Mgr Jean-Marc Eychenne

Messages de Mgr Jean-Marc Eychenne

Article de Antonio Ferrero dans le journal italien la Stampa - 10 avril 2024

Dialogue entre l’évêque de Grenoble-Vienne Jean-Marc Eychenne et le fondateur de Pra d’Mill Cesare Falletti

Dans un essai, il y a quelques années, le théologien et philosophe tchèque Thomas Halik a écrit : « malgré les formes institutionnelles de la religion traditionnelle, nous ressemblons à bien des égards au lit d'une rivière presque à sec, l’intérêt pour la spiritualité de tous ordres semble être une inondation en croissance rapide traversant de vieux remblais et creusant de nouveaux chemins ». C'était la première réflexion qui m'est venu à l'esprit au dernier rendez-vous dédié aux « Terre Alte » de l'éditeur Aragno.

Le réalisateur et scénariste Fredo Valla (nouveau candidat du « David » de Donatello pour le scénario de « Lubo ») discutait avec l'évêque de Grenoble- Vienne Jean Marc Eychenne et le fondateur du monastère « Dominus Tecum » de Pra d'Mill Cesare Falletti sur la relation étroite entre spiritualité et montagnes.
Que c'était un événement inhabituellement ressenti, il a été détecté directement depuis l'e-mail « d'avertissement » de l'organisateur : en raison du grand nombre de réservations, beaucoup auraient dû rester debout. J'ai suivi une quantité indéterminée d’événements organisés à la Villa Tornaforte-Aragno, tous très réussis mais jamais avec une telle participation.
Le père Cesare Falletti a clairement souligné ce que le public avait en commun rappelant que la montagne transmet un sentiment de liberté. Un concept également réitéré par Monseigneur Eychenne : « L'intériorité pour moi, ce n'est pas tant l'église mais la cathédrale naturelle ». Le désir du silence et de méditation est toujours plus grand : la société hyper kinétique dans laquelle nous vivons (dans une de ses dernières leçons, le philosophe Vattimo a comparé nos temps mouvementés à la façon dont, imaginait-il, pourrait être présenté l'Apocalypse), le drame dont nous sommes entourés, l’effritement de ce qui semblait des certitudes acquises poussent toujours plus l'homme à chercher des occasions de retrouver un peu d'intériorité et la spiritualité (pas nécessairement religieuse).
Mgr. Eychenne l’a parfaitement compris : « L'horizon est plein de peurs : de la guerre, des inégalités entre riches et pauvres, de catastrophe écologique imminente. La consommation pathologique de biens les matériaux ne suffisent plus à apaiser nos angoisses. Il est nécessaire de ralentir. Marcher en montagne aide à revenir à un rythme plus propice à la pensée, et c’est la pensée qui caractérise l'homme. »
Ce qui est ressorti de la rencontre, c'est précisément la certitude de la nécessité inévitable de chercher un sens à ses actions. Père Falletti a souligné : « De nombreux laïcs ou athées viennent à nous. Les gens ont besoin de quelque chose qui leur rappelle que l'homme est aussi esprit. Cela est particulièrement vrai pour les jeunes. Les garçons sont allés plus loin dans la crise et donc plus grande est la recherche de réponses. Les paroisses se vident parce qu'il n’y a plus de sentiment d'appartenance à l'Église en tant qu'institution, mais le besoin de spiritualité n’a pas changé. Et la montagne favorise bien plus que la paroisse urbaine cette demande ».
En cela, nous, les habitants de Cuneo, avons un avantage : les montagnes se profilent à une distance minimale et la possibilité de mettre de l’ordre dans les pensées en calmant la frénésie de l'ordinaire est à portée de chacun. C'est exactement la même dimension structurelle des sommets pour favoriser l'introspection, pas seulement le fait de se retrouver seul ou loin des bruits de la ville.

Que ce soit Fredo Valla ou le Père Falletti, ils ont insisté sur la façon dont le paysage et le mode de vie affecte la personnalité. En particulier, le fondateur de « Dominus Tecum », a-t-il souligné la différence par rapport aux années passées aux îles de Lérins : « La mer donne un grand sens de l'infini, mais cela me dérangeait de ne pas avoir d'obstacle devant moi. La montagne fixe de nombreuses limites : le seul regard qui peut s’étendre est vers le haut, exactement comme dans le cloître d'un monastère. On se sent nu en montagne : autour de soi, il y a une grande beauté : arbres, sentiers, parois rocheuses. Puis si on lève le regard on voit l'infini, sans limites. » La montagne est thérapeutique, un baume pour l'esprit justement parce qu'elle demande des efforts.
La technologie, qui domine désormais nos vies, en montagne (la " vraie ", pas celle du tourisme) c’est encore un pas en arrière. Cela permet de se retrouver face à soi-même authentiquement pour contempler l'infini et retrouver l'intériorité. Et peut-être remettre de l’ordre dans notre échelle de valeurs. Boris Vian, auteur à la grande sensibilité, a écrit : « Sur les cimes les plus hautes, vous réalisez que la neige, le ciel et l'or ont la même valeur ».

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Nouvel essai de Mgr Eychenne

Le chemin synodal sur lequel nous sommes résolument engagés ne va-t-il pas nous faire redécouvrir que le prêtre, dont la présence est indispensable à la vie d’une communauté chrétienne, est « un » parmi « d’autres » coresponsables de la vie et de la mission de l’Église ?
Le prêtre n’est certainement pas rien, mais il n’est pas tout !
Les quelques pistes ébauchées ici contribuent à dessiner un autre visage des ministres ordonnés dans notre Église.
« Autre visage », non pas au sens où il s’agirait d’inventer je ne sais quelle nouveauté à la remorque d’une mode ou d’une idéologie. Mais plutôt de revisiter la Parole de Dieu afin d’y discerner les appels que Dieu semble vouloir nous adresser aujourd’hui. C’est un ministère de prêtre qui doit se vivre à « l’école du lavement des pieds » que le P.Jean-Marc Eychenne invite à découvrir ou redécouvrir, qui suppose une réelle humilité et un esprit de service.

Joliment illustré par des tableaux d’Arcabas, son propos se nourrit de la Bible mais aussi de références qui parlent à la culture contemporaine, avec des auteurs comme Erri de Luca, G.K.Chesterton, Philippe Jaccottet ou Leila Slimani.

Editeur : SALVATOR / ISBN : 9782706726651 / Format 130x200 112p / 13€

> Écoutez l'émission dédiée sur RCF Isère avec l'entretien de Mgr Eychenne
> La revue du père CHristophe Delaigue à lire ici

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Message de Pâques 2024

Il réveille en nous l'enfant qui s'était éteint en nous

Le Ressuscité est aussi (et peut-être même d’abord) le ressuscitant ! Quand nous faisons l’expérience d’avoir été́ relevé́, saisi par la main, alors qu’une sorte de mort nous abattait. Alors nous expérimentons sa victoire sur la mort à laquelle il nous associe. Nombreux sont les baptisés de la nuit de Pâques, qui témoignent de fait que c’est le fait d’avoir été́, d’une façon ou d’une autre, remis debout par le Christ, libérés, ce qui les a conduits à adresser une demande de baptême à l’Église.

Nous pourrions dire qu’ils ont expérimenté́ une forme de renaissance de ce que le Seigneur avait posé́ de meilleur en eux, au jour de leur venue en ce monde.

Relisons cet extraordinaire dialogue de Jésus avec ce pharisien dans la sagesse du grand âge : Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » (Jn 3,4).

Oui, le Christ peut réveiller en nous la grâce de l’enfant qui sommeille. Bernanos nous aide à comprendre cela : « Certes ma vie est déjà̀ pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Et pourtant, l’heure venue, c’est lui qui reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu’à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la maison du Père ». Retrouver l’enfance, c’est retrouver la condition dans laquelle tous les possibles sont ouverts devant nous. Tout se réinitialise, tous les espoirs sont à nouveau permis. Comme pour la jeune fille dans Mc 5, 21-43, le Christ nous prend par la main et nous relève, nous associant ainsi à sa victoire sur la mort, à sa Résurrection.

Christian Bobin écrira : « Dieu c’est ce que savent les enfants, pas les adultes. Un adulte n’a pas de temps à perdre à nourrir les moineaux ». Seigneur Ressuscité, rétablis-nous dans la grâce de l’enfance.

† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

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Message de Carême 2024

Il est question d’entrer en résistance par rapport à l’esprit du monde, les pensées et les pratiques dominantes, parfois bien éloignées des appels évangéliques. « Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, dit le Seigneur. » (Is 55,8).

De toutes nos forces, nous voudrions résister à l’idée que certaines parties de l’humanité ne jouiraient pas d’une pleine dignité, voire n’auraient pas droit à l’existence. Par une vie sobre, nous souhaiterions contester les logiques de surconsommation et de prédation du vivant. Par le choix délibéré d’un pas lent et serein, nous pourrions mettre quelques grains de sable dans une mécanique de fébrile suractivité. En consacrant de longs temps à la prière, nous souhaiterions mettre en valeur tout ce qui est gratuit, et qui, comme la création artistique, ne concourt pas à la recherche d’efficacité. Dans l’écoute patiente et attentive des plus « cassés » par les aléas de l’existence, nous pourrions donner la parole à ceux qui jamais ne sont entendus. En exerçant nos missions et nos ministères comme d’humbles charges ne nous élevant pas au-dessus des autres, mais nous inclinant à leurs pieds, nous souhaiterions revisiter les notions de pouvoir à la lumière de l’Évangile… Jésus les appela et dit : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mt 20, 25-28).

Cependant, nous ne devons pas perdre de vue que penser et agir à la manière de Dieu ne peut être possible simplement sur la base de notre intelligence et de notre volonté. Il n’est pas seulement question de s’appliquer à faire ce que Jésus ferait à ma place, inspiré par le message de l’Évangile. Il me faut le laisser, Lui, agir à travers moi.

C’est le Seigneur qui est Le Résistant par excellence, et c’est par Lui, avec Lui et en Lui, que nous deviendrons résistants à l’esprit du monde, au Malin et au Diviseur.

« Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. » (Mt 4, 1). Il me faut m’abandonner à la grâce de Dieu. Et cette capacité à s’abandonner est elle-même déjà une grâce… Le père Maurice Zundel nous aide à entrer dans ce chemin de vie spirituelle : « La mission de l’Église ne peut s’accomplir qu’en état de démission, c’est-à-dire en état de total effacement dans la Personne de Jésus-Christ. ».

Entrons en Carême - nous qui sommes sur une terre marquée par la Résistance - comme on entre en résistance. Oui, Seigneur, avec toi, nous irons au désert !

† Jean-Marc Eychenne, évêque de Grenoble-Vienne

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Message de Noël 2023

Il y aurait tant et tant de motifs de désespérer de nous-même, des autres, de notre capacité collective à construire un monde d’amour de justice et de paix ! Nous ne ferons pas ici la liste de tous les lieux où se propagent haine, mort, indifférence à la misère d’un frère, dégradation du vivant. Chacun a cela à l’esprit.

Mais il est une nuit, chaque année, au cours de laquelle nous nous autorisons à croire que ces logiques de ténèbres n’auront pas le dernier mot. Alors que nous étions abattus, tétanisés, paralysés, souvent incapables d’imaginer qu’un avenir meilleur soit possible, un enfant vient, au milieu de la nuit, et nous ouvre à nouveau à l’espérance.
« L’Espérance est une petite fille de rien du tout. Qui est venu au monde le jour de Noël… » nous dira Charles Péguy.

Un autre poète, Christian Bobin, expliquera quant à lui « À Noël je vois venir un nouveau-né…Il va m’apprendre que d’un côté il y a les stratégies, les calculs, la force, la puissance l’argent… Et que de l’autre il y a l’attention à l’autre, l’oubli de soi, le don, l’ouverture, la bonté. »

Est-ce folie de croire que cela soit possible ? Mais sans cette folle utopie la vie vaudrait elle encore la peine qu’on s’y attache !? L’espérance retrouvée est comme une renaissance. Nous retrouvons le regard de l’enfant qui voit s’ouvrir tous les possibles devant lui, et qui n’est pas encore marqué par les cicatrices de l’épreuve. L’enfant que nous redevenons accepte de se lancer dans des chantiers qui, a vue humaine (ou au regard du vieil homme), sont impossibles.
Si notre espérance est active, engagée, forte de ce don d’amour et de vie qui nous dépasse, nous pouvons penser qu’il soit possible de ne plus placer les logiques économiques au sommet de notre édifice civilisationnel, mais bien plutôt l’attention aux autres. Qu’il soit question de donner la priorité aux êtres les plus fragiles dans les commencements de la vie, dans la grande détresse poussant à l’éloignement de sa terre d’origine, ou bien encore les derniers souffles d’une vie qui s’éteint. Est-ce irréalisable ?

« Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible. »
(Mt 19, 26)

Les chrétiens croient que cet enfant qui vient est justement Dieu lui-même venant à la rencontre de l’homme, pour réouvrir, avec lui, les chemins devenus inaccessibles. Cette image peut être parlante pour les habitués aux difficiles voies d’accès de certains de nos sommets…

Nous nous associons au Pape François qui nous dit « j’imagine trois chantiers d’espérance où nous pourrions travailler unis : l’environnement, l’avenir, la fraternité. ». 
Avançons ensemble sur ces chantiers d’une espérance retrouvée, remis en marche, comme les bergers et les mages, par cet enfant, si discret et pourtant si puissant.

✝ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Grenoble-Vienne

Entrevue avec Mgr Jean-Marc Eychenne : assemblée synