Rien ne diminue la valeur – ni la dignité – de la nature humaine : un homme, quel qu’il soit, quelle que soit sa souffrance, reste un homme qui est déjà avec Jésus à la droite de Dieu. Nous connaissons les tentations actuelles, et même les orientations que semblent prendre nos députés par rapport à la fin de vie : les évêques se sont déjà bien exprimés à ce sujet. Mais si nous croyons à la valeur infinie de l’homme, fait à l’image de Dieu et élevé dans sa Gloire, c’est toujours l’Amour qui doit nous guider. Un malade peut être souffrant, il peut même coûter très cher en traitements : il reste à l’image de Jésus et personne ne peut prendre sa vie !
En ce grand jour, gardons donc les yeux tournés vers le Ciel : en contemplant Jésus à la droite du Père, nous apprenons à aimer et à respecter chacun de nos frères.
6ème dimanche de Pâques
L’Église, l’Esprit et la paix
« Je m’en vais, dit Jésus ; je pars vers le Père ». Ces paroles prononcées avant la mort et la Résurrection du Christ, nous les entendons à nouveau après Pâques, après la Résurrection ; car nous arrivons à la fin des quarante jours de Pâques, et dès jeudi prochain (Ascension), Jésus va repartir vers son Père. Les Apôtres avaient vu le départ de Jésus pour la Croix, ils avaient été désemparés, désorientés par sa mort (eux-mêmes s’étaient enfuis…) ; et voilà qu’à nouveau, il semble que Jésus les quitte ! Être disciple de Jésus, ce n’est pas de tout repos, on ne peut jamais s’installer, se reposer, ni avoir la certitude d’une vie tranquille à la suite du Sauveur… C’est vrai aujourd’hui pour chacun de nous : nous avons choisi de suivre Jésus, non pas pour nous reposer mais pour qu’Il nous réveille par sa présence.
Les Apôtres ont eu un grand privilège : celui de voir et d’entendre directement Jésus. Ils pouvaient Lui poser des questions, écouter son enseignement, s’émerveiller devant les miracles… Mais cela ne pouvait pas durer. Ce que nous demande le Seigneur, c’est la foi : c’est-à-dire la confiance, même lorsque ce n’est pas facile et que nous ne voyons pas immédiatement sa présence. La foi qui est demandée à tout âge, qui permet de “garder le cap” et de prendre la bonne direction. La foi que nous vivons dans l’Église, dans la communauté chrétienne où nous nous appuyons les uns sur les autres ; la foi qui n’est pas toujours simple, qui se heurte aux difficultés de la vie ; la foi qui nous maintient éveillés, la foi qui est une décision, un choix volontaire à refaire chaque jour. « Oui Seigneur, je crois que Tu es là, même si je ne te vois pas ; je te fais confiance et je veux continuer à t’aimer. Tu es ressuscité, et je sais que Tu ne m’abandonneras jamais ».
Même si Jésus part et quitte ses disciples, Il reste bien là, au milieu de nous. Sa présence est différente, mais elle est réelle. Il demeure présent dans son Église, qui est le signe de l’Amour de Dieu parmi les hommes. Nous étions un groupe d’individus « bouleversés et effrayés » [Évangile de ce jour], dispersés dans le monde, perdus face à la violence, au mal, à la mort ; et Jésus, par sa Résurrection, a fait de nous une Église, c’est-à-dire une assemblée vivante et joyeuse. Il continue d’agir dans son Église : Il nous donne sa Grâce, la force de la Résurrection. Il nous donne une nourriture : l’Eucharistie, le Pain de Vie ! Jésus nous donne un chemin, un but : la Vie éternelle. Et Il nous donne encore une mission, depuis les Apôtres : celle de transmettre la Bonne Nouvelle de sa Victoire. Nous pouvons reprendre les premiers mots du pape Léon XIV le soir de son élection : « Dieu nous aime, Dieu vous aime tous, et le mal ne prévaudra pas ! Nous sommes tous entre les mains de Dieu ». En vivant dans son Église, nous avons la certitude que le Christ est victorieux du mal et de la mort.
Le premier don que Jésus fait à l’Église, c’est le don de l’Esprit Saint : dans quinze jours, nous célébrerons la Pentecôte, la descente de l’Esprit sur les Apôtres. Désormais, ce sera leur certitude et la nôtre : le Seigneur ne nous abandonnera jamais, Il nous conduira sur ses chemins. Notre prière, notre Messe de ce jour, le Baptême que nous avons reçu, l’Amour dont nous vivons, tout cela est signe de l’Esprit saint. Chaque action, chaque célébration, nous montre que l’Esprit de Jésus est présent et actif dans son Église. Dans la première lecture [Actes des Apôtres], Paul et Barnabé n’hésitent pas à écrire : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé… ». Notre assemblée n’est pas laissée à elle-même, mais elle est habitée et conduite par l’impulsion de l’Esprit : nous avons à nous mettre à son écoute.
Enfin, le fruit des dons de Jésus, de sa présence et de son Esprit, c’est ce que nous venons d’entendre : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ». Vivre en disciples du Christ dans l’Église, c’est vivre dans la paix : c’est-à-dire sous le regard de Dieu, selon la vocation de chacun. La paix extérieure vient de la paix de notre cœur. Si nous savons que nous sommes aimés quoi qu’il arrive, si nous vivons de l’Amour de Dieu manifesté par Jésus, alors nous ne serons plus guidés par la peur, mais par la foi et la confiance ; et nous rayonnerons autour de nous la paix et la confiance.
Oui, l’Église nous est donnée pour être le lieu de la joie, de la paix, de la foi. Jésus n’est plus visible, mais Il est tellement présent auprès de nous ! En vivant de sa présence [surtout dans l’Eucharistie], nous serons vraiment dans la paix.
5ème dimanche de Pâques
L’Église nous donne la Vie du Christ
Après avoir médité plusieurs dimanches sur les apparitions de Jésus ressuscité, l’Église nous invite aujourd’hui, en ce cinquième dimanche de Pâques, à revenir “en arrière” : nous écoutons les paroles de Jésus au soir du Jeudi saint, donc avant de partir pour la Croix. Ce sont les chapitres [13 à 17] si riches de l’Évangile de saint Jean, où Jésus transmet à ses disciples le cœur de son message et de sa mission. Si Jésus quitte ses disciples, s’Il est condamné à mort par les autorités juives et romaines, s’Il passe par toutes les souffrances de la Passion, ce n’est pas un épisode imprévu de sa vie : sa mission va être pleinement accomplie lorsqu’Il sera élevé sur la Croix. Dans tout l’Évangile, on voit Jésus s’orienter résolument vers les événements de la Passion, car c’est là qu’Il va donner sa vie par Amour, et qu’Il sera vainqueur de la mort.
En premier lieu, ce qui nous surprend, c’est que Jésus parle de sa mort comme d’un épisode de gloire : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui ». La Gloire de Dieu dans l’Ancien Testament, c’était la vision (un peu effrayante) de la puissance de Dieu : par des nuées, des vents, des tremblements de terre [Ex 19,16 ; 1R 8,10], Dieu montrait qu’Il était le Tout-Puissant. Mais avec Jésus, la Gloire de Dieu se montre sur la Croix : Jésus est « glorifié » lorsqu’Il donne sa vie, car la vraie Gloire de Dieu réside dans son Amour. Pour Dieu comme pour nous, c’est l’amour qui est la vraie gloire ! Non pas le succès, non pas la richesse, le plaisir ou la célébrité : la vraie gloire, ce qui marque la mémoire et qui demeure au-delà du temps, c’est l’amour. C’est pour cela que Jésus nous parle de sa gloire : contempler Jésus sur la Croix, c’est contempler l’Amour même qui donne la vie.
Et juste après, l’Évangile nous donne encore le « commandement nouveau », c’est-à-dire la manière d’entrer nous aussi dans la Gloire de Dieu. Ce commandement, dit Jésus, « c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés ». Cette loi nouvelle de l’Amour s’accomplit pour nous dans l’Église, comme Jésus l’a voulu. Si l’Église existe : la même Église depuis les Apôtres jusqu’à nous, conduite par saint Pierre et ses successeurs jusqu’à Léon XIV : si nous formons cette communauté dans la prière et la charité, c’est parce que Jésus lui a donné son Amour et sa fidélité. S’aimer les uns les autres, c’est tout simplement imiter l’Amour du Christ sur lequel est fondé notre Église.
Pour l’instant, bien sûr, nous sommes encore limités dans notre manière d’aimer : l’Église est constituée de pécheurs – comme malheureusement l’actualité nous le rappelle de temps à autre. Mais en contemplant la vision grandiose de l’Apocalypse [deuxième lecture], nous voyons déjà l’accomplissement de notre Église, et sa vraie signification. L’Église, c’est « la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, comme une épouse parée pour son mari » ; elle est « la demeure de Dieu avec les hommes ». Elle est la Cité où les hommes reçoivent la Grâce de Dieu, l’Amour du Christ ; c’est là que nous renaissons avec Jésus, que nous ressuscitons dans l’Esprit saint pour aimer vraiment de l’Amour même de Jésus. Si les hommes sont parfois infidèles, l’Église, elle, reste fidèle, car elle est l’Épouse du Christ.
C’est pour cela qu’en ce temps de Pâques, nous écoutons plus particulièrement le beau livre des Actes des Apôtres : après la Pentecôte, nous y voyons l’Esprit Saint à l’œuvre pour transmettre aux hommes les dons de la Grâce. L’Église grandit, l’Évangile se transmet, et les croyants deviennent nombreux, attirés par le témoignage des Apôtres. Comme aujourd’hui, où les nouveaux baptisés sont nombreux dans nos paroisses ! Paul et Barnabé affermissent le courage des nouveaux chrétiens, annoncent la Parole dans divers lieux ; et ils rendent grâce au Seigneur pour tout ce qu’Il a fait dans les cœurs des croyants. Hier comme aujourd’hui, l’Église n’existe que pour transmettre aux hommes les dons de Dieu ; et pour les inviter à s’aimer les uns les autres comme Jésus nous a aimés. La gloire de l’Église n’est pas dans le pouvoir, mais dans l’amour dont Dieu nous rend capables par sa Grâce.
Enfin, nous avons entendu que les Apôtres ont « désigné des Anciens » pour veiller sur les communautés : ils envoient en mission certains disciples pour continuer à annoncer l’Évangile. Notre Église est toujours vivante ; et pour transmettre la Vie du Christ, elle a besoin de personnes disponibles à l’appel de Dieu. Prions pour que le Seigneur envoie des serviteurs, afin que l’Amour soit toujours annoncé dans le monde ! Jésus nous a tout donné par amour : par notre réponse à cet Amour, nous montrons au monde la Gloire du Seigneur.
4ème dimanche de Pâques
Des bergers qui suivent l’unique Berger
Jésus est le bon Berger, nous sommes les brebis de son troupeau. En utilisant cette image, l’Évangile ne nous rabaisse pas au rang de moutons, d’animaux sans intelligence : il veut surtout nous inviter à suivre un Maître. « Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent ». Devenir chrétiens, c’est se faire disciples du Fils de Dieu, et donc L’écouter et Le suivre. Mais sommes-nous prêts à nous mettre à la suite d’un Berger ? Face à cette question, notre époque est un peu partagée. D’une part, nous voyons que beaucoup s’égarent, et donc nous avons besoin de quelqu’un qui nous montre la bonne direction. Mais d’un autre côté, nous avons de la difficulté à nous laisser guider : tant de tyrans ont prétendu guider leurs peuples, et n’ont récolté que la guerre et la misère !
Pourtant, en nous rassemblant en ce dimanche pour la messe, nous avons déjà fait un choix : celui de l’unité. Ce que nous désirons, c’est former une vraie communauté, une famille qui avance ensemble. Et pour avancer ensemble, il nous faut ce Berger qui nous montre le but du chemin. Ce qui domine aujourd’hui autour de nous, c’est souvent l’individualisme : chacun veut trouver son propre chemin. Mais si chacun choisit une direction différente, c’est le règne de la discorde et de la désunion.
Voilà pourquoi le Seigneur Jésus se présente à nous comme le Bon Berger ; et c’est aussi pour cela qu’Il veut nous envoyer des bergers pour nous aider à avancer ensemble, dans la paix et l’unité. En ce quatrième dimanche de Pâques, avec cette figure du Berger, nous sommes aussi invités à prier pour les vocations : en particulier pour que le Seigneur appelle et envoie, parmi nous, des bergers qui nous conduiront en son nom. Le berger n’est pas un dictateur : sa mission est de susciter la liberté de chacun, et d’indiquer la bonne direction. Nous n’avançons pas par contrainte, mais par attirance vers le Bien et l’Amour ; le berger doit connaître les bons chemins, les endroits fertiles, et mettre en garde contre les routes sans issue.
En premier lieu, le berger de l’Évangile connaît la vocation de chaque brebis : et cette vocation, c’est la Vie éternelle. Il n’y a qu’un seul chemin vers la Vie, c’est la mort et la Résurrection du Christ : si nous quittons ce chemin de mort et de Résurrection, nous nous égarons dans des impasses. Le berger a pour mission de rappeler à chacun qu’il est appelé à l’Éternité, et de réveiller le cœur des hommes pour qu’ils ne s’endorment pas dans une vie sans Espérance. C’est ce que proclament Paul et Barnabé dans le passage que nous avons entendu [première lecture, Actes des Apôtres] : « Vous rejetez la Parole de Dieu, vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle ! » Lorsque l’homme pense se contenter d’une petite vie matérielle, des petits plaisirs quotidiens, le berger lui rappelle sa vocation à l’Éternité : « N’oublie pas que le Christ a versé son sang pour toi, et qu’Il est ressuscité pour te donner la Vie ». Le seul chemin pour accomplir notre vocation, c’est de suivre le Christ dans sa Passion et jusqu’à Pâques : les bergers sont là pour nous raffermir dans ce chemin de foi, et pour nous relever lorsque nous tombons de tristesse et de désespoir.
Voilà donc le rôle des bergers envoyés par le Christ, qui Lui-même est le vrai Berger : vivre dans l’unité, rassembler le peuple de Dieu et le conduire vers le Salut. La mission des bergers est toujours la même, depuis le début de l’Église. Elle est triple : conduire les chrétiens, enseigner la Parole de Dieu, et sanctifier par les Sacrements. C’est une seule et même mission, car la Vie donnée par Dieu est unie : je ne peux pas demander un sacrement, si je ne veux pas me mettre à la suite du Christ, ou si je n’écoute pas la Parole de Dieu ! Mais surtout, les bergers accomplissent leur mission dans la mesure où eux-mêmes se laissent conduire par le Seigneur. Être berger dans l’Église, c’est d’abord être brebis, être disciple du Christ. Personne ne se proclame soi-même berger (sinon il s’agit d’un gourou…) : on est toujours appelé à une telle mission. Et le Pape lui-même, notre nouveau Pape Léon, doit être d’abord un disciple, une “brebis”, avant d’être un Maître pour l’Église !
Le Seigneur nous invite donc à nous laisser guider par Lui, et aussi par des bergers en son Nom. Ceux que le Seigneur appelle à être bergers [les évêques et les prêtres] ne sont pas meilleurs que les autres, mais ils doivent être disponibles à l’Évangile : ils ont tout quitté pour suivre le Christ. Jésus vient d’attester : « Le Père et moi, nous sommes Un » : Il a fait la volonté du Père, Il a été disponible jusqu’au bout, et nous devons prier pour que nos bergers – les pasteurs de l’Église – soient eux-mêmes disponibles pour être témoins de l’Évangile. En écoutant nos bergers, en suivant le Christ, nous formons un peuple uni, marchant ensemble vers la Résurrection.
3ème dimanche de Pâques
Une vie renouvelée
Cette « troisième manifestation de Jésus ressuscité », sur les bords du lac, est une scène très visuelle. Il y a eu la première rencontre avec les disciples le soir même de la Résurrection, lorsque Thomas était absent ; puis il y a eu la deuxième, quand Thomas a proclamé sa foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Et malgré ces signes déjà renouvelés, il semble que les Apôtres ne soient pas encore bien fermes dans la foi… Notre temps de Pâques dure quarante jours jusqu’à l’Ascension, car c’est la période – assez longue – qui a été nécessaire aux disciples pour croire vraiment (en attendant l’Esprit Saint). Aujourd’hui, au bord du lac, on constate encore les doutes qui s’expriment : certains disent : « C’est le Seigneur ! » ; d’autres n’osent pas lui demander qui Il est… Mais tous les disciples sentent bien qu’il se passe quelque chose de radicalement nouveau.
C’est donc une scène qu’on imagine volontiers. Tout d’abord, la nuit tombe ; les disciples sont revenus à leur point de départ. Ce sont des pêcheurs, ils retournent donc pêcher pendant la nuit, sous la direction de Simon-Pierre. Bien sûr, ils avaient vécu des années extraordinaires en accompagnant Jésus ; ils avaient vu des événements, des signes, des guérisons, ils avaient entendu des paroles nouvelles et merveilleuses. Mais tout cela paraissait révolu. Après une période exaltante, il semble que la routine reprend ses droits : où sont les espoirs des disciples, qui pensaient encore récemment que Jésus « rétablirait le royaume d’Israël » [Act 1,6] ? Désormais, leurs attentes sont ruinées, et il ne leur reste qu’à reprendre leur métier d’avant, en allant pêcher sur le lac… car il faut bien vivre.
À travers cette décision de reprendre leur bateau et leur métier, nous avons un aperçu de ce que peut être une vie humaine sans Dieu, sans Amour, sans Espérance. Une vie terne, avec pour seul horizon les occupations de chaque jour ; une vie sans signification. Et ce retour à la pêche est d’autant plus douloureux pour eux, qu’ils avaient traversé des espérances nouvelles avec Jésus. Leur vie ne sera plus libre et ouverte à Dieu, mais à nouveau, elle sera soumise à la fatalité des événements. Ce que l’Évangile nous décrit à travers la stérilité de ce travail nocturne : « Cette nuit-là, ils ne prirent rien ».
Mais voilà que le Seigneur ressuscité se manifeste à eux, et leur existence est à nouveau transformée. Notre vie sans espoir ni perspective, le Seigneur veut la transfigurer, lui donner une nouvelle signification ; désormais, dans la Résurrection du Christ, tout trouve un nouveau sens, une orientation. Toute vie, tout travail (même la pêche des disciples !), peut être habité par le Seigneur ressuscité, être fécond et riche ; alors que sans le Seigneur, rien n’a de sens. C’est cela la raison, à retrouver chaque dimanche, de notre offrande personnelle : nous venons dans cette église pour présenter au Seigneur nos tâches, nos travaux, nos difficultés, et en faire une offrande d’amour. Sans Lui, notre travail est morose et sans relief ; mais avec Lui, si nous offrons notre pain et notre vin, tout entre dans le grand mouvement de Résurrection ! Nous pouvons méditer cela, alors que nous avons célébré jeudi [1er mai] la Fête du travail. Comme disciples d’un Maître qui a Lui-même travaillé de ses mains, nous savons que notre travail n’est pas juste un acte de production ou d’économie, mais qu’il est un chemin de salut et de vie, de coopération à l’œuvre du Seigneur et de Résurrection. Rien dans notre vie ne reste à l’écart de la Vie du Seigneur, puisque nous avons été baptisés dans sa mort et sa Résurrection.
Si notre vie est transformée comme l’a été celle des disciples au bord du lac, alors cela doit se voir : comme les Apôtres, nous sommes envoyés pour témoigner. Dans la première lecture [Actes des Apôtres], nous admirons l’audace de Pierre et des autres, qui n’hésitent pas à contredire les autorités religieuses pour annoncer l’Évangile. « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » ! Quand on a traversé l’épreuve de la mort, et qu’on a trouvé en Jésus la force de la Résurrection, rien ne peut arrêter ce témoignage. Hier les grands prêtres tentaient d’étouffer l’Évangile : aujourd’hui, ce sont d’autres autorités, qui veulent réduire l’homme à sa vie matérielle, en faire un consommateur, éliminer les vies qui ne seraient pas dignes d’être vécues… Mais la réponse est la même à notre époque qu’à celle des Apôtres : « obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». Quand le Christ est ressuscité, quand Lui seul nous redonne l’Espérance, ce n’est pas le moment de cacher la Bonne Nouvelle !
Dans le cœur de tout homme, même le plus éloigné, retentit l’appel de Dieu : à nous d’aider nos frères, par notre témoignage, à répondre à cet appel. Parce que Jésus est ressuscité, notre vie a été renouvelée : ne revenons pas à la routine, mais avançons avec l’Église vers la Résurrection !
2ème dimanche de Pâques
Résurrection, Miséricorde, Espérance
« Recevez l’Esprit Saint, dit Jésus. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ». Au soir même de la Résurrection, Jésus donne à ses Apôtres le pouvoir de « remettre les péchés », c’est-à-dire de les pardonner au nom du Seigneur. C’est un pouvoir extraordinaire, donné pour le salut de tous les hommes : une mission confiée aux Apôtres et à leurs successeurs. Nous devons souvent recourir à ce sacrement de la Réconciliation, que Jésus institue en ce temps de Pâques. Si ces paroles sont prononcées si près de la Résurrection, c’est bien parce qu’il y a un lien très fort entre la victoire de Jésus sur la mort, et sa victoire sur le péché. Les nouveaux baptisés (« néophytes », nouvelles plantes) ont reçu le pardon de tous leurs péchés, mais ce pardon est surtout une victoire sur la mort, une résurrection, un renouvellement complet, une nouvelle vie !
Nous sommes donc au terme de la première semaine de Pâques, et l’Évangile qui nous est proposé est justement situé à cette date. Il y a en fait deux épisodes dans ce récit : le premier (où Thomas est absent), le soir du jour de la Résurrection ; et le second huit jours plus tard – donc aujourd’hui – avec Thomas et sa conversion. On peut admirer la pédagogie de Jésus ressuscité, qui continue à conforter la foi ses disciples pour les aider à croire. Ils ont encore besoin de progresser ! C’est seulement à la Pentecôte, en recevant pleinement l’Esprit Saint, que leur foi sera complète et qu’ils pourront à leur tour annoncer l’Évangile.
Pour l’instant, la foi des disciples est encore bien vacillante. Ils avaient traversé la grande épreuve de la mort de Jésus, leur fuite, leur dispersion ; pour Pierre (et peut-être d’autres), ils avaient même renié leur Maître, ils avaient perdu tout espoir. Mais ils vont retrouver Jésus, ils vont Le reconnaître, et leur vie sera transformée. Il revient pour leur redonner l’Espérance, pour les réunir dans une même foi. Là où il y avait la mort et le désespoir, Jésus ressuscité vient rendre la Vie et l’Espérance. Là où dominaient le péché et la désunion, Jésus ressuscité donne la réconciliation, le pardon. Et ce don gratuit de l’Amour de Dieu porte un nom : il s’appelle la Miséricorde. C’est pour cela que ce deuxième dimanche de Pâques, avec l’apparition aux disciples, est célébré comme le dimanche de la Miséricorde divine. La Miséricorde est une force venue de Dieu, un don qui nous permet de ne jamais désespérer, et qui nous rétablit dans le projet d’Amour du Seigneur.
Quand on parle de Miséricorde, on pense surtout au pardon que Dieu peut nous donner si nous commettons un péché (et si nous-mêmes, bien sûr, nous demandons pardon). Mais nous sommes dans le temps de la Résurrection, et ce pardon est bien plus que cela ! Le Baptême reçu à Pâques, le sacrement de la Réconciliation donné aux Apôtres et à leurs successeurs, nous avons déjà compris qu’ils ne faisaient pas qu’effacer les péchés : ils sont porteurs d’une force de Résurrection qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Notre vocation est de ressusciter avec le Christ pour entrer dans une nouvelle vie, complètement réconciliée avec notre Père et avec nos frères. La Miséricorde est la porte d’entrée dans cette Vie éternelle, car elle est le don de Dieu qui nous permet de ne jamais nous perdre loin du Seigneur. Si nous désespérons de nous-mêmes ou de la situation du monde, si nous pensons être séparés de l’Amour de Dieu, c’est le moment de nous souvenir que sa Miséricorde est plus forte que tout le reste. Rien ne peut nous séparer de Dieu : non pas parce que nous sommes vertueux ou parce que nous pouvons sauver le monde par nous-mêmes ; mais parce que Dieu s’est penché vers nous, et que par la Résurrection Il nous a élevés jusqu’à Lui, une fois pour toutes. Depuis que Jésus est ressuscité, tous ses frères humains sont entrés avec Lui dans la Vie de Dieu.
Sans la Résurrection, le monde irait à sa perte car le péché finirait par dominer : il ne nous resterait que la tristesse et le désespoir. Mais Jésus ressuscité donne au monde la vraie Espérance, et Il communique aux hommes sa Miséricorde qui est victorieuse du mal. L’Église, qui est le Corps du Christ, reçoit la mission de porter aux hommes la Miséricorde, cette force de renouvellement. Nous l’avons vu dans les Actes des Apôtres [première lecture] : « Par les mains des Apôtres, beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient ; tous les gens malades ou tourmentés par des esprits impurs étaient guéris ». Aujourd’hui, par le Baptême, par la Réconciliation et les autres sacrements, la Miséricorde du Seigneur continue à être transmise avec générosité. Prions pour les néophytes, pour tous ceux qui reçoivent aujourd’hui la grâce et la force du Seigneur : que leur vie soit renouvelée, et qu’ils soient témoins de sa Miséricorde.
Réponse de Dieu au désespoir de l’homme
« Le premier jour de la semaine », c’est-à-dire le dimanche, les disciples constatent que Jésus n’est plus au tombeau. Ce jour devient le jour de la Résurrection, le grand jour de la Victoire et de la joie pour tous les hommes. Pourtant, on peut dire que la journée avait mal commencé pour Marie Madeleine, pour les disciples et amis de Jésus ! Leur Maître était mort, et ils avaient perdu l’espoir. Certains (dont Marie Madeleine) allaient tristement au tombeau pour prendre soin du corps de Jésus. Mais personne ne prévoyait la surprise incroyable qui serait la leur en ce matin de Pâques ; et nous-mêmes, pour bien célébrer ce grand jour, il est bon de nous replacer dans l’émerveillement qui a été celui des disciples.
Nous sommes venus ce matin dans cette église pour éprouver cet émerveillement, et afin que l’événement de la Résurrection éclaire notre vie. Nous savons que Noël et Pâques sont les deux pôles de l’année chrétienne ; après avoir vécu la magie de la Nuit de Noël, participer aujourd’hui à la Messe de Pâques, c’est vivre quelque chose de la Victoire de Jésus sur la mort. Nous avons besoin de ressentir, de comprendre que Dieu est le Maître de la Vie, que la Vie l’emporte sur la mort, et que nous ne devons pas désespérer – particulièrement en cette année consacrée à l’Espérance. On nous dit sans cesse que la situation du monde est critique ; que les instabilités, les guerres, les incertitudes sont dominantes. Alors où mettre notre confiance, comment envisager l’avenir ?
Le Jour de Pâques nous donne une réponse sûre, car il nous oriente vers Dieu et nous rappelle sa Miséricorde. Face aux difficultés et au mal, il peut y avoir pour nous une certaine tentation de “surenchère” : car s’il y a de la violence et de l’injustice, si le monde est le règne de l’arbitraire des puissants, alors mieux vaut se mettre du côté des forts ! On répond à la violence par la violence, à l’injustice par l’injustice ; on vit chacun pour soi, on cherche son plaisir personnel et on oublie ceux qui souffrent. C’est évidemment un cercle vicieux : répondre au mal par le mal ne fait qu’empirer l’état général de l’humanité. Et à la fin, tout ce qui nous reste, c’est le désespoir…
Or c’était justement le désespoir qui dominait, après le Vendredi Saint, parmi les disciples de Jésus. Ils avaient traversé des moments magnifiques, ils s’étaient mis à la suite d’un homme extraordinaire, d’un prophète unique que les foules accompagnaient en exultant de joie. « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien », rappelle Pierre dans les Actes des Apôtres [première lecture]. Et puis, il avait suffi d’un complot pour détruire ce rêve. Les grands prêtres s’étaient alliés aux Romains (pourtant leurs ennemis !) pour commettre la pire des injustices : la condamnation du Juste. Pour les disciples, il y avait effectivement bien des raisons de désespérer… Si l’on se fie aux puissants de ce monde, c’est très probablement l’injustice qui finit par l’emporter.
Alors faut-il désespérer ? En ce jour de Pâques, la nouvelle de la Résurrection transforme complètement l’histoire du monde. Il ne s’agit pas seulement d’un homme qui se relève de la mort par miracle : c’est tout le genre humain qui entre dans une nouvelle Vie, une Vie où la mort et le mal n’ont plus le dernier mot. La réponse ultime donnée par Dieu aux blessures du cœur de l’homme, c’est la Résurrection de son Fils, c’est la Victoire sur le mal et sur toute injustice.
La Victoire nous est acquise aujourd’hui par la Résurrection du Christ. Par conséquent, bien sûr, nous ne pouvons plus vivre comme si le mal l’emportait, ni en cherchant à être plus forts que les puissants du monde ! Si Jésus est ressuscité, c’est pour nous entraîner avec Lui, dans une nouvelle Vie pour l’éternité. Cette Éternité commence dès maintenant, et elle nous préserve du désespoir. Saint Paul montre aux Colossiens [deuxième lecture] quelle doit être leur manière de vivre : c’est un enseignement à écouter, et surtout à mettre en pratique afin de prendre au sérieux l’événement de la Résurrection. Paul dit donc : « Vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu ». Mais aussi, « vous êtes ressuscités avec le Christ. Recherchez donc les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu ».
En cherchant à vivre devant Dieu (« réalités d’en haut »), nous témoignons donc de l’Espérance face au désespoir du monde : puisque nous participons à la Victoire du Christ sur le mal et sur la mort. Au matin de Pâques, au jour de la Résurrection, demandons au Seigneur que notre vie, et la vie du monde, soient renouvelées par sa Vie !
Les homélies du temps du Carême
Baptême de 17 catéchumènes
Le long chemin de l’homme vers Dieu
Voici donc la Vigile de Pâques, cette soirée où nous prenons le temps d’écouter longuement la Parole de Dieu et de célébrer le Seigneur. C’est la célébration la plus longue de l’année, qui nous rassemble dans la joie, la paix et la prière ; mais si c’est la plus longue, c’est surtout parce que c’est la célébration la plus importante de toute l’année ! Nous avons eu quarante jours pour nous y préparer ; et vous, catéchumènes, vous avez eu encore bien plus de temps pour cheminer jusqu’à cette Nuit de grâce. La fête de Pâques est le jour central de toute notre année, elle colore chaque temps de l’année par l’Espérance de la Résurrection ; et chaque dimanche, bien sûr, est une “petite fête de Pâques” qui rythme notre vie. En cette Nuit, il est bon de prendre ce temps pour écouter, pour méditer, pour prier ; et surtout, pour recevoir la Grâce que donne la Résurrection du Christ.
Ce que nous célébrons ce soir, c’est comme le point d’orgue de toute l’histoire des hommes qui marchent avec Dieu. Les paroles, les promesses, les actions de Dieu pendant des siècles et des siècles, s’accomplissent par la Résurrection de Jésus. La longue relation que Dieu a voulu nouer avec les hommes ; les actes de foi, d’amour, mais aussi les infidélités, les péchés, les violences : cette relation qui traverse les âges avec ses hauts et ses bas, tout cela trouve son point culminant au matin de Pâques, lorsque quelques femmes tristes s’aperçoivent qu’un tombeau est vide.
Cette longue histoire est l’histoire de l’Amour de Dieu pour tous les hommes ; mais elle est aussi le récit des hommes qui apprennent à connaître Dieu, et à comprendre le sens du projet divin. Nos contemporains qui pensent que le monde “marche tout seul”, qu’il vient du hasard et retourne au néant, ne comprennent pas cette histoire : la suite des événements du monde, si Dieu n’y est pas présent, n’a aucun sens. D’où venons-nous, où allons-nous ? Il faut que le Seigneur se révèle à nous, progressivement, au fil des siècles, pour nous faire comprendre tout cela. Mais nous devons aussi accepter de regarder vers le haut, d’écouter le Seigneur qui nous dit l’ensemble de son projet d’Amour. Si nous restons le nez collé sur les événements de chaque jour, nous ne laisserons pas de place à la Parole du Seigneur qui explique le sens de notre vie et du monde. Mais en connaissant le Seigneur qui se révèle, nous prenons en même temps le chemin de la Vérité.
Et vous, catéchumènes (qui dans un instant, par le Baptême, deviendrez des néophytes – nouvelles plantes !), vous avez choisi de prendre ce chemin. Vous avez décidé, avec la grâce de Dieu, de chercher vous aussi le sens de votre vie. Dans notre monde où le bonheur semble être donné par la possession, par la consommation, par les plaisirs, vous avez ressenti que quelque chose (ou plutôt Quelqu’un) vous appelait à aller plus loin et plus haut. Et peu à peu, le Seigneur vous a éclairés à la foi, à la conversion, à l’Amour qu’Il vous propose. Votre histoire personnelle ressemble à celle du peuple d’Israël, guidé inlassablement par la Parole de Dieu.
Saint Paul, dans une de ses Lettres, écrit qu’« en Jésus se trouvent tous les trésors de la sagesse et de la connaissance » [Col 2,3] : chercher la sagesse, chercher à vivre dans la Vérité, c’est une quête qui ne cessera jamais. Mais il faut toujours continuer à avancer, sans jamais se lasser ! Aucun de nous ne possède maintenant ces trésors de sagesse, aucun de nous n’a évidemment réponse à toutes les questions de l’homme. Mais ce qui est certain, c’est que toutes les réponses à nos questions se trouvent en Jésus, le Fils de Dieu ; et qu’Il veut les partager avec nous. En nous mettant à sa suite, nous prenons la direction de la Sagesse et de la Vie. Dans l’écoute de sa Parole, dans la prière, jour après jour ; avec la Grâce du Baptême que vous allez recevoir ; vous pourrez continuer à avancer, entourés par vos frères chrétiens, jusqu’au jour final de la Rencontre avec Celui que vous cherchez.
En cette Nuit très sainte, nous prenons donc le temps de méditer sur les chemins où la Sagesse de Dieu a conduit les hommes ; et nous y reconnaissons notre propre chemin, qui s’accomplit lorsque nous ressuscitons par le Baptême.
- En premier lieu, il y a ce magnifique récit de la Genèse, ce récit de la Création qui nous dit tant de vérités à travers un langage symbolique. Si nous existons, si nous pouvons vivre, penser, aimer, c’est parce que le Seigneur nous a voulus tels que nous sommes, « à l’image de Dieu ». Nous sommes faits par Amour et pour aimer ; nous sommes créés par Dieu et pour Dieu. C’est notre vocation immense, notre dignité que rien ne pourra jamais nous enlever. L’homme est le couronnement de la Création, il est fait pour vivre avec son Dieu ; et nous devons rejeter tout ce qui nous empêche d’accomplir cette vocation, tout ce qui nous sépare de Dieu.
- Ensuite, nous avons entendu la délivrance du peuple d’Israël sous la conduite de Moïse. Un épisode qui paraît cruel, avec une poursuite et des noyades… Mais au-delà du récit et des images, il y a le projet libérateur de Dieu, qui veut délivrer l’homme de ses servitudes. Le péché nous éloigne de Dieu, il nous soumet au démon (personnalisé par le Pharaon) ; en passant par l’eau du Baptême (qui est l’eau de la mer Rouge), l’homme est libéré, pour vivre une vie nouvelle devant le visage de Dieu.
- Le passage du prophète Ézéchiel est aussi très parlant : « Je répandrai sur vous une eau pure, vous serez purifiés de toutes vos souillures, de toutes vos idoles ». Le Seigneur ne se résout pas à ce que notre cœur soit souillé par le mal : Il ne cesse de nous purifier par l’eau du Baptême et par les autres sacrements.
Et puis enfin, c’est la Bonne Nouvelle de la Résurrection, que l’homme attendait depuis des siècles. Comment Dieu fera-t-Il pour donner la Vie éternelle à ses enfants, afin que plus jamais ils ne soient séparés de Lui ? Le Seigneur accomplira son projet en venant au cœur de l’humanité, en partageant ses incertitudes et ses souffrances ; en acceptant de prendre sur Lui les conséquences du péché, depuis le début de l’histoire de l’humanité. En Jésus, l’homme mortel, souffrant, devient vainqueur de la mort ; ceux et celles qui n’y croyaient plus, dans l’Évangile, sont bouleversés par cette Victoire finale. Dieu est intervenu définitivement dans l’histoire des hommes : toute la condition humaine en est transformée.
Désormais, l’histoire d’infidélités devient une histoire de grâce ! En cette Nuit de Pâques, nous continuons cette histoire, et nous allons vers sa conclusion éternelle. Et vous catéchumènes, c’est à vous d’entrer dans cette histoire ! Vous allez recevoir le Baptême, ressusciter avec Jésus, être réconciliés avec Dieu et vainqueurs du péché : en vous la promesse de Dieu va s’accomplir pour l’Éternité.
Vous avez répondu à l’appel de Dieu, Il comble aujourd’hui votre cœur. Vous devenez pleinement des disciples du Christ : que sa Résurrection vous transforme. Saint Paul vient de nous le dire, et c’est à vous qu’il s’adressait : « Vous êtes morts au péché, et vivants pour Dieu en Jésus Christ ». Soyez des vivants sous le regard de Dieu !
Dignité de l’homme dans la souffrance
Si nous faisons l’effort, en ce Vendredi Saint, de suivre Jésus jusqu’à la Croix, ce n’est pas pour le plaisir de voir quelqu’un souffrir. De la même manière, nous avons fait des efforts de Carême depuis quarante jours ; et le but de tout cela n’était pas de battre des records d’ascèse. Tout ce que nous essayons de vivre sous le regard du Seigneur, c’est toujours pour faire grandir l’amour. Et aujourd’hui, en contemplant Jésus crucifié, nous devons ressentir un désir : celui de répondre à l’Amour qui nous est offert. Le Christ a donné sa vie pour tous les hommes : et Le suivre dans son chemin de Croix, doit nous aider à être, à notre tour, plus humains, c’est-à-dire remplis d’amour et de compassion pour les hommes.
La Croix est l’endroit essentiel où la dignité de l’homme est affirmée sans condition. Le Fils de Dieu a voulu se faire homme, en commençant comme chacun de nous par le sein maternel ; cela donne une dignité unique à toute la condition humaine. Tous les hommes, de tous les âges (y compris avant la naissance) ; de toutes les races et civilisations ; les riches comme les pauvres, les forts comme les faibles ; et surtout, quel que soit l’état de santé dans lequel nous soyons : tous les hommes deviennent les frères du Fils de Dieu. Même au plus profond de la souffrance, de l’abandon – puisque Jésus a éprouvé Lui-même l’injustice de la condamnation, l’abandon, la solitude… –, même dans la détresse de la Croix, l’humanité reste infiniment digne, puisqu’elle est renouvelée à l’image du Christ.
Dans l’Évangile selon saint Jean que nous avons entendu, il y a en particulier cette entrevue entre Jésus et Ponce Pilate : d’un côté, la faiblesse d’un condamné, de l’autre côté la puissance de l’Empire romain. Et pourtant, Jésus affirme sa royauté, bien plus grande que celle de l’Empereur : « Ma royauté n’est pas d’ici […] Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». Il n’est pas un esclave qu’on met à mort, ni un condamné sur lequel Pilate a tout pouvoir. Jésus redit qu’Il est Roi, et qu’à travers Lui l’homme est plus grand que les autorités politiques. Personne ne peut disposer d’une personne humaine, la réduire en esclavage, ni la posséder : Jésus, en donnant sa vie librement sur la Croix, affirme que rien ne peut atteindre la grandeur de l’homme.
Cet Office du Vendredi Saint nous appelle donc, plus que jamais, à dépasser les apparences : nous devons nous souvenir que nous sommes créés à l’image de Dieu, et que rien ne peut nous enlever notre dignité. Aux yeux du monde, la vie souffrante ne vaut plus la peine d’être vécue ; la vie “gênante”, qui ne correspond pas aux projets qu’on avait, peut être éliminée. C’est exactement ce qui se passe pour Jésus ! Il est considéré comme gênant, Il est conduit à la souffrance, pour être éliminé. Sa vie ne semble plus avoir de valeur. C’est ce qu’annonçait le prophète Isaïe [première lecture], « Défiguré, il ne ressemblait plus à un homme ; nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé ».
Même si la vie humaine traverse des épreuves, elle est toujours digne, et c’est ce dont témoigne Jésus. Sur la Croix, Il continue de prier son Père ; Il dialogue avec sa Mère, avec l’Apôtre Jean. Seul l’homme peut dialoguer avec Dieu et avec ses frères, quelles que soient ses souffrances. On ne dialogue pas avec un animal, on ne dialogue pas non plus avec une “Intelligence Artificielle” (malgré les apparences !). Le visage de l’homme, comme le visage de Jésus dans la prière et dans l’adoration, ce visage est le seul avec lequel on peut avoir un véritable face-à-face.
Soyons donc au pied de la Croix, aujourd’hui et en tous temps : car par la Croix seulement, nous pouvons vivre en vérité notre vocation d’homme sous le regard de Dieu. Sans la Croix, notre amour aura toujours des limites, notre compassion s’épuisera vite : nous en resterons aux apparences. Jésus, en donnant sa vie, nous redonne en même temps notre vraie dignité. Même dans la souffrance, rien ne dépasse l’homme fait à l’image de Dieu : et cet homme, finalement, à travers la Croix, sera conduit à la Résurrection.
Charité et Espérance
Chaque année, nous accompagnons le Seigneur Jésus tout au long des événements de la Semaine Sainte. Nous avons commencé ce chemin il y a quelque temps, avec le mercredi des Cendres ; puis de manière plus proche, avec les Rameaux dimanche dernier. Jésus est désormais entré à Jérusalem, et Il sait bien que les acclamations qui l’ont escorté sur le chemin vont bientôt céder la place aux cris de haine et à la condamnation à mort. Il est conscient de ce qui va se passer, puisque sa mission consiste à réconcilier le monde avec son Père : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » [Jn 12,32]. En cette dernière semaine, nous continuons donc de Le suivre à travers ses dernières paroles, ses derniers enseignements, ses derniers gestes de Miséricorde.
Le Jeudi Saint est un point culminant de cette semaine, à travers les épisodes que nous avons entendus au cours de cette messe : ces deux gestes, qui ont l’un et l’autre la même signification. Le premier geste, celui qu’on retient le plus souvent, est rapporté par les Évangélistes Matthieu, Marc et Luc, et aussi par saint Paul dans notre lecture de ce jour : c’est l’institution de l’Eucharistie : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ». Et puis le second geste n’est raconté que par saint Jean, et nous venons aussi de l’entendre : c’est l’action si étonnante de Jésus qui veut laver les pieds de ses disciples (même si Pierre et les autres en sont choqués). Il s’agit d’un enseignement, non en paroles mais en actes ; et ces deux gestes traduisent la même réalité, celle de l’Amour de Dieu pour tous les hommes.
Pourtant, l’Amour de Dieu, nous avons peut-être tendance à ne plus savoir ce que cela veut dire : c’est une expression un peu usée à force d’être utilisée ! Si nous voulons revenir à la source, c’est donc le bon moment ; car cette Semaine Sainte est la période la plus importante de toute l’année. Ce que dit, ce que fait Jésus en ce moment, doit éclairer tout le reste de l’année. C’est à travers ces événements que Dieu se dévoile à nos yeux ; c’est là que l’Amour de Dieu prend toute sa dimension. C’est maintenant que nous comprenons qui est Dieu, que nous apprenons comment vivre dans l’Amour. On peut toujours se faire des idées sur Dieu, avoir des images d’un Dieu fort, un peu distant, éloigné… Ce soir, nos idées fausses se brisent devant la réalité du Dieu qui se révèle à nous.
Voici donc le moment le plus important de l’année : c’est là que Dieu se montre tel qu’Il est au plus profond de son Cœur : pauvre, souffrant, serviteur des hommes. Il révèle ainsi son Amour, sa Charité. Donc l’Amour de Dieu, c’est servir, donner sa vie, se donner, aller jusqu’au bout, et même passer par les souffrances et l’agonie. Même si ce don n’est pas confortable, même si l’Amour de Dieu n’a rien de romantique, c’est cela qui nous est présenté comme modèle de tout amour. Il n’y pas d’amour véritable, s’il ne puise pas sa source dans la Passion du Christ.
Tout cela change profondément notre manière de vivre. Si nous voulons aimer vraiment (en couple, en famille, et même dans nos autres relations), il s’agit d’imiter Jésus : de faire de notre amour une offrande, c’est-à-dire un don de soi. Dans la Loi de Moïse [première lecture], le sacrifice de l’agneau de la Pâque était un acte essentiel de l’adoration de Dieu ; et c’était aussi une anticipation de Jésus, l’Agneau de Dieu [Jn 1,29]. Maintenant, l’amour est un sacrifice, c’est-à-dire une offrande à Dieu : « Aimer Dieu, aimer son prochain, vaut mieux que tous les sacrifices » [Mc 12,33]. Jésus nous a tout donné en ce soir du Jeudi Saint : son service, son Corps et son Sang, sa vie. Avec Lui, nous savons désormais ce que signifie “aimer” : offrir au Seigneur, et à nos frères, tout l’Amour qu’on a reçu de Lui. Y compris lorsque l’offrande est difficile, lorsque le service est ingrat : notre vocation est toujours de répondre par l’amour et par le service, aux disputes et aux offenses.
Mais il y a aussi une autre dimension essentielle, et elle nous est rappelée par le thème de l’année jubilaire : c’est l’Espérance. Jésus, en donnant sa vie par Amour, a sauvé le monde, Il a réconcilié les hommes avec Dieu ; cela veut dire que si nous aimons comme Lui, nous œuvrons aussi au salut du monde, à la réconciliation des hommes. Aimer, c’est entrer dans le grand mouvement de réconciliation de toute la Création avec Dieu. Nous pouvons donc espérer, c’est-à-dire être certains que nos efforts à la suite de Jésus portent du fruit dans l’Éternité. Rien n’est jamais perdu, puisque le Seigneur conduit le monde vers la Vie !
Le Jeudi Saint est la fête de l’Amour de Dieu. Ce soir, nous percevons de manière plus claire que la confiance, l’Espérance en Dieu, nous conduisent à aimer véritablement comme Dieu nous a aimés. Que la Foi, l’Espérance, l’Amour, soient nos guides à la suite de Jésus !
