Retour sur la journée des fraternités locales

le samedi 1er décembre 2018

La Parole fonde la communauté

La Parole fonde la communauté

Enseignement du P. Cassiel Cerclé, prêtre du diocèse de Grenoble-Vienne et Christine Graven, responsable du service diocésain de Diaconie et Soin

  1. Les cathos et la Bible, “Je t’aime moi non plus”

Notre évêque nous invite à lire la Bible en petits groupes… En fait c’est assez nouveau dans l’Eglise. Quand vous parlez à certains prêtres plus agés, ils vous disent que dans les séminaires, il fallait une autorisation pour posséder une Bible entière. Les cours se faisaient à partir des saints dogmaticiens et de leurs successeurs, en utilisant des versets de la Bible simplement pour prouver la véracité d’un énoncé dogmatique.

Sainte Thérèse de Lisieux n’en avait à disposition que des fragments choisis, et les textes bibliques lus à la messe se confinaient à St Paul et aux évangiles (la plupart du temps lus en latin). C’est au long du 20ème siècle que peu à peu, avec lenteur et certitude, nous, les catholiques nous nous sommes réappropriés le livre des Écritures. Comme si, en nous, il y avait ou il y a encore peut être, une peur de la Bible.

  • Peur que la Bible soit compliquée et incompréhensible (ce qui est parfois le cas !)
  • Peur peut-être aussi qu’en étant seul à lire la Bible, nous puissions vite dévier et devenir hérétiques (voire même... protestants !)

Mais non, la bible n’est pas aux protestants, elle est aussi aux catholiques. Et nous devons, nous aussi peu à peu, redécouvrir ce trésor.
Plusieurs encycliques, et ensuite le concile Vatican II, vont réaffirmer chacun à leur tour et à leur manière, l’importance de lire la Bible pour la vie chrétienne et de la lire largement !
Le temps est venu où nous pouvons à nouveau nous familiariser avec les Saintes Écritures, les ruminer, se laisser labourer par elles, car elles sont Parole de Dieu pour nous.

Lire la Bible, c’est comme une grande randonnée en montagne. Parfois c’est aride, ça monte, les paysages ne sont pas si beaux que ça, et parfois on arrive à un sommet ou d’un coup nous avons une vue imprenable et le sentiment d’être unique aux yeux de Dieu. Et, comme en montagne où faire plusieurs sommets nous donne un panorama différent et nous montre une face différente des sommets qui nous entourent, parcourir les sommets des Écritures les éclairent les uns les autres pour mieux connaître le visage du Christ.
En somme, c’est une randonnée sur la montagne sainte que nous vivons à chaque fois que nous ouvrons les Écritures dans notre fraternité locale.

  1. En fraternité biblique, quelle est notre attitude ?

Nous voici réunis autour d’une table ou dans des fauteuils d’une salle de séjour. Chez quelqu’un, un voisin, un ami,... Nous avons partagé des nouvelles, des joies et des inquiétudes de nos vies, notre stress ou notre fatigue, les nouvelles de notre quartier, de notre paroisse, une information du monde qui nous intéresse. Nous avons partagé une soupe ou un gâteau …

Et voici, c’est le moment du partage biblique. On ouvre le livre, on cherche la page, on n’a pas les mêmes éditions, les mêmes textes, ou on lit la feuille commune. On se concentre. L’un de nous lit le texte à voix haute. Le texte devient parole, il sort du livre, il résonne dans la pièce, il parvient à nos oreilles. …

Nous voici ensemble, ce groupe que nous formons autour de la table, comme en position d’explorateurs. Comme si nous avancions en terre inconnue. Oh, bien sûr, la plupart du temps, et pour beaucoup d’entre nous, on la connait l’histoire. On nous l’a déjà racontée, on l’a lue à l’Eglise, on l’a lue dans un temps de prière. On connait les personnages, les paysages, les péripéties, les bons mots. Mais au moment de la lecture à voix haute, déjà, nous entendons le texte comme jamais nous ne l’avions entendu. Le lecteur insiste sur tel mot, met le ton, met en valeur une phrase qui nous paraît inconnue. "Tiens, je n’avais jamais remarqué qu’il y avait cette phrase dans ce texte !".

Et là, entre les pages, entre les mots écrits sur la page, une chose neuve va se dévoiler. Quelque chose de neuf parce que nous allons lire le texte aujourd’hui avec ce que nous sommes ce jour là, avec nos soucis, nos tranquillités. Nous allons lire aujourd’hui avec ces autres lecteurs autour de la table, et avec eux nous n’avons pas encore fait ce voyage. Avec eux le texte va se montrer sous un nouveau jour.

Alors, comme en terre inconnue, comme si nous avancions dans une jungle bruissante et mystérieuse, où nulle route n’a été tracée. Nous allons ouvrir grand nos yeux, nos oreilles, notre odorat, tous nos sens sont en alerte, nous voici aux aguets. On a la carte, on a des photos vues du ciel de ce petit carré de forêt. Mais la découvrir, au rythme de nos pas, à ras du sol, avec ces compagnons là, avec cette météo du jour là, cela va être un voyage unique. Nous allons percevoir des choses dont on ne parle pas dans les récits, qui n’apparaissent ni sur le plan, ni sur la photo. Une odeur, une lumière, un son … L’un de nous va attirer notre attention : « Ecoute, regarde, sens, arrête toi, tourne la tête, viens de ce côté … ». Et cela va créer un instant unique dont nous allons rester marqués.

Curieux, le cœur grand ouvert, voilà l’attitude qui est la nôtre lorsque l’on ouvre le livre à plusieurs. Le livre qui devient ainsi, une Parole. La Parole d’un Vivant.

Comme des explorateurs, nous allons écouter, regarder les autres. Chacun des membres de cette assemblée domestique, chacune de ses paroles à lui, chacune de ses paroles à elle. A notre tour, nous allons chercher à exprimer ce que nous avons compris, entendu dans le texte. Ce qui nous a touchés. Et ainsi, nous allons dévoiler aux autres une parcelle qu’ils n’avaient pas encore visitée.

Ce n’est pas le lieu de discuter à l’infini de l’exactitude des choses, encore moins de chercher à convaincre que ma lecture est la bonne. Au contraire, il se construit là une lecture qui est celle de notre groupe, il s’entend là une Parole, celle de ce jour, pour chacun de nous. Se laisser entrainer dans ce petit coin, cet endroit précis que nous désigne l’autre, le regarder attentivement car nous étions passés à coté sans le voir. Cela nous déplace, nous entraine ailleurs. Cela nous éclaire, nous laisse entendre qu’il y a encore à découvrir. Cela peut nous questionner, nous déranger, nous contrarier. Laissons-nous entrainer là où nous n’avions pas prévus d’être entrainés.

Car c’est bien là, dans cette attitude d’ouverture, de découverte, au cœur de ce brouillard d’expressions, c’est bien là que souffle l’Esprit, celui qui nous tourne vers Dieu, le Dieu toujours au-delà de nos représentations, de nos images, de nos cartes et de nos plans. Dieu est dans cet instant qui se vit là.

Alors, lançons-nous vraiment, comme des explorateurs à la recherche du graal, du temple perdu … Dans une terre vierge, une terre inconnue, celle de la Parole vivante de Dieu, Parole qui prend vie dans notre fraternité locale. Mettons-y toute notre capacité de découvreurs, ouvrons grand nos oreilles et notre cœur pour avancer, ensemble. Et la terre inconnue, mystérieuse et inquiétante va devenir ce jardin que Dieu a préparé pour nous. Et nous, nous allons être ce jardin où peut être semée la Parole de Dieu. Soyons en attitude d’hospitalité vis-à-vis de cette Parole qui nait du texte lu en fraternité. 

  1. Parole, Écriture et Communauté

Enzo Bianchi, un moine laïc fondateur de la communauté de Bose en Italie, a écrit un petit fascicule qui s’intitule “La parole construit la communauté”. Quand notre évêque nous propose de vivre des fraternités locales, ce n’est pas simplement pour le plaisir de se retrouver ou pour la joie de la recherche intellectuelle à partir de l’évangile du dimanche : Lire la Parole, fonde la communauté.

Par exemple, si nous sommes ici, c’est que tous nous avons en commun d’ouvrir régulièrement le même livre, pour se rendre disponible et accueillant à ce que Dieu veut nous dire. Nous ne nous connaissons pas forcément, mais nous avons tous, ici, cette histoire commune et ce désir commun. Nous nous mettons tous régulièrement à l’écoute de la même personne, Jésus Christ, qui nous parle à travers les Écritures.

On dit que la famille de M. Jacob, Israël, et 12 fils qui ont donnés les 12 tribus, cette grande famille est devenu un peuple, le peuple de Dieu, pendant son séjour au désert, après avoir traversé la mer Rouge. C’est à ce moment là dans la Bible, au désert, que Dieu commence à utiliser l’expression “Mon peuple”.

Pourquoi cette famille est-elle devenue le peuple de Dieu ? Parce qu’au désert, ils ont tous été à l’écoute d’une même Parole. En particulier les 10 commandements, les 10 paroles qui Dieu a prononcées et qui ont été mises par écrit. La Parole fonde la communauté. D’où le nom de notre assemblée. L’Eglise, “ekklesia”, qui signifie en grec, l’assemblée des convoqués, les appelés, ceux qui écoutent la même Parole de Dieu, ceux qui répondent à la même Parole de Dieu.

Cette Parole reçue dans le peuple, est mise par écrit par le peuple, afin de pouvoir être conservée, transmise et répandue en tout lieu de l’espace et en tout moment de l’histoire. Donc les Écritures naissent aussi de la communauté, comme la communauté naît des Écritures. Enzo Bianchi dit : “À travers une grossesse, les Écritures sont engendrées et dans le sein de l’Eglise, elles apparaissent à leur tour comme engendrant la foi des croyants”.

Donc se rassembler en fraternité locale, c’est aussi accepter de se laisser engendrer par les Écritures, de se laisser engendrer à la foi, comme un peuple unique parce qu’il reçoit la même Parole.

Il y a cette “appartenance réciproque” du livre et du peuple. Le livre appartient au peuple qui le lit dans l’esprit avec lequel il a été écrit. Et le peuple appartient au livre qui le façonne et l’édifie au long des jours. Le livre a besoin d’une communauté. Cet ensemble de bois et de chiffon broyés, malaxés et séchés en fines feuilles et teintés de petits sigles noirs et blancs n’est pas grand chose sans la main qui le prend, l’ouvre. Ca n'est pas grand chose sans l’oeil qui se met à lire, avec une voix qui ressuscite le texte en une Parole vivante qui s’adresse et se fait entendre aux oreilles de l’assemblée.

C’est ce qui se passe dans le bel épisode de Josias, au 2ème livre des Rois, ch. 22. Alors que Josias a ordonné de reconstruire le temple, un grand prêtre tombe sur un rouleau de la loi perdu. Alors Josias convoque le peuple tout entier pour la lecture du livre, afin que ce texte mort et oublié devienne une Parole vivante :

"Le roi fit convoquer auprès de lui tous les anciens de Juda et de Jérusalem. Il monta à la maison du Seigneur avec tous les gens de Juda, tous les habitants de Jérusalem, les prêtres et les prophètes, et tout le peuple, du plus petit au plus grand. Il lut devant eux toutes les paroles du livre de l’Alliance retrouvé dans la maison du Seigneur. Debout sur l’estrade, le roi conclut l’Alliance en présence du Seigneur. Il s’engageait à suivre le Seigneur en observant ses commandements, ses édits et ses décrets, de tout son cœur et de toute son âme, accomplissant ainsi les paroles de l’Alliance inscrites dans ce livre. Et tout le peuple s’engagea dans l’Alliance." 

Le livre lu devient Parole vivante entre Dieu qui nous parle et le peuple qui répond. Enzo Bianchi dit : “Proclamer ne signifie pas seulement “lire à haute voix”, mais adresser la parole à quelqu’un au nom du Seigneur”. C’est ce que nous faisons ensemble dans nos fraternités locales. Nous transformons ces signes calligraphiques en Parole vivante de Dieu adressée à chacun de nous. Et par notre partage, par nos réactions, par l’écho que provoque cette Parole en nous et que nous tâchons tant bien que mal de partager aux membres du groupe, nous ne faisons rien d’autre que de mettre d’autres mots sur cette Parole, de la traduire encore différemment.

Je voulais terminer par cela. Pour que nos fraternités locales soient vraiment fondatrices pour nous et pour notre communauté, nous ne devons pas seulement être à l’écoute d’une belle histoire comme on va voir un beau film. En lisant ce texte de la Bible, nous sommes à l’écoute de quelqu’un. Quelqu’un qui a quelque chose à nous dire, parce qu’Il nous aime. “Toute la Bible est comme un index tourné vers le Christ” dit Enzo Bianchi, vers cet agneau immolé et debout, qui est digne d’ouvrir le livre, de le desceller, qu’il devienne pour nous une véritable nourriture, qui édifie le Corps du Christ que nous formons en Église.

  1. La fraternité biblique permet la familiarité avec la Parole de Dieu

On pourrait penser que la Bible est un livre pour les savants, pour les théologiens, pour les biblistes, les exégètes. Et il l’est car nous avons besoin de ces chercheurs qui s’appuient sur le savoir, la connaissance, la recherche pour mieux appréhender la Bible. Nous l’avons vu à l’instant en écoutant Cassiel et Enzo Bianchi.

Mais dans la fraternité locale, il se passe une chose tout à fait intéressante : c’est que la Parole de Dieu infuse dans nos vies quotidiennes, elle s’invite à notre table.

  • Nous sommes à domicile, chez quelqu’un, dans sa maison avec tout ce que la personne met dans son « chez lui », dans son intimité. Nous sommes assis autour de la table familiale, la table qui réunit ceux qui habitent ici et ceux que l’on accueille, la table des familiers de la maison et des invités. Peut-être est-ce la table du grand-père ou les assiettes de la tante, la nappe de mes 40 ans...
  • Nous sommes réunis autour de la table où l’on mange tous les jours, on y met le couvert, les serviettes, on y sert le plat, on y découpe la viande, on y déguste un dessert, on y ramasse les miettes, on y dispose un bouquet ou une coupe de fruit. Le petit dernier la macule de bave. Autour de cette table, la fraternité a elle-même mangé, partagé le repas du soir. C’est la table d’un festin de saveurs et de liens.
  • C’est la table du partage de la vie familiale. On y discute à perte de vue, de tout et de rien, de choses bénignes et de choses fondamentales, on se raconte sa journée, on fait des plans sur la comète. Pour la fraternité, de même, chacun s’est raconté, on a écouté les nouvelles, on a parlé ensemble.

Ainsi, par tous ces partages de vie, de paroles, ces dégustations de plats, ces manifestations de gestes, ces circulations d’objets, voilà que la Parole de Dieu s’installe elle aussi à la table familiale, à la table des amis, à la table familière. La Parole de Dieu, par ce fait même qu’elle est lue à la maison, devient familière elle aussi, elle devient une parole de notre quotidien, une parole domestique, une parole de la vie de tous les jours.

C’est précieux pour notre foi de pouvoir ainsi, au cœur de notre vie, goûter la grande Parole, la Parole qui donne sens, la Parole dont on sait qu’elle est aussi au-delà de tout notre quotidien. Les deux dimensions s’interpénètrent ; le sel des jours ordinaires et la fête des jours extraordinaires, la vie des hommes et la vie de Dieu.

  1. La Parole de Dieu construit la communauté aujourd’hui

Nous voyons que par ce mouvement de lecture en commun de la Bible, des liens nouveaux se tissent entre les paroissiens. Ouvrir le même livre (et quel livre !) régulièrement et ensemble, crée un lien tout à fait particulier. Cela crée une culture commune, un langage, des habitudes, des références.

Se retrouver régulièrement les uns chez les autres, nourrit une amitié entre des membres de la paroisse. Nous avons une histoire de groupe, des évènements que nous avons partagés. Nous ne nous rencontrons pas seulement à la messe ou pour organiser quelque chose ensemble. Nous nous rencontrons pour partager quelque chose, gratuitement, pour le plaisir en somme. Une Parole qui est pour nous Parole de vie. Lorsque l’on s'ouvre le cœur ensemble à la Parole de Dieu, les uns par les autres, les uns avec les autres, des liens spirituels nous unissent, qui donnent une valeur à nos liens humains de connaissance, d’amitié, une valeur à notre engagement au service de la paroisse.

Et lorsque cette même parole est proclamée à la messe et commentée dans l’homélie, nous nous sentons concernés d’une toute autre manière. Nous sommes acteurs d’une écoute du texte. Nous sommes vraiment présents et nous participons pleinement à la liturgie.

Un récit fondateur, un livre connu, lu ensemble, une histoire de notre groupe qui s’inscrit dans le temps, une culture, des rites, des liens de connaissance et d’amitié, une familiarité entre les membres, une hospitalité, voilà des éléments constitutifs d’une communauté solide, ancrée. Cela conforte les liens ecclésiaux et ceux qui s’établissent parce que nous avons aussi en commun une religion, une foi.

Et la grande richesse des fraternités, c’est qu’elles sont aussi le lieu où sont invitées des personnes qui ne fréquentent pas la paroisse, un lieu d’ouverture, où l’Eglise peut être en sortie, dehors et hospitalière à la fois.

6. Mais alors qu’est-ce qui garantit que nous lisons "bien" la Bible ?

Comment garder une grande liberté d’expression dans le groupe sans non plus détourner le sens du texte ?

  • Le texte, si on reste vraiment attaché à le lire, est garant de lui-même.
  • Le groupe, si l’on s’écoute et se respecte. Personne ne peut entrainer tout le groupe dans une lecture déviée. Le groupe régule ce qui se passe dans le groupe, les paroles s’équilibrent entre elles. Il y a des questions qui vont rester sans réponses, des opinions qui resteront celles de ceux qui les ont exprimées et c’est tout.
  • La prière, la référence à l’Esprit qui travaille dans le groupe, la reconnaissance que nous ne sommes pas maîtres mais que c’est le texte qui est le socle et l’Esprit qui nous anime.
  • Le lien à l’Eglise et au reste de la communauté paroissiale par : 
    • La liturgie à laquelle on participe.
    • Le lien avec le curé ou un prêtre ou un référent.
    • La référence à d’autres commentaires du texte, d’autres lectures que les uns ou les autres font.
    • Les fiches du diocèse.