Messages
ou fuir la tentation de la vitesse
Édito du journal Église en Isère le mag - n° 7 - mars 2023
Notre manière de nous précipiter, d’accélérer notre course, notre pas, ou nos déplacements ; nos gestes brusques ; notre réaction impulsive ; tout cela nous éloigne de notre unité intérieure, nous conduit à ne pas laisser l’esprit et le cœur orienter nos chemins de vie. Nous cachons mal notre angoisse de mort, ou encore notre volonté de tout maîtriser, en tendant à mettre une quantité innombrable d’actions dans un temps limité. Nous voulons mettre de l’infini dans du fini, et nous entretenons ainsi une frustration qui n’aura pas d’issue. Pourquoi vouloir aller de plus en plus vite d’un point à un autre, avec des trains à grande vitesse ou des avions supersoniques ? Aurions-nous oublié que le temps du voyage a une valeur en lui-même et qu’il est souvent habité de mille richesses ?
La lenteur, c’est le rythme du marcheur, du montagnard, du pèlerin, du moine mendiant et itinérant, et finalement du penseur et du maître spirituel. Une certaine lenteur est indispensable au travail de l’esprit et de la mémoire. Relisons ces quelques lignes de Milan Kundera : « Évoquons une situation on ne peut plus banale : un homme marche dans la rue, soudain il veut se rappeler quelque chose, mais le souvenir lui échappe. À ce moment machinalement, il ralentit son pas. […] Le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli » (La Lenteur).
La lenteur est nécessaire au discernement… Peu de bons choix se font dans la précipitation (sauf à avoir acquis des « habitus », longuement préparés par un lent et fastidieux travail. Ces habitudes constituent alors en nous comme une seconde nature, nous expliquait Félix Ravaisson).
En ce temps de l’Église où nous voudrions parfois faire face à tout ce que faisaient nos prédécesseurs avec d’importants moyens (humains et économiques), nous risquons, en raison de notre désir d’agir vite, de tomber dans une agitation stérile, plutôt que de nous laisser conduire par le souffle de l’Esprit. Paul dirait alors que nous sommes « affairés sans rien faire » (2 Th 3, 11), sans rien construire qui soit vraiment utile.
Alors si nous nous remettions à marcher lentement ? Si nous cessions de nous agiter pour avancer calmement et sereinement dans la direction que l’Esprit nous indique ? Il s’agit aussi de « trouver notre miel » dans un temps rythmé par l’écoute (de Dieu et des autres), le conseil, la synodalité…
† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne
Édito du journal Infos dio n°8 - février 2023
Le mot qui définirait le mieux ce que nous sommes appelés à vivre dans ce temps de l’Église est « co-responsabilité ». Il ne s’agit pas de sacrifier à une trouvaille d’un coach-manager, mais de continuer à avancer sur le chemin dessiné par le concile Vatican II. Il est question de la remise en valeur du sacerdoce commun des fidèles, articulé avec le ministère sacerdotal, lequel est au service de ce sacerdoce baptismal. La consultation des baptisés, souhaitée par le pape François à partir de septembre 2021 en prévision du synode, vise à une meilleure compréhension et une meilleure mise en œuvre, de la coresponsabilité dans l’Église. Sans oublier deux choses : la première est que tout cela est le fruit de l’action de Dieu en nous, et donc d’abord un défi spirituel ; la seconde que la visée est une ardeur renouvelée pour la mission.
Certains d’entre nous, en fonction de leur expérience, de leur culture, ont spontanément de la sympathie ou de l’antipathie pour cette notion de coresponsabilité. Il convient de laisser de côté les visions « mondaines » dont nous sommes héritiers, pour nous ouvrir à une manière chrétienne de nous engager sur cette voie. Nous avons besoin pour cela de nous mettre, dans la prière, à l’écoute de l’Esprit, tout en nous efforçant d’asseoir nos intuitions dans l’approfondissement théologique et de discernement communautaire. Nous devons vraiment prendre le temps d’échanger en profondeur sur ces questions.
Entre autres découvertes et chantiers à engager, nous comprenons qu’il nous est demandé d’évangéliser notre relation au pouvoir (pouvoir d’élaborer les décisions, de les prendre et de les mettre en oeuvre). Il est question d’un changement en profondeur de mode de gouvernement afin que la parole de tous ait de la valeur, avec une place de choix accordée à la parole des plus pauvres ou des plus fragiles qui, habituellement, ne comptent pour rien. « Vous n’avez qu’un seul maître, le Christ… Et vous êtes tous frères. » (Mt 23, 8-10)
Depuis les années 1960, les interventions du Magistère sont allées dans ce sens :
■ « Si l’on me demandait quel est « le genre de vie » le plus riche en conséquences pastorales qu’on doit au concile, je répondrais sans hésiter : la découverte du peuple de Dieu comme un tout, comme une globalité et, par voie de conséquence, la co-responsabilité qui en découle pour chacun de ses membres. » (Cardinal Suenens - 1968)
■ Le pape Benoît XVI disait de même : il est nécessaire « d’améliorer l’organisation pastorale, afin que […] on encourage graduellement la co-responsabilité de l’ensemble, de tous les membres du Peuple de Dieu ». (28 mai 2009)
■ « Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu. » (Pape François, lettre du 20 août 2018)
Enfin, si nous parlons de co-responsabilité, n’oublions pas que LE responsable, c’est le Seigneur et que nous sommes ses très modestes et très fragiles collaborateurs.
† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

Invitation pour le pèlerinage à Lourdes - 20-25 juillet 2023
... avec comme maîtres, les plus fragiles - Une école pour apprendre à passer du « je » au « nous »
Un des défis majeurs de la vie chrétienne, ou de la vie spirituelle, est de faire passer au second plan la préoccupation de nous-même pour donner la première place à l’autre, et aux autres. C’est le challenge que tentent de relever, le couple, la famille et la communauté croyante. La culture contemporaine fortement imprégnée d’individualisme rend sans doute la démarche plus complexe encore. Comment donner la priorité aux besoins de l’autre plutôt qu’à la satisfaction de mes désirs ? Comment glisser d’une logique d’accumulation des biens à la solidarité ? Comment renoncer à ma tranquillité pour vivre l’hospitalité ? Comment apprendre à me taire pour laisser à l’autre un espace d’expression ?
Il semble que le Christ, quand il répond aux disciples qui lui demandent de leur apprendre à prier, veuille les inviter à former et à cultiver leur unité. Il ne leur dit pas : « Quand vous priez, dites mon Père… », mais « Quand vous priez, dites notre Père… » (Lc 11, 2), comme s’il ne pouvait pas y avoir de prière authentique adressée à Dieu le Père, sans que de vraies relations fraternelles existent d’abord. Et si le défi prioritaire que nous avons à relever pour rendre nos communautés chrétiennes plus attractives était d’abord celui de la fraternité, du sens de l’accueil, de l’attention aux plus fragiles, plutôt que celui de la qualité de nos liturgies, ou du contenu de nos enseignements… Et si nous étions appelés à refléter d’abord le NOUS trinitaire (communion du Père, du Fils et de l’Esprit), dans la vie de nos communautés locales… Ne devrions-nous pas nous préoccuper de cela toutes affaires cessantes ?
« J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. » (1 Cor 13, 1). Il ne s’agit donc pas de faire des choses, aussi sublimes soient-elles, mais de les faire ensemble. Demandons au Seigneur de nous accorder cette grâce, car cela ne nous est nullement naturel ou spontané. Le Libérateur vient me délivrer de l’esclavage de moi-même pour m’ouvrir à la présence des autres. Le pèlerinage diocésain à Lourdes est un des lieux où s’ouvre ce chemin-là.
† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

Session pastorale diocésaine - janvier 2023
Nous venons de vivre une expérience inédite, du 16 au 18 janvier, à Notre-Dame de La Salette : une session pastorale regroupant les principaux responsables de l'annonce du Christ et de son Évangile dans notre diocèse (des prêtres, des diacres, des religieux et des religieuses, des personnes consacrées, des laïcs en mission ecclésiale, des assistants ou adjoints en pastorale scolaire, des responsables éducatifs, des théologiens et théologiennes, etc.). Il était question de vivre une expérience d'écoute de l'Esprit, à travers la prière et la célébration de l'Eucharistie, les temps de partage en petites fraternités, des apports théologiques ou des témoignages. Nous ne savons pas précisément où cela nous conduira (c'est le Saint-Esprit qui, peu à peu, nous indiquera le chemin), mais nous cherchons à répondre à l'appel du pape François qui, dans La Joie de l'Évangile nous adressait ces mots : " J’espère que toutes les communautés feront en sorte de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire ". Oui, il est vraiment question de conversion, de retournement, de modifications assez radicales de notre manière de vivre en Église. Dans cette même lettre de novembre 2013, au n° 33 notre pape ajoutait : " J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés ".
Nous cherchons ensemble. Il n'y a pas de solutions magiques ou toutes faites. Nos expérimentations sont plus ou moins heureuses ou cohérentes, mais nous prenons le temps de les relire en Église sous l'éclairage du Magistère, afin de discerner si nous nous laissons faire par l'Esprit du Seigneur plutôt que par nos idéologies, notre sensibilité, nos sympathies ou nos antipathies... L'esprit du monde, en somme.
En août 2016, le même pape François, face à la terrible crise provenant de la révélation des abus dont des membres de notre Église se sont rendus coupables, affirmait encore : " Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu ". Nous avons voulu, pour cette session pastorale, une participation active de tous le membres du Peuple de Dieu, afin de nous mettre, le plus possible, en situation d'entendre la volonté du Seigneur sur la vie et la mission de son Église diocésaine en Isère.
Qu'avons-nous entendu ? Quel est le " message " qui pourrait ressortir de ce temps fort, de ce temps de grâce ? Nous ne pouvons pas répondre à cette question ! Ou plutôt, si message il y a, il ne se résume pas en quelques phrases qui nous indiqueraient des orientations à mettre en œuvre, mais dans la démarche elle-même : avancer ensemble vers la " Terre promise " en acceptant de sortir de nos postures, de nos agacements, de nos habitudes trop répétitives, de nos certitudes trop bien établies, pour nous ouvrir à un autre style de vie ecclésiale... C'est peut-être cela aussi un synode !
+ Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne
Relecture de Ad Gentes - janvier 2023
En relisant le décret Ad Gentes du Concile Vatican II, qui aborde la question de l’activité missionnaire de l’Église, nous voudrions relever quelques points sur lesquels il nous faut, encore aujourd’hui, presque 60 ans après la publication de ce document (7 décembre 1965), réfléchir un peu. Ce rapide tour d’horizon, et cette mise en relief de quelques problématiques, reposent sur une attention accordée à la genèse du décret. Pour cela, il a été nécessaire de se pencher sur les documents préparatoires au texte final, et sur les interventions des Pères dans l’aula conciliaire. Les théologiens, dont le travail a préparé l’approche conciliaire, et les documents du Magistère des décennies suivant le Concile, apporteront aussi un éclairage important.
[...]

Le salut viendra des "inaperçus" !
En ces temps si particuliers, nous avons à inventer un nouveau monde, ou plutôt un nouvel art de vivre dans ce monde.
Le mystère, si marquant, qui se célèbre à Noël nous indique que la lumière viendra de ceux qui passent le plus souvent inaperçus ; elle surgira des pierres de construction rejetées par les bâtisseurs.
En effet, de qui devons-nous attendre d’être éclairés sur ce qu’il nous faudrait essayer de construire ensemble ? Des puissants, des savants, des « sachants », des experts de tout acabit ? Non, mais certainement plutôt de ceux qui souvent ne comptent pas, qui n’ont pas voix au chapitre, qui n’ont “pas de place à l’hôtellerie”, comme dans le récit évangélique.
Comment nos démocraties, nos institutions, à bout de souffle, seront-elles capables de prêter attention à la parole (la Parole) de lumière exprimée par les “inaperçus” de notre temps ? Il y a probablement là une question dont nous devrions nous saisir collectivement et de façon urgente (y compris en Église), afin de ne pas risquer de passer à côté du Salut. Oui, ne laissons pas l’histoire se répéter avec son lot d’inattention à ceux qui, contrairement aux apparences, comptent vraiment et sont porteurs de vraie lumière.
Joyeuse fête de Noël à tous !
† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

Chers amis, frères et sœurs,
Me voilà installé depuis quelques semaines en cette terre iséroise et au milieu du peuple qui y réside. Mettons le mot « installé » entre guillemets car le Seigneur, lui qui n’a pas une pierre où reposer la tête, ne semble pas souhaiter le confort douillet d’une situation sociale confortable : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête » (Mt 8, 20). Comprenons donc ce mot en nous référant aux bergers de l’évangile qui partagent la condition de leur troupeau dans la montagne ou à la bergerie. Même si mon logement du centre-ville qui est maintenant ma résidence est un peu plus cossu qu’une bergerie…
Votre accueil est vraiment chaleureux, et je vous en remercie beaucoup. Cela m’aide à vivre ce temps de transition dans la paix et la sérénité.
J’ai commencé à aller à la rencontre de certaines et certains d’entre vous sur ce vaste territoire, sans plan préétabli en tentant de me laisser guider par une occasion qui se présente, une suggestion d’un collaborateur ou le sentiment intérieur (peut-être trompeur…) qu’il me faut aller en tel lieu. Je tente de faire cela sans précipitation, en gardant de longues plages pour la prière, le repos, le contact avec la nature, qui est si belle en ce territoire. L’avenir du monde et de l’Église - même locale - ne dépendent pas de moi, mais du Seigneur et de tous ses disciples missionnaires, dont je ne suis qu’un pauvre et modeste exemplaire.
La semaine dernière, je me rendais à Lourdes pour participer à l’Assemblée plénière avec mes frères évêques pour la première fois en tant qu’évêque de Grenoble-Vienne. Nous avions à cœur de traiter les sujets prévus à l’agenda de cette session : les nécessaires conversions missionnaires des diocèses, le chemin de transformation de la Conférence des évêques (afin qu’elle soit plus synodale et davantage au service des diocèses et de leur mission)… Mais comme vous le savez, l’actualité a remis au premier plan la lutte contre la pédocriminalité et les indispensables changements d’habitudes que nous devons mettre en place ; particulièrement au regard des informations auxquelles ont droit les personnes victimes et tous les baptisés. Je vous invite à consulter le message que nous avons élaboré ensemble : « Bouleversés et résolus ». Vous pouvez le trouver sur le site de notre diocèse ou sur celui de la Conférence des évêques de France.
Nous pensions avoir vraiment changé de culture et définitivement abandonné les logiques de contournement et de silence lorsque nous avions adhéré au mois de mars dernier aux conclusions du rapport Sauvé. Mais force est de constater que ce n’était pas le cas. Avec les personnes victimes, nous sommes atterrés et nous demandons si les choses finiront par changer. Pascal Wintzer, évêque de Poitiers, disait qu’il ne faudrait peut-être pas moins de 40 ans, après cette terrible séquence, pour que la confiance puisse éventuellement être retrouvée. Je partage ce point de vue. Il faut presque toute une vie à des personnes ayant été agressées pour retrouver un chemin pacifié ; et parfois la vie entière n’y suffit pas. Notre génération de responsables d’Église - imprégnée plus ou moins inégalement, et plus ou moins consciemment, de cette culture du silence qui a eu tant d’effets destructeurs - ne s’en relèvera sans doute pas de sitôt. C’est une génération en quelque sorte perdue. Il faut l’accepter et, simplement et humblement, mettre en place de nouvelles pratiques saines et vertueuses qui pourront permettre à la génération suivante de partir sur des bases nouvelles. Il nous faut travailler pour eux et pas pour nous ; pour nous il est probablement trop tard.
Ne nous berçons donc pas d’illusions, le chemin sera long. Il faut s’y engager résolument comme sur un chemin de croix, conscients que l’horizon de la Résurrection est encore bien éloigné… Mais cela ne doit pas affaiblir notre volonté de mettre en œuvre, résolument, tout ce qui est susceptible de nous rapprocher de cette échéance. Pour avoir la garantie la plus sérieuse de ne pas laisser de côté cette urgence, il nous faut certainement emprunter le « chemin des pauvres » ; de ces pauvres qui sont comme le quasi-sacrement de la présence du Seigneur. J’aime l’expression d’Erwan Le Morhedec qui, après avoir passé un long temps avec une personne touchée par le grand âge et la dépendance, l’avait vu passer d’un profond découragement à un émerveillement renouvelé face à la vie, disait : « Si tout se casse la gueule, il nous restera ça : être des tâcherons de la charité ». Dans ce temps de notre Église, au milieu de tous ces drames, si nous avons un témoignage à apporter ce sera principalement, et peut-être uniquement, celui de la diaconie, du service des plus fragiles. Tout en indiquant paisiblement, humblement, où cet amour puise sa source : en Jésus, le Sauveur. C’est sur ce chemin que nous risquons le moins d’oublier nos bonnes résolutions.
Mes amis, dans le temps de l’Avent, chacun d’entre nous, et tous ensemble, nous allons nous efforcer de renaître à une vie nouvelle avec le Christ. Il vient nous rejoindre au cœur de nos ténèbres pour les illuminer de sa présence. Laissons-nous emporter par son souffle d’amour et de paix et renaissons à une vie ecclésiale nouvelle.
Très fraternellement.
† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne
Homélies

Homélie - cathédrale Notre-Dame
En entrant dans une nouvelle année pastorale, en assumant de nouvelles responsabilités, en accueillant de nouveaux collaborateurs, en arrivant dans un nouveau lieu de vie, les verbes qui nous viennent spontanément à l’esprit débutent souvent par le préfixe « re ». Il sera alors question de se remobiliser, de reprendre ses habitudes, de retrouver ses repères, etc. En deux mots, de tout faire pour que la nouveauté s’estompe et que nous retrouvions au plus vite le confort douillet de notre vie précédente.
Or, dans une approche évangélique, à l’appel du Christ, un changement est toujours l’occasion d’une conversion. Il s’agit de devenir un autre homme (ou femme), un autre chrétien (ou chrétienne) à la faveur de ce qui va, désormais, caractériser autrement notre vie et notre mission. C’est notre être même qui est appelé à une métanoïa et non pas seulement les conditions concrètes de notre existence. Les changements extérieurs auxquels nous sommes contraints deviennent alors l’occasion d’entendre un appel à une évolution intérieure beaucoup plus profonde et radicale.
