"Levez les yeux et regardez" Jean 4, 35

"Levez les yeux et regardez" Jean 4, 35

Enseignement

Enseignement

Dans ma première intervention, j’ai évoqué la triple alliance instaurée dès le début de la création entre Dieu et l’être humain, entre l’homme et la femme, et entre l’être humain et la terre. La rupture d’une de ces trois alliances provoque la rupture des trois, comme le montre le pape François dans son encyclique Laudato sì. Si nous voulons sauver notre planète, il nous faut donc revenir à cette triple alliance, en nous convertissant, en nous laissant réconcilier avec Dieu, avec nous-mêmes, avec notre prochain, avec l’environnement.

C’est ce à quoi nous invite la Vierge Marie dans le message qu’elle a laissé à Maximin et Mélanie en ce lieu de La Salette. Elle fait un lien très net entre le péché et la dégradation de la nature, entre la conversion et la fécondité de la terre : « s’ils se convertissent, les pierres et les rochers deviendront des monceaux de blé, et les pommes de terre seront ensemencées par les terres ». Mettons-nous à son école pour vivre toujours mieux l’Évangile et en témoigner par notre vie.

Dans cette intervention, je veux évoquer différents aspects de la conversion à laquelle nous sommes appelés, en commençant par la conversion du regard, à laquelle le Christ appelle ses disciples.

1. La conversion du regard

La conversion est un changement de regard qui entraîne un changement de comportement. En effet, nous pouvons avoir une vision très subjective du monde qui nous entoure, à partir de notre éducation, de nos centres d’intérêts, de nos penchants mauvais. Le péché obscurcit le regard ; les préoccupations secondaires nous empêchent de voir l’essentiel. Selon une expression commune, nous sommes bien souvent « le nez dans le guidon » et nous ne regardons plus la direction, nous ne savons plus où nous allons. Les évangiles nous montrent plusieurs fois les apôtres de Jésus, plus préoccupés de leur nourriture ou de leur promotion personnelle que de ce que Jésus leur dit et leur fait voir. C’est ainsi que, lors de la pause, près du puits de Jacob en Samarie, les disciples étaient allés acheter de quoi manger, laissant Jésus se reposer au bord du puits. Ils le retrouvent en train de parler à une samaritaine et l’invitent à manger. Ils sont incapables de voir le travail qui s’opère dans le cœur de la samaritaine. C’est dans ce contexte que Jésus les invite à lever les yeux et à regarder : « Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson » (Jean 4, 35).

Le changement de regard passe par l’écoute. Dieu vient à nous dans sa Parole vivante et parle à notre cœur, en éveillant ou réveillant des aspirations profondes. Sa Parole nous éclaire, nous réchauffe, nous dit son amour, sa miséricorde, nous découvre à nous-mêmes notre propre dignité, nous redonne le sens de notre vie, nous découvre notre vocation. La Parole de Dieu accueillie dans notre cœur le purifie progressivement et nous permet d’ouvrir les yeux et de changer de regard sur Dieu, nous-mêmes, le prochain et la terre. Le Christ, par sa grâce, affine notre vision qui devient plus profonde, plus intérieure, plus unifiée. Trop souvent, surtout dans une culture qui nous maintient à la surface des choses nous ne savons pas regarder au-delà des apparences. Marqués par l’utilitarisme, nous voyons en fonction de nos besoins, de l’utilité que nous pouvons tirer de ce que nous regardons.

Jésus ouvre les yeux des aveugles et des malvoyants que nous sommes en guérissant notre surdité spirituelle. Il éclaire pour nous le visage de Dieu Créateur de tout ce qui existe, Il nous montre le visage du Père : « Celui qui m’a vu, a vu le Père » (Jean 14, 9) ; Il nous révèle qui nous sommes ; Il nous dévoile la laideur du péché ; Il nous éclaire sur notre destinée ; Il nous apprend à voir Dieu en toute chose.

Jésus introduit ses disciples dans son regard sur Dieu, son Père et notre Père, sur nous-mêmes, sur notre prochain, sur l’environnement.

2. Le regard tourné vers Dieu, Créateur de tout ce qui existe, Notre Père

Être croyant dans une culture fortement anthropocentrique oblige à une conversion permanente du regard et des pensées pour rétablir la juste hiérarchie des réalités. Dieu est Dieu, à l’origine de tout ce qui existe, Maître de tout. Ses pensées ne sont pas nos pensées, ses chemins ne sont pas nos chemins (cf. Isaïe 55, 8-9). Si nous voulons avoir une certaine intelligence des choses de ce monde, de son origine et de sa destinée, nous ne pouvons pas nous fier à notre seule intelligence. Il nous faut recevoir de Dieu la lumière et le sens ultime de toutes choses. Le centre du monde n’est pas l’être humain mais Dieu Lui-même. La tentation de toute-puissance qui séduit de plus en plus nos contemporains, du fait du progrès technique, nous conduit au désastre, non à cause des progrès scientifiques, mais à cause de leur mauvaise utilisation par une humanité qui a perdu le sens, aveuglée par sa suffisance. Elle ne peut sortir de sa nuit que par l’humilité, la reconnaissance de la souveraineté de Dieu : la clef ultime de compréhension est en Dieu, par qui et pour qui tout existe.

Ce Dieu Créateur n’est pas une Toute-Puissance égoïste qui se jouerait de sa création selon ses caprices. La Toute-Puissance de Dieu est amour, tendresse, miséricorde. Comme il faut du temps pour découvrir le vrai visage de Dieu et entrer dans une vraie relation de confiance filiale avec Lui ! Face à sa création et particulièrement face à l’être humain créé à son image, Dieu n’est pas une Puissance ou un Pouvoir, mais une Autorité paternelle qui veut faire grandir et épanouir ses créatures. Jésus dans ses abaissements nous dit le véritable visage de Dieu et nous apprend à regarder Dieu comme Celui qui ne se lasse pas de nous aimer et qui sollicite notre amour. On ne découvre vraiment le visage du Dieu de Jésus-Christ qu’en faisant l’expérience de sa miséricorde. En nous laissant réconcilier avec Dieu, nos relations sont transformées. Alors tout change, tout s’éclaire, notre propre regard sur nous-mêmes, les autres, la création change, se remplit d’un respect immense et invite notre cœur à la louange et à l’action de grâce.

3. Changer de regard sur soi et sur les autres

Se réconcilier avec soi-même est aussi difficile que de se réconcilier avec les autres. Soit la personne se méprise soit elle se survalorise et s’affirme en abaissant les autres. Souvent elle s’affirme devant les autres tout en se méprisant au fond d’elle-même. L’expérience du péché, du mal que chaque être humain commet ou subit, qu’il le reconnaisse ou non, met la division au fond de son être. Cette blessure provoque des tensions en lui et dans ses relations aux autres. Ignorant, volontairement ou non, la miséricorde et le salut proposé par le Christ, l’homme accablé par le mal peut être conduit jusqu’à la désespérance. Il ne voit que le mal partout, qui semble toujours triompher.

Beaucoup de gens portent un masque pour cacher leur péché ou leur sentiment intérieur d’être ratés, d’être méprisables. Ils s’accrochent à une fausse image d’eux-mêmes pour se supporter et renvoyer aux autres une bonne image de ce qu’ils voudraient être. En retour, ils attendent des autres un amour, une amitié, qui reposent malheureusement sur un mensonge. Dans cette logique, les relations sociales deviennent un jeu de dupes, un jeu de miroirs déformants. Les gens ne savent pas qu’ils sont bien plus beaux aux yeux de Dieu que l’image qu’ils présentent d’eux-mêmes.

L’expérience de l’amour miséricordieux de Dieu change le regard que l’on peut porter sur soi et sur les autres. Dieu nous réconcilie avec nous-mêmes : face à sa miséricorde, l’être humain découvre qu’il a du prix aux yeux de Dieu, quelle que soit sa misère. Il se reconnaît pauvre pécheur pardonné, libéré de la fatalité du mal. Il n’a plus besoin de chercher à se justifier car Dieu l’a rendu juste par son pardon. Il a appris sa radicale fragilité en même temps que la force salvatrice inébranlable de Dieu. Il s’exerce à ne plus s’appuyer sur sa fragilité mais sur le rocher indestructible de l’amour de Dieu. Il fait confiance à Dieu en tout ce qui fait sa vie. L’homme réconcilié avec Dieu et avec sa propre faiblesse regarde la faiblesse des autres avec compassion et espérance. Son regard est éclairé par la foi, transfiguré par l’espérance et la charité.

L’amour miséricordieux de Dieu nous fait voir les personnes dans leur réalité profonde, telles que Dieu les voit. C’est ainsi que nous pouvons construire des relations vraies, stables, porteuses d’avenir, car, au-delà des difficultés, au-delà du péché et du mal, la promesse de Dieu nous tire en avant, vers le haut, sans jamais désespérer.

4. La conversion pastorale

La conversion pastorale se comprend à partir d’un regard apaisé sur soi et sur les autres. Jésus éduque ses disciples à un vrai regard pastoral, fondamental pour déployer un élan missionnaire. En suivant Jésus, les apôtres ne comprennent pas toujours la portée de ses paroles et de ses gestes. Ils gardent des préoccupations terre à terre. Lors de la rencontre avec la samaritaine, Jésus ouvre leurs yeux sur la moisson spirituelle qui se prépare, pour les stimuler dans la mission : « Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson… » (Jean 4, 35). Occupés à se restaurer après une longue marche, les disciples n’imaginent même pas que le Christ puisse faire quoi que ce soit en Samarie. En effet, un bon Juif ne fait que traverser cette région en méprisant ses habitants. Mais Jésus leur montre que, dans ce territoire « hérétique », une moisson se prépare. Il va la récolter en restant deux jours dans le village des samaritains.

Cet événement est typiquement un exemple de conversion pastorale. Parce qu’ils regardent ce territoire avec un regard méprisant, les disciples sont incapables de voir les cœurs assoiffés d’eau vive. Leur vue faussée par leurs a priori les empêchait de voir les attentes secrètes et donc de collaborer activement à la mission du Christ.

Cet exemple évangélique peut nous aider à relire notre mission pastorale aujourd’hui. Il nous arrive à nous aussi de penser qu’il est inutile d’aller vers telles ou telles personnes, parce que nous pensons, a priori, qu’elles sont fermées à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Mais que savons-nous du travail mystérieux de l’Esprit saint dans les cœurs ? Que savons-nous des attentes secrètes de ces personnes ? Nous ne pouvons pas nous appuyer sur nos seuls critères de discernement pour accomplir la mission ; nous ne pouvons pas exercer une mission pastorale sans nous mettre à l’écoute de Dieu, sans entrer dans le regard du Christ sur les personnes et les événements.

Jésus éduque patiemment ses disciples à regarder d’un regard intérieur, d’une regard théologal éclairé par la foi, l’espérance et la charité, pour que leur mission soit ajustée au dessein de Dieu et qu’elle porte de beaux fruits. C’est ainsi que les disciples peuvent semer, arroser, faire la moisson, de manière ajustée et féconde. Souvenez-vous des pêches miraculeuses qui sont le fruit d’une écoute du Christ et d’une obéissance à sa Parole. Après une nuit à pêcher sans succès, les disciples font confiance à Jésus et prennent une énorme quantité de poissons.

5. La conversion écologique

Cette expression est du pape François, dans son encyclique Laudato sì. La conversion écologique consiste d’abord à changer de regard sur l’environnement, sur la terre confiée à l’être humain pour qu’il la cultive et la garde. Malheureusement, l’être humain, surtout depuis l’ère industrielle, a réduit les biens de la terre à un matériau exploitable au service de ses désirs. Or, la méconnaissance et le rejet de Dieu associés aux importants progrès techno scientifiques ont exacerbé les désirs de l’homme et sa tentation de toute-puissance. Non seulement le monde minéral, le monde végétal, le monde animal sont surexploités par l’être humain, mais nous voyons surgir des nouvelles formes d’esclavagisme. Les lois bioéthiques légalisent de plus en plus les phantasmes de l’homme, jusqu’à produire des enfants vendus et achetés pour satisfaire les désirs des adultes. Le paradigme technoscientifique dont parle le pape François dans l’encyclique, lié à la finance, conduit aux désastres écologiques auxquels nous assistons et que nous subissons.

Dans l’encyclique Laudato sì, le pape François évoque le regard de Jésus sur la création (n° 96 et ss.). En évoquant les moineaux, Jésus révèle la tendresse du Père pour chacune de ses créatures, même les plus modestes et « inutiles » : « Est-ce que l’on ne vend pas cinq moineaux pour deux sous ? Or pas un seul n’est oublié au regard de Dieu » (Luc 12, 6). « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit » (Mt 6, 26).

« Le Seigneur pouvait inviter les autres à être attentifs à la beauté qu’il y a dans le monde, parce qu’il était lui-même en contact permanent avec la nature et y prêtait une attention pleine d’affection et de stupéfaction. Quand il parcourait chaque coin de sa terre, il s’arrêtait pour contempler la beauté semée par son Père, et il invitait ses disciples à reconnaître dans les choses un message divin : « Levez les yeux et regardez les champs, ils sont blancs pour la moisson » (Jn 4, 35). « Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est bien la plus petite de toutes les graines, mais quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes potagères, qui devient même un arbre » (Mt 13, 31-32) (Laudato sì 97).

Jésus vivait en pleine harmonie avec la Création, et les autres s’en émerveillaient : « Quel est donc celui-ci pour que même la mer et les vents lui obéissent ? » (Mt 8, 27) » (Laudato sì 98).

Selon le pape François, les chrétiens ne peuvent comprendre la Création qu’à la lumière du Christ. On peut appliquer cela à la compréhension de tout : Dieu, soi-même, le prochain.

Peu à peu la conversion nous introduit dans un regard contemplatif attiré par la beauté de Dieu reflétée dans ses créatures. Elle amène au respect du mystère de chaque créature. La conversion conduit à agir pour permettre à chacune des créatures d’apporter sa contribution au bien commun de la Création.

6. Les mots clef de la conversion

J’ai relevé, dans l’encyclique Laudato sì, un certain nombre de mots qui expriment les attitudes nécessaires à la conversion écologique, mais qui concernent la démarche de conversion en général (cf. Laudato sì, n° 216 et ss.).

J’ai déjà évoqué la contemplation qui sait voir la beauté et s’en émerveiller. Le cœur humain se dilate au contact de la beauté. Il est fait pour le Beau, le Vrai, le Bien. Nous devons sans cesse réapprendre à regarder, à voir la beauté en toutes les créatures et à y reconnaître un signe de Dieu. La contemplation est une condition du respect vis-à-vis de toute créature.

La gratitude qui sait reconnaître le don qui nous est fait en tout ce qui existe. Rendre grâce à Dieu pour ce qu’Il est, pour la vie, pour la Création, pour « la merveille que je suis », comme le dit le psaume, pour le frère, pour l’air, l’eau, le soleil, la pluie, pour la surabondance des dons de Dieu, permet de redonner sa valeur à chaque chose.

La gratuité nous guérit des comportements utilitaristes qui réduisent les créatures à leur utilité, qui faussent les relations interpersonnelles. La gratuité est la condition d’une véritable alliance, de l’amour véritable, de l’amitié véritable. Elle libère de la possessivité et de la domination. On ne peut pas tout réduire à être objet de consommation.

Le renoncement est nécessaire à la maîtrise des avidités, des désirs. Il est facilité par la recherche et la découverte de biens supérieurs, plus intérieurs. Il est inhérent au respect des choses et des personnes. Le renoncement fortifie la liberté et le sens de la responsabilité. Vouloir aller jusqu’au bout de tous les possibles sans renoncement conduit à la destruction, à l’esclavage, à la mort.

La prise de conscience du lien avec les autres créatures fait renoncer à l’exploitation aveugle et favorise le souci de cultiver, entretenir, faire grandir dans l’harmonie tout ce qui existe.

La prise de conscience de la responsabilité de chacun et des sociétés est fondamentale pour tendre vers un monde meilleur.

La sobriété s’oppose au gaspillage, à l’exploitation outrancière. Elle exerce la vraie liberté face aux biens de consommation et face aux désirs de chacun. Elle aide à aller à l’essentiel et à vivre de l’essentiel, de l’unique nécessaire.

La simplicité fuit les artifices, la poudre aux yeux, les replis sur soi, la vanité. La simplicité est associée à la vérité. Dieu est simple.

L’humilité que j’ai évoquée plus haut : « La disparition de l’humilité chez un être humain, enthousiasmé malheureusement par la possibilité de tout dominer sans aucune limite, ne peut que finir par porter préjudice à la société et à l’environnement. Il n’est pas facile de développer cette saine humilité ni une sobriété heureuse si nous nous rendons autonomes, si nous excluons Dieu de notre vie et que notre moi prend sa place, si nous croyons que c’est notre propre subjectivité qui détermine ce qui est bien ou ce qui est mauvais » (Laudato sì, 224).

La fraternité rappelle à l’être humain qu’il n’est pas seul au monde et qu’il est fondamentalement solidaire des autres êtres humains. Je ne peux pas dire que je suis en communion avec Dieu si je n’aime pas mon prochain. Je ne peux pas imaginer œuvrer pour l’avenir de la planète si je méprise mon semblable. « La conversion écologique est aussi une conversion communautaire », dit le pape François (Laudato sì, 219).

L’amour est la clef et le fruit de toute conversion. Il est le secret de toute vraie relation, à Dieu, à soi-même, aux autres, à la Création. Créé à l’image de Dieu, l’être humain a vocation à aimer, à devenir amour.

7. Témoins de l’espérance

Au cœur des diverses crises que nous traversons, nous sommes invités à ne pas nous laisser hypnotiser et inhiber par le mal. « Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson ! » nous dit Jésus. En fait, nous pouvons observer des signes de vitalité et de croissance, dans nos pauvretés.

Dans notre diocèse, nous voyons que l’Évangile est annoncé aux pauvres et qu’à leur tour ils nous évangélisent. Nous voyons que le Seigneur attire à nous des personnes blessées par la vie, des personnes aux marges de la société, et qui demandent le baptême. Nous constatons dans nos communautés des recommençants. Parmi nous, des hommes et des femmes sont prêts à travailler à temps plein ou partiel la mission de l’Église, en acceptant de réduire leurs revenus. Nous voyons que, malgré les purifications nécessaires dans l’Église, beaucoup de gens lui font confiance, parce qu’ils trouvent en elle Celui qu’ils cherchent confusément.

Dans le monde, nous voyons des personnes changer de comportement en vivant plus sobrement ; nous voyons des personnes s’engager courageusement pour apaiser le cri des pauvres et de la terre.

L’espérance est une vertu théologale reçue de Dieu, comme la foi et la charité. Elle repose sur les promesses de Dieu, et non pas sur le succès, ni sur des chiffres comme le nombre de pratiquants ou le nombre de vocations, ni sur l’activisme pastoral. L’espérance ne repose pas sur nos œuvres, mais sur Dieu. Elle nous tient à partir d’en haut, à la manière des avions qui ne reposent pas sur l’air qui est au-dessus d’eux, mais qui sont « tenus », maintenus en l’air par en haut. Les scientifiques pourront vous expliquer cela mieux que moi. Il n’est pas besoin de forcer la main de Dieu, de multiplier les artifices ou les effets spéciaux pour nous persuader que nous avons un avenir. L’espérance n’est pas le fruit de la manipulation ou du mensonge. Dieu réalise son œuvre de salut à travers les nombreuses crises qui ont secoué l’Église et le monde depuis deux mille ans. Les paroles de Jésus lors de la rencontre avec la samaritaine sur la proximité de la moisson montre bien que Dieu n’a pas attendu les disciples de Jésus pour agir en Samarie. L’Esprit saint est à l’œuvre dans le monde, et Il prépare mystérieusement les cœurs. Nous pouvons le constater aujourd’hui encore. Ce constat stimule notre engagement pastoral.

La vertu d’espérance nous apprend à nous appuyer sur Dieu. Dieu est à l’œuvre pour réaliser ses promesses, mais celles-ci ne pourront s’accomplir sans notre participation active. Ainsi la vertu d’espérance nous pousse à nous tenir éveillés à notre poste, elle nous encourage à travailler à la mission que Dieu nous confie. Rien ne peut décourager les chrétiens puisqu’ils collaborent avec le Christ vivant et vainqueur. Les épreuves externes ou internes à l’Église n’empêchent pas Dieu de travailler. Les crises sont des moments privilégiés de croissance, si nous savons nous tenir à l’écoute et avancer dans la confiance.

En conclusion, la conversion du regard est déterminante pour restaurer la triple alliance entre Dieu, l’être humain et la terre. Comment changer de regard ? En purifiant et guérissant les cœurs. Les crises écologique, sanitaire, sociale, économique, politique, - toutes liées entre elles -, ces crises peuvent aider l’humanité à prendre conscience des désordres et des dangers qui menacent notre monde. Ces désordres, nous le savons, ont leurs racines dans le cœur humain. Il est souhaitable que les chrétiens, à la suite du pape, soient les premiers à prendre la mesure des conversions à vivre. L’Église, et donc notre Église diocésaine, est appelée à se renouveler en profondeur en revenant au Christ, en écoutant sa Parole, en ouvrant les yeux et en posant un regard éclairé, un regard d’amour respectueux, sur Dieu, le prochain, la Création. Il y a urgence car le monde est en danger, au bord du précipice, dit le pape François. Dans ce contexte grave, pouvons-nous encore nous enfermer dans des querelles de clochers ou nous comporter comme des consommateurs dans nos paroisses ? Nous avons mission d’annoncer la Bonne Nouvelle du monde nouveau inauguré par Jésus ressuscité. L’annonce passe par le témoignage. Comment donnons-nous à voir le vrai visage de Dieu, Créateur et Père très aimant ? Comment témoignons-nous de la beauté de l’amour humain et de la beauté de la vie fraternelle en Église ? Comment œuvrons-nous à la sauvegarde de la Création, en renonçant à la logique de la surconsommation et du gaspillage ?

La conversion provoque des changements de comportement ; elle conduit à s’engager. Le propre du chrétien est d’être une personne engagée. La conversion engage à établir une relation nouvelle avec Dieu, avec le prochain, avec la terre ; elle engage à travailler à la réparation du mal commis, à la guérison des cœurs, à poser les fondations d’une autre manière de vivre, à avancer résolument, sans regarder en arrière vers le but ultime, vers l’accomplissement de tout ce qui existe dans le Royaume de Dieu, déjà mystérieusement présent et encore à venir.

† Guy de Kerimel, évêque de Grenoble-Vienne