Dimanche des Rameaux
Accueillir le Christ dans l'Espérance
En ce jour des Rameaux, nous avons en quelque sorte une “double célébration” : celle de l’entrée de Jésus à Jérusalem, pleine de joie et de chants, et celle de la Passion du Christ, remplie de tristesse et de souffrances. Dans la joie, n’oublions pas les difficultés ; et dans la souffrance, gardons en mémoire la joie de la foi ! Mais dans toutes les situations, c’est toujours en écoutant le Christ, en nous mettant à sa suite, que nous trouvons le vrai sens de notre existence.
Nous sommes donc invités à suivre Jésus, c’est l’essentiel de notre foi. Le suivre dans son entrée triomphale à Jérusalem, et Le suivre jusqu’au bout du don de soi. C’est d’abord Lui, bien sûr, qui a voulu nous suivre (et même nous précéder) dans toutes les étapes de notre vie humaine : il n’y a pas d’événements, aucune circonstance dans lesquels le Seigneur soit absent. Dans les joies comme dans les peines, nous pouvons toujours compter sur Lui.
Aujourd’hui donc, à quelques jours de la Passion, l’Évangile nous retrace cet accueil magnifique que les habitants de Jérusalem ont donné à Jésus. Il est bon de s’imaginer la scène : la gloire et la joie, les chants et les cris ; le petit âne monté par Jésus, et les manteaux qu’on jette sous ses pas. Les gens acclament Jésus, nous dit l’Évangile, « pour tous les miracles qu’ils avaient vus » ; et ils crient : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur ! ».
Cette foule qui crie sa joie, bien sûr, c’est déjà nous, lorsque nous vivons pleinement notre foi. Et quand la foule, cinq jours plus tard, criera : « Crucifie-le ! », ce sera encore nous, lorsque nous péchons et que nous refusons la présence du Seigneur. La mission de Jésus est accompagnée par cette foule versatile. Tous les hommes entourent Jésus, pour Le louer ou pour Le rejeter, et c’est encore vrai aujourd’hui : Jésus ne laisse personne indifférent, certains consacrent leur vie par amour pour Lui, et d’autres Le combattent avec rage.
Accueillons donc Jésus en ce jour à Jérusalem. Pourquoi L’accueillir ? Parce qu’Il est le Sauveur. L’accueillir dans la joie, avec les foules, c’est reconnaître que nous avons besoin d’être sauvés. Les foules ont été témoins de ses guérisons, de ses miracles ; et elles l’acclament car elles savent qu’Il peut encore les guérir. Nous aussi, en L’accueillant, nous savons qu’Il est capable de nous guérir, de nous sauver, aujourd’hui comme hier. Ainsi, nous manifestons notre Espérance : car l’Espérance [thème de cette année jubilaire] consiste d’abord à faire confiance, à croire à la puissance de Celui qui vient nous sauver. Il est le Messie, le Roi qui vient, et rien ne peut plus nous désespérer. Il va nous sauver comme les foules l’espèrent : Il peut les sauver des maladies, des infirmités, de l’occupation romaine, de toute adversité ; et finalement Il va nous sauver de la mort éternelle par sa mort et sa Résurrection.
Si nous l’accueillons, nous vivons pleinement dans l’Espérance née de la foi : le jour des Rameaux est un jour d’Espérance. Et lorsqu’Il sera rejeté, comme au jour du Vendredi Saint, ce sera un chemin de péché et de désespoir. N’ayons donc pas peur de L’accueillir avec joie : Il vient nous déranger, mais surtout transformer notre cœur et nous sauver de l’enfermement. Quels que soient nos péchés et nos refus, accueillons-Le dans l’Espérance : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »
5ème dimanche de Carême
Voici que je fais toutes choses nouvelles !
« Moi non plus, je ne te condamne pas » : c’est sans doute l’une des paroles les plus importantes de toute la Bible. L’Évangile nous montre la confrontation du Fils de Dieu avec une adultère : la sainteté face au péché ! On s’attendrait à des réprimandes, des reproches, une malédiction… et voilà cette parole toute simple, qui en quelques mots exprime la profondeur du Cœur de Dieu : « Je ne te condamne pas » ; en d’autres termes, tu peux changer de conduite, tu es plus grande que ton péché. C’est ce qui fera toujours la différence entre la foi en Jésus, et toutes les autres traditions spirituelles. On peut se faire des idées, imaginer qui est Dieu, inventer des religions et des pratiques ; mais seul le Christ révèle aux hommes le visage miséricordieux du Père.
Il nous est bon, en Carême, d’entendre ce passage d’Évangile pour continuer notre chemin de conversion. Cette femme se croyait perdue, condamnée (et elle l’était aux yeux des hommes !) ; elle se croyait même abandonnée par Dieu. Et voici qu’elle retrouve la vie et le respect. Jésus lui rend sa dignité, de la même manière que le père miséricordieux le faisait dans l’Évangile de dimanche dernier : « mon fils était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! ». C’est ce que nous sommes invités à vivre au cours de ce Carême. La Miséricorde de Dieu n’est pas seulement un pardon qui “efface les fautes” comme une éponge : c’est une “re-création”, une création nouvelle [et c’est exactement cela que vous vivrez, vous catéchumènes, au jour de votre Baptême : une nouvelle création]. Quand Jésus dit : « Ne pèche plus », cela signifie aussi : « Désormais, tu as en toi la force de résister au péché, puisque tu as été recréée, renouvelée par Dieu ».
Cette nouveauté, cette re-création, s’exprime par le geste énigmatique que fait Jésus pendant qu’on lui parle : « Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre ». On a beaucoup réfléchi sur ce geste ! On peut l’interpréter de deux manières. Ce que Jésus écrit par terre, cela peut être la Loi nouvelle, comme Dieu avait gravé les Tables de la Loi avec son doigt [Ex 31,18] : une Loi de Miséricorde, désormais écrite par Jésus à travers le don de sa vie. Ou bien, autre interprétation : Jésus pétrit la terre de son doigt, comme Dieu avait modelé l’homme de la terre [Gn 2,7] : ainsi, Il recrée la nature humaine à partir de la poussière. De toute manière, quelle que soit la signification de ce geste, Jésus opère une Création nouvelle en rétablissant la femme adultère dans sa dignité.
Déjà, dans le Livre du prophète Isaïe [première lecture], nous avons entendu parler de cette nouveauté créée par Dieu : « Ne songez plus aux choses d’autrefois : voici que je fais une chose nouvelle, elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? ». Ce monde nouveau est décrit par le prophète de manière imagée : les déserts se transforment en chemins et en fleuves abondants ; les guerriers, les troupes et les chevaux s’effondrent. Dieu règne sur un monde de joie et de paix. C’est un monde qui est nécessairement nouveau, car sans la présence de Dieu, il va à sa perte : seule la Miséricorde de Dieu a le pouvoir de réconcilier, de renouveler définitivement le cœur de l’homme.
Cette nouvelle Création s’inscrit dans la Création ancienne : Dieu ne contredit pas sa propre Œuvre, mais Il l’accomplit. Il nous prend où nous sommes, tels que nous sommes, pour nous conduire à la Vie nouvelle. Quand Jésus pardonne à la femme adultère, Il lui dit aussi : « Ne pèche plus » : le péché reste un péché [et nous savons aussi que Jésus est très sévère en ce qui concerne le mariage, Mt 19,9], mais la Miséricorde est plus grande que le péché.
Ainsi, notre chemin de Carême consiste à accueillir la Miséricorde du Seigneur au cœur de nos vies. Nous avançons vers la fête de Pâques, et la Résurrection de Jésus nous donnera ce « monde nouveau » auquel nous aspirons [et que vous recevrez par le Baptême]. C’est pourquoi, en particulier, le Carême nous permet de renoncer à certains “petits plaisirs de la vie” : il s’agit d’oublier l’accessoire pour nous attacher à l’essentiel ! Nous avons l’exemple de saint Paul, qui parle de son itinéraire spirituel à ses amis Philippiens [deuxième lecture] : « Les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. J’ai tout perdu afin de gagner un seul avantage, le Christ ». Tout s’efface devant la connaissance du Christ, si nous comprenons à quel point Il peut transformer notre vie. Avec Lui nous pouvons mourir, car nous savons que nous allons ressusciter avec Lui à Pâques.
En Jésus, tout est nouveau, tout est renouvelé : nos péchés sont pardonnés, nous sommes libérés de nos faiblesses, et même le bien que nous faisons est transfiguré par la Miséricorde. « Va, et désormais ne pèche plus » : allons vers Pâques dans la pureté du cœur.
4ème dimanche de Carême
Traverser le Carême pour grandir dans la foi
« Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : j’ai péché contre toi ». Le Carême est le moment où nous prenons conscience de notre péché, et où nous faisons grandir notre désir d’être sauvés. Les recettes spirituelles traditionnelles (jeûne, partage, prière) ne sont là que pour nous aider à avancer sur ce chemin. Être conscient de son péché, examiner sa vie, se rendre compte de ses insuffisances, ce n’est pas se morfondre dans des “pensées négatives” ! Le Carême n’est pas une période triste, mais un temps de joie, comme ce dimanche nous le rappelle plus clairement. S’il est si important de reconnaître le mal que nous faisons, c’est d’abord pour accueillir le pardon du Père : « Mon fils était perdu, et il est retrouvé ! ».
Nous devons garder les yeux fixés sur la Résurrection qui vient ; et pour vous catéchumènes, sur le Baptême qui vous fera ressusciter avec le Christ. Ainsi, avec le but devant les yeux, nous pouvons traverser ce Carême dans la paix. Sans cela, le désespoir nous guette ! Car le Carême est toujours un temps d’épreuve, un temps de lutte contre le mal, et les forces du Mal sont à l’œuvre pour nous décourager. Qui d’entre nous n’a pas déjà expérimenté le Carême comme une période difficile ? Souvent les choses semblent de plus en plus dures à vivre, des contrariétés nous frappent, des tentations nous assaillent [c’est probablement vrai pour vous, catéchumènes, de manière particulière] : ce sont des pièges pour nous décourager, mais le Seigneur est toujours là si nous Le prions.
En réalité, ce passage du Carême est nécessaire pour nous faire grandir dans la foi : pour que nous apprenions, année après année, à ne compter que sur la Miséricorde du Seigneur. Il nous attend à la porte de sa maison, comme le père de la parabole : après avoir traversé les épreuves – celle du doute, celle du découragement, celle du péché –, nous pouvons nous jeter dans ses bras comme des enfants bien-aimés. Le Baptême, force de Résurrection, ne se limite pas à nous donner le pardon des péchés : il nous renouvelle entièrement, et fait de nous des enfants de Dieu. Comme l’écrit saint Paul aux Corinthiens [deuxième lecture], « dans le Christ, [nous sommes] une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né ». Avec Jésus, il faut traverser les obstacles de la vie, particulièrement notre difficulté à croire ; et avec Lui, nous devenons des créatures nouvelles.
Saint Paul écrit encore : « Tout cela vient de Dieu […] Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! ». L’initiative vient de Dieu, mais de notre côté, nous ne sommes pas passifs : nous pouvons agir, coopérer avec Dieu dans la foi. Si nous gardons notre foi, notre Espérance, notre amour au long de ce Carême, nous ressentirons à quel point la Résurrection du Christ nous transforme entièrement : nous sommes rendus capables d’aimer, de donner, de pardonner, de nous réconcilier, à un point qui nous semblait impossible. Et vous, futurs baptisés, vous recevrez une force nouvelle de l’Esprit saint pour vivre dans la Vérité du Seigneur. Après avoir grandi, comme catéchumènes, dans la connaissance de Dieu et de son Amour, vous deviendrez comme “adultes dans la foi” ! Il fallait traverser ce Carême pour arriver à la maturité de la foi, à la force intérieure qui ne vient pas de nous, mais de Dieu. Cette force, c’est le courage, la constance, et surtout la joie dans laquelle le Seigneur nous maintient.
Nous avons entendu, dans la première lecture [Livre de Josué], une histoire de passage : qui bien sûr nous rappelle notre Carême et le passage vers la Résurrection. Les Israélites ont traversé le désert, ils sont arrivés aux portes de la Terre promise ; et après avoir célébré la Pâque, voici qu’il advient quelque chose de nouveau. Ils ne reçoivent plus la manne, qui était la nourriture du désert, quand ils étaient encore faibles dans la foi. Désormais, ils mangent les fruits du pays, ils cultivent la terre ; ils sont devenus responsables, libres, adultes dans leur relation avec le Seigneur. Bien sûr, c’est encore la Grâce de Dieu qui les accompagne, et ils auront toujours à progresser dans la foi ! Mais le Seigneur veut qu’ils se prennent en main, qu’ils soient forts et actifs, accomplis et sérieux dans leur vie quotidienne. Dieu ne veut pas un peuple d’esclaves, mais un peuple d’hommes libres, adultes, mûrs dans la foi !
En ce Carême, revenons donc vers notre Père, conscients de notre péché, mais plus encore heureux de sa Miséricorde. Nous devons faire ce passage, cette traversée qui nous conduit à la Résurrection et au Baptême ; et une fois arrivés à Pâques, nous serons des « créatures nouvelles », des hommes et des femmes adultes, joyeux, forts dans la foi, certains que le Seigneur est présent dans nos vies !
3ème dimanche de Carême
[1er scrutin pour les catéchumènes]
« Si vous ne vous convertissez pas »…
« Est-ce que ceux qui sont morts, tués par Pilate ou par l’écroulement d’une tour, étaient plus coupables que les autres ? » Telle est la question posée par Jésus : lorsqu’il y a une tragédie, est-ce une punition de Dieu qui touche les gens méchants ? Comment comprendre les drames et les catastrophes qui se déroulent autour de nous : guerres, attentats, tremblements de terre, inondations etc. ? Est-ce un signe de la colère de Dieu contre certaines personnes ? Ces questions sont très actuelles : il nous est bon de les entendre dans l’Évangile, car elles sont posées fréquemment de nos jours. Nous voyons que Jésus n’évite pas les sujets difficiles : Il ne se réfugie pas derrière des belles paroles. Quand Il parle, ce sont toutes nos questions qu’Il exprime, même celles que nous avons du mal à poser.
En ce temps de Carême, et après avoir entendu il y a quinze jours le combat de Jésus contre les tentations, nous ne pouvons pas éviter la question du Mal. C’est un problème extrêmement présent dans notre monde, comme à toutes les époques. Tout homme de bonne volonté se trouve confronté à ces interrogations : d’où le mal vient-il ? Et pourquoi touche-t-il certains et pas d’autres ? Si encore il n’y avait que les méchants qui souffrent, on pourrait l’accepter : cela voudrait dire que Dieu les punit. Mais évidemment, ce n’est pas le cas : ceux qui sont dans l’épreuve autour de nous n’ont rien fait pour cela. Même si trop souvent, on se demande : « Qu’ai-je fait au bon Dieu pour mériter cela ? » : nous savons bien que personne ne « mérite » ce qui lui arrive de douloureux.
C’est bien ce qu’affirme Jésus dans ce passage. Il ne dit pas que les victimes étaient des pécheurs : au contraire, Il reconnaît que ces pauvres gens n’étaient pas « plus coupables que les autres ». Il aborde d’ailleurs les deux aspects : le mal venu de la méchanceté des hommes (les massacres accomplis par Pilate), et aussi les “catastrophes naturelles” (la chute de la tour). Que la souffrance vienne des hommes ou de la nature, elle n’est en aucun cas une punition !
L’existence du mal (de toutes les souffrances) est un fait qui nous révolte ; et c’est bien normal. Mais est-ce que nous allons nous arrêter là ? Nous croyons en un Sauveur, nous croyons en Celui qui a donné sa vie pour nous délivrer : comment aller plus loin dans ce mystère, comment vivre dans un monde difficile en gardant notre confiance dans l’Amour de Dieu ? Jésus, après avoir parlé des drames et des morts, termine de manière simple et claire : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même ». Cela ne veut pas dire que les victimes avaient besoin de se convertir ; cela signifie que nous tous, nous avons sans cesse besoin de nous convertir. Et que ces morts tragiques sont une image de la mort finale, c’est-à-dire de la séparation de Dieu.
Face au mal, on peut se lamenter et en rester là ; mais on peut encore entrer dans son propre cœur pour comprendre que le mal est aussi là, en nous-mêmes ! Le mal est là quand on oublie le Seigneur ; le mal est là quand on préfère l’égoïsme à la sollicitude pour les autres ; il est là encore dans la colère, l’envie, l’orgueil et tant de choses… Les détresses qui nous entourent doivent nous inciter à scruter notre cœur pour déceler notre complicité avec le mal : c’est le sens des Scrutins [=« scruter »] que vivent les catéchumènes pendant le Carême. Oui, il y a de la souffrance, mais elle n’est pas extérieure à nous : nous sommes complices. Et pour nous préparer à Pâques [et au Baptême], il s’agit d’entrer dans un chemin de conversion, de rejet du mal.
Et Dieu, où est-Il dans tout cela ? Là aussi, nous avons à vivre une conversion du regard : le Seigneur n’est pas à la source du mal, Il ne veut pas le mal ; et Il n’est pas non plus indifférent au mal ! L’expérience de Moïse, dont nous avons entendu le récit dans la première lecture, c’est justement la rencontre avec un Dieu qui n’est pas comme on se L’imaginait. Les Hébreux pensaient que Dieu les avait abandonnés : mais le Seigneur dit à Moïse : « J’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu ses cris, je connais ses souffrances ; et je vais le délivrer ». Dieu éprouve la douleur des hommes, Il n’est pas un Souverain qui règne à distance : Il se penche vers nous, Il s’occupe de nous avec toute sa sollicitude. La promesse faite à Moïse, la Victoire définitive, sera entièrement accomplie par Jésus : Il viendra partager nos souffrances, donner sa vie jusqu’au bout de l’Amour.
Oui, le mal existe, et nous le partageons ; mais le Seigneur est venu pour nous, Il a souffert, Il est mort, Il est ressuscité. Avançons dans ce Carême, et surtout préparons-nous aux Baptêmes qui vont venir : ils nous feront entrer dans la Victoire définitive contre le mal et la mort !
2ème dimanche de Carême
Vivre déjà comme des ressuscités
Jésus apparaît à ses Apôtres d’une manière nouvelle, Il devient « d’une blancheur éblouissante », les deux grands prophètes (Moïse et Élie) lui parlent, et la voix du Père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils, écoutez-le ! ». C’est un épisode mystérieux que nous entendons chaque année au deuxième dimanche de Carême : celui de la Transfiguration. Les Apôtres eux-mêmes ne comprennent pas de quoi il s’agit, et sont « saisis de frayeur ». Lorsque Jésus ressuscitera, ils comprendront que cet épisode était en fait une anticipation : une manifestation de la Gloire de Dieu, une vision de la Résurrection. Pour nous comme pour les Apôtres, alors que le Carême a commencé, il est bon de regarder directement le but de ce Carême : dans cinq semaines, nous accueillerons la Résurrection, et nous entrerons pleinement dans la Gloire et la Lumière de Dieu. Il nous appelle à la Vie, Il nous conduit par la mort de la croix jusqu’à l’Éternité.
Notre vocation la plus grande, c’est de partager la Gloire de Dieu ; nous y sommes tous appelés, dans la mesure où nous devenons disciples du Christ. C’est ce que nous avons à garder devant les yeux pour orienter notre vie. Si nous oublions cette vocation, si nous sous-estimons la grandeur de l’Amour de Dieu, nous perdons le sens de notre vie, et nous nous laissons dominer par les ténèbres. C’est ce que saint Paul, dans la Lettre aux Philippiens [deuxième lecture], dit d’une manière catégorique. Il rappelle que « nous avons notre citoyenneté dans les cieux », et que le Christ « transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » [ainsi dans l’épisode de la Transfiguration]. Mais en même temps, Paul blâme sévèrement ceux qui oublient cette vocation extraordinaire : « Ils vont à leur perte ; leur dieu [c’est-à-dire leur idole], c’est leur ventre, ils ne pensent qu’aux choses de la terre ». Nous sommes donc invités à lever les yeux vers la Résurrection, vers la Vie qui nous est promise ; sans quoi nous nous enfermons dans notre désespoir.
C’est donc une question claire qui nous est posée aujourd’hui, en ce temps de Carême. Croyons-nous vraiment à la Résurrection ? Est-ce que nous mettons notre Espérance en Dieu, est-ce que nous croyons sincèrement qu’Il est capable de nous ressusciter, de transformer entièrement notre cœur et même notre corps, pour nous faire entrer dans la Lumière avec Jésus ? Nous parcourons ce Carême, mais si nous ne savons pas vers quoi nous allons, alors le Carême n’a aucun sens : nous faisons du sur-place !
La foi en Jésus ressuscité n’est pas une opinion ni même une connaissance : elle est une transformation de toute la vie par la force de la Résurrection. Croire en Jésus ressuscité, croire à la Victoire de la Vie sur la mort, doit nécessairement donner une orientation nouvelle à toute notre existence. Est-ce que cette foi conduit ma manière de vivre, ou bien est-ce que c’est juste une petite coloration spirituelle qui me permet de dire que je suis croyant ? Souvenons-nous des paroles de saint Paul : « Notre citoyenneté est dans les cieux ». Si nous sommes « citoyens des cieux », si comme les Apôtres nous avons vu la Lumière de Jésus, cela doit se voir, cela doit tout changer ; sinon, il ne sert pas à grand-chose de nous dire chrétiens.
C’est le Baptême qui a fait de nous des enfants de Dieu, et qui nous a fait entrer, avec Jésus, dans la Lumière de la Résurrection. Vivre comme des baptisés, c’est vivre en étant déjà ressuscités : nous ne sommes plus soumis au mal et au péché, nous sommes libres pour aimer vraiment ! Tous nos choix sont placés sous le regard du Seigneur. Par exemple, le mariage est un don de Dieu, que l’homme et la femme peuvent déjà vivre dans la Lumière de la Résurrection. L’amour humain est transformé – transfiguré ! – par le Christ ; il devient un nouvel amour, une participation à l’Amour de Dieu. Nous sommes appelés à ressusciter avec notre âme et notre corps : donc toutes les dimensions de notre vie, y compris les aspects les plus matériels, sont déjà entrés dans la Lumière de Dieu. C’est pour cela qu’on peut s’engager à la suite du Seigneur, et qu’on peut s’engager tout entiers dans le mariage ! Parce que, comme le dit saint Paul, notre « dieu » n’est pas notre ventre, c’est-à-dire la satisfaction de nos petits plaisirs : notre Dieu, c’est Celui qui éclaire déjà notre amour par la lumière de l’Amour de Dieu.
La voix de Dieu nous a donc parlé aujourd’hui : « Celui-ci est mon Fils, écoutez-le ». Au cours de notre chemin de Carême, écoutons le Seigneur Jésus, laissons-Le nous conduire. Il y a quelques petits efforts de Carême à faire… mais l’essentiel est déjà là, devant nous : nous sommes déjà ressuscités, nous sommes « citoyens des cieux », la Lumière de Dieu illumine toute notre vie. Vivons dans cette Lumière, n’oublions jamais de répondre à l’appel de Dieu !
1er dimanche de Carême
Désert, lieu de vérité
« Avec Toi, Seigneur, nous irons au désert ! » C’est le refrain traditionnel de ce temps de Carême, qui rappelle l’Évangile de ce dimanche : Jésus part au désert pour quarante jours, et « quand ce temps fut écoulé, il eut faim ». C’est notre démarche de quarante jours, un temps de réflexion, de prière, de conversion ; plus encore, un temps où la présence de Jésus doit se faire plus intense. Ce temps de désert n’est pas seulement un temps de retraite et de prière paisible : l’Évangile suggère que c’est aussi un temps de tentations et de combat, puisque Jésus a accepté de rencontrer le diable et de se confronter à lui. Saint Luc nous raconte de manière détaillée, après le Baptême de Jésus, les trois tentations dont Il a été victorieux ; ce sont les nôtres, car nous aussi nous serons tentés au cours de ce Carême.
On peut se demander pourquoi il faut aller au désert, si c’est pour y rencontrer la tentation ! Pourquoi Jésus Lui-même s’est-Il placé dans cette situation d’épreuve ? Ce serait bien plus agréable pour nous de rester “à la maison”, entourés de tout notre confort matériel, en profitant de l’existence, et en accordant au Seigneur une petite place tranquille et raisonnable dans notre vie. Au quotidien, nous ne sommes pas tellement tentés par le péché… peut-être parce que nous cédons trop facilement aux tentations.
Et pourtant, Jésus a voulu passer par cette épreuve du désert, de la privation, de la faim et de la soif. Et nous avons à Le suivre, parce qu’avec Lui il s’agit de faire la vérité sur nous-mêmes. Pour Jésus, le désert est une épreuve de vérité, car c’est là que commence clairement sa mission essentielle : être victorieux du Mal et du Démon. Quant à nous, la vérité de notre vie, c’est que nous sommes pleinement impliqués dans cette lutte contre le Mal : nous ne pouvons pas jouer l’indifférence, puisque le Mal est présent partout dans le monde. Les conflits, les violences, les injustices, ne sont pas des phénomènes extérieurs : ils nous touchent profondément, car c’est la même lutte entre le Bien et le Mal qui se déroule sous nos yeux, et dans nos cœurs. Nous devons chercher sans cesse, de toute notre âme, la paix et la réconciliation : c’est le seul remède contre les guerres.
C’est donc là que le dépouillement du désert est important, en essayant de vivre ce Carême à la suite de Jésus. Dans le désert, il faut faire la vérité : on ne se cache plus derrière les illusions, les distractions, les plaisirs fugaces… L’homme est seul dans le désert : seul face à son Dieu. C’est la même expérience qu’a vécue le peuple d’Israël au cours de son passage au désert [qui n’a pas duré quarante jours, mais quarante ans !]. Nous l’avons entendu dans la première lecture, avec le livre du Deutéronome : au cours de ces longues années, Israël a expérimenté sa faiblesse, son insuffisance, et surtout la fidélité de Dieu. Et Moïse rend grâce au Seigneur, au nom du peuple. Nous n’étions rien, dit-il, sinon un ramassis d’esclaves ; il a fallu ce passage au désert, pour nous dépouiller de notre faux orgueil, de nos illusions, et pour faire de nous un vrai peuple, rassemblé sur la Terre promise dans la joie de Dieu. Le temps du désert a été difficile, mais il a été nécessaire pour faire la vérité sur nous-mêmes.
Au désert, nous sommes seuls, mais nous comprenons peu à peu que nous ne sommes pas vraiment solitaires. Notre cœur est un lieu de combat, tenté par le démon de la méfiance et de l’égoïsme tout comme Jésus a été tenté ; et nous sommes aidés par la grâce de Dieu, puisque Jésus est passé par là avant nous. Comme les Hébreux, il faut passer au désert pour ressentir vraiment la victoire du Seigneur, et pour y participer.
Les trois tentations qui ont été infligées à Jésus sont les nôtres ; nous nous y reconnaissons, et le temps du Carême nous aidera à mieux les identifier, et à les vaincre. Le chemin de la victoire passe par la prière, bien sûr, et surtout la prière du Notre Père que Jésus nous a enseignée.
1/ La tentation du pain, c’est la tentation de mettre notre confiance dans les biens matériels en oubliant que tout vient du Seigneur : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de Dieu » : « Donne-nous notre pain de ce jour ». 2/ La tentation du pouvoir, c’est l’idée que la puissance vient de nous : nous oublions d’adorer Dieu, source de toute vie : « Que ton règne vienne ». 3/ Et la dernière tentation consiste à vouloir mettre Dieu à notre service, exiger qu’Il réponde à nos demandes et fasse notre volonté : « Que ta volonté soit faite ».
Que ces quarante jours soient donc un chemin de vérité, un chemin de conversion, et surtout un chemin de joie : quelle joie plus grande que de nous mettre à la suite de Jésus ? Avec Lui, partons au désert : nous mourrons et nous ressusciterons avec Lui.