Une personne nouvelle est appelée à naître et, ce faisant, notre agir concret, va s’en trouver lui aussi modifié. Cette évolution de notre comportement sera pour nous - et souvent aussi pour les autres - source d’étonnement. Un nouveau chemin s’ouvre devant nous. La romancière Virginie Grimaldi intitulait un de ses livres Le premier jour du reste de ma vie. Nous pourrions essayer « d’habiter » cette formule, qui exprime assez bien ce qui peut se jouer ici. La notion de nouvelle naissance est très importante dans la spiritualité chrétienne. Le dialogue de Jésus avec Nicodème est, sur ce point, fondateur : « Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » Jésus répondit : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». » (Jn 3, 4-5) En effet, quel que soit notre âge ou notre situation, quelles que soient les joies ou les épreuves qui ont jalonné notre route, nous pouvons vivre une nouvelle naissance personnelle, communautaire, spirituelle, et pastorale. Nos habitudes, notre manière d’être au monde en seront alors inévitablement changées, même sans que ce soit notre intention explicite. Par exemple, le pape François dans sa première grande encyclique, La Joie de l’Évangile, dessinait ainsi la conversion pastorale qu’il appelle si souvent de ses vœux : « La pastorale en terme missionnaire exige d’abandonner le confortable critère pastoral du « on a toujours fait ainsi ». J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés. » (n° 33). Nous n’allons pas vivre les mêmes choses que l’année précédente, pas seulement (et pas d’abord), parce que nous avons déménagé ou parce que nous avons reçu une nouvelle mission, mais parce que le Seigneur, avec la puissance de son Esprit, nous transforme en profondeur, nous convertit. « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » (Ap 21, 5)
De plus, le Créateur nous a fait à son image et à sa ressemblance et donc fait de nous aussi des créateurs. Nous sommes de ces artistes dont nul ne sait ce que produiront demain les pinceaux, burins, ou instruments, sous le coup d’une inspiration inattendue… Chrétiens, au-delà de nos caractères, de nos « dadas », de nos « pentes », souvent bien connus et repérés, et dans lesquels on voudrait nous enfermer, il est bon que nous restions en partie imprévisibles. Sinon cela voudrait dire qu’il n’y a plus de place en nous pour Dieu, l’Imprévisible par excellence.
Que nous commencions cette année comme si nous venions de naître, afin de ne pas céder à la routine en nous contentant de recommencer, encore et encore… Que le Seigneur nous accorde cette grâce.
† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne

Homélie - basilique du Sacré-Cœur
Commentaire - Jn 21, 15-17
L’Évangile de ce jour semble vouloir attirer notre attention sur LA question essentielle que Jésus adresse non seulement à Pierre, aux apôtres, mais aussi à tous ses disciples, et à travers eux à tous les hommes. Et cette question porte sur l’amour.
Qu’est-ce qui fait de moi un chrétien ? S’agirait-il du fait que j’adhère intellectuellement à un corps de doctrine (résumé dans le Credo), une anthropologie ? Serait-ce aussi le fait que je mette en œuvre des comportements, une morale, en harmonie avec les attentes de ce Dieu auquel mon intelligence adhère ? Cela se traduirait-il, encore, par le fait que je rende un digne culte au créateur de toutes choses, dans des rituels personnels et collectifs ? Certes, c’est cela aussi, qui manifeste que je suis un chrétien, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus fondamental, ce n’est pas cela qui est le fondement de mon être chrétien.
Le Seigneur m’interroge d’abord sur la nature de ma relation avec Lui. Mon expérience spirituelle est-elle de l'ordre de l'expérience amoureuse. Ai-je été saisi par la présence de Jésus au point que cela ait transformé en profondeur mon existence ? Sinon, certes, je peux être de culture chrétienne, très aguerri en matière de théologie, ayant une vie somme toute assez honnête, pratiquant même régulièrement un culte, mais je suis en quelque sorte une coquille vide. Au pays des noix, on sait ce qu'est une coquille vide. D’autres, comme Mgr Gérard Daucourt, pourront me définir comme un « athée pieux » ou un religieux sans Dieu.
M’aimes-tu ? Voilà donc la question essentielle d’où tout le reste découle ! Encore faut-il s’entendre sur la nature de l'amour dont nous parlons .
Un amour qui nous fait aimer comme Dieu aime, d'un amour totalement gratuit (agapé) ou m'aimes-tu seulement de l'amour dont sont capables les hommes, fait de réciprocité, (philia - amour mutuel de bienveillance fondé sur quelque chose que l’on a en commun) ?
Quand on regarde bien le texte de l’Évangile et les verbes utilisés, nous constatons que dans les deux premières questions le Chris interroge Pierre sur sa capacité à aimer comme Dieu aime (agapé). Pierre lui répond qu'il l'aime seulement de l'amour dont les hommes sont capables (philia). Mais en revanche dans la troisième question, cette fois, Jésus demande à Pierre s'il l'aime de l'amour non plus d’agapé mais de philia .Il semble ainsi donner l'impression de douter que Pierre soit durablement capable de cet amour, pourtant à la portée de l'homme. Alors, Pierre s’attriste, car il sait que Jésus a raison puisqu'il a été capable de le renier, par trois fois... Il a nié avoir même une amitié simplement humaine pour lui. Pierre n’a pas su aimer, ni à la manière de Dieu, ni même parfois à la manière des hommes.
Et pourtant, par trois fois, après chacune de ses questions, Jésus lui demande malgré tout de prendre soin de son troupeau ! "Je sais que tu ne peux pas aimer de l’amour même de Dieu, et que parfois même un amour à la mesure de l’homme te sera difficile. Pourtant, conscient de tes limites, je te confie le soin de mon troupeau, je t’institue apôtre de l’amour. Tu aimeras, imparfaitement sans doute, de façon quelque peu chaotique, mais je te confie cette mission ; ne te dérobe pas ". " Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour " nous rappelle saint Jean de la Croix.
Le rêve de Dieu en Jésus, selon la belle expression du pape François, est de contempler « une Église folle d’amour pour son Seigneur et pour tous les hommes, aimés par Lui » (messe anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, le 11 octobre 2022, mémoire de saint Jean XXIII). Une Église qui se fasse servante de l'humanité, une Église retenant le geste du lavement des pieds comme étant celui qui symbolise le mieux la mission que le Christ lui confère... Et pour que ce rêve se réalise, il prend tous les risques. Il confie ce projet à ces personnages si peu fiables que nous sommes.
Le pape François, le 10 septembre 2015 s’adressant aux évêques fraîchement nommés ou ordonnés, disait ceci : « En traversant les murs de votre impuissance, Il vous a rejoint par sa présence. Bien qu’Il connaisse vos reniements et vos abandons, les fuites et les trahisons. Malgré cela, Il est arrivé dans le sacrement de l’Église, et a soufflé sur vous ».
C’est avec nos pauvretés que le Seigneur agit, et à n’en pas douter saint Jean-Paul II, dont nous faisons mémoire aujourd'hui, a autant fait pour l’Église, et même sans doute plus, lorsque sur son fauteuil de personne handicapée il ne lui restait que la vivacité de son regard et l’offrande de sa vie souffrante, que lorsqu’il était ce jeune pape d’une incroyable énergie.
M’aimes-tu ? Sois le berger de mes agneaux, sois le pasteur de mes brebis !
M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? Que cette question du Seigneur ne nous laisse jamais tranquilles ! Et l'appel à y répondre par l'amour des frères, non plus !
Amen.
† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne
Discours
Discours - Espace diocésain du Sacré-Cœur
Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus chacune et chacun selon vos « grades et qualités », et soyez remerciés d’avoir répondu à notre invitation.
C’est sans doute quelque peu présomptueux pour une institution comme l’Église qui est en Isère de se sentir encore autorisée à inviter les responsables que vous êtes, à l’occasion de la nomination d’un nouvel évêque. Déjà, en 1969, un certain Joseph Ratzinger (qui deviendra ensuite le pape Benoît XVI) dressait ce constat : « Dans la crise actuelle, une Église qui a beaucoup perdu émergera. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins depuis le début. Elle ne pourra plus habiter les bâtiments qu’elle a construits en période de prospérité. Au fur et à mesure que ses fidèles diminueront, elle perdra aussi la plupart de ses privilèges sociaux ». En nous accordant la sympathie de votre présence, vous pourriez vouloir nous réconforter en nous suggérant que nous sommes encore importants. Mais, au fond, n’est-ce pas en s’efforçant de préserver l’image d’une institution qui aurait du poids sur la société, que nous avons parfois perdu le fil (et combien gravement) avec le Christ et son message d’amour, de justice et de paix ? Alors c’est notre joie pour nous aujourd’hui de redevenir « petits ».
Pourquoi avons-nous programmé ce temps particulier, ce soir, alors que nous aurions pu nous contenter d’inviter tous ceux qui le souhaitaient, à la messe de ce matin ? Parce que cela nous semblait plus respectueux des convictions de chacun de ne pas « obliger » ceux qui voulaient se manifester, à s’associer à une prière et un rituel spécifiquement chrétien et catholique. Nous ne sommes plus en chrétienté et nous avons compris, après bien des résistances, qu’une saine conception de la laïcité était au service de la liberté de conscience et donc de la liberté religieuse de tous.
Nous nous retrouvons bien dans la récente définition de ce concept que donnait récemment le rabbin Delphine Horvilleur : « La laïcité française n’oppose pas la foi à l’incroyance. Elle ne sépare pas ceux qui croient que Dieu veille et ceux qui croient aussi ferme qu’il est mort ou inventé. Elle n’a rien à voir avec cela. Elle n’est ni fondée sur la conviction que le ciel est vide ni sur celle qu’il est habité... La laïcité dit que l’espace de nos vies n’est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une espérance de saturer tout l’espace... Elle affirme qu’il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer ».
C’est au nom de cette conception de la laïcité que nous nous sentons, et même que nous nous faisons un devoir, d’apporter notre contribution à la « chose politique », au sens où l’entendait Václav Havel, ou encore le pape Pie XI qui la définissait comme étant « le champ le plus vaste de la charité ». Les chrétiens, alors qu’ils ont leur regard tourné vers « un royaume qui n’est pas de ce monde », seraient-ils de ceux qui renonceraient à̀ s’engager dans un effort de transformation de la société ? Non, nous croyons au contraire que la foi peut être un moteur puissant de changement social. L’Esprit de l’Évangile nous pousse à ne pas nous satisfaire de l’état du monde, et particulièrement de tout ce qui blesse l’être humain (image de Dieu) et son environnement (Création).
Comment alors, comme croyants, apporter notre part au débat public ? En nous engageant dans des échanges fondés en raison, car cette dernière est la langue commune qui nous permet de dialoguer, en allant au-delà de nos convictions de foi ou de non foi. Le pape Jean-Paul II, dont nous avons fait mémoire ce matin, dans un texte majeur sur les rapports entre la raison et la foi datant de 1998, précisait cette démarche : « Par une argumentation fondée sur la raison et se conformant à ses règles, le philosophe chrétien, tout en étant toujours guidé par le supplément d’intelligence que lui donne la parole de Dieu, peut développer un raisonnement qui sera compréhensible et judicieux même pour ceux qui ne saisissent pas encore la pleine vérité que manifeste la Révélation divine. Ce terrain d’entente et de dialogue est aujourd’hui d’autant plus important que les problèmes qui se posent avec le plus d’urgence à l’humanité — que l’on pense aux problèmes de l’écologie, de la paix ou de la cohabitation des ethnies et des cultures — peuvent être résolus grâce à une franche et honnête collaboration des chrétiens avec les fidèles d’autres religions et avec les personnes qui, tout en ne partageant pas une conviction religieuse, ont à coeur le renouveau de l’humanité. » (Jean-Paul II - 1998 - Fides et Ratio n° 104).
« Ont à cœur le renouveau de l’humanité »... Je conclus en mettant en relief cette dernière expression de Jean-Paul II. L’humanité, nos démocraties, notre démocratie, ont besoin de gens qui aient le « goût des autres » (petit clin d’œil au passage à ce film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri qui porte ce titre).
Chacun et chacune d’entre nous fonde son engagement au service du bien commun, dans son propre champ de responsabilité, sur un « certain goût des autres ». Puissions-nous le garder toujours au cœur et à l’esprit et nous entraider à ne pas le perdre, chemin faisant.
† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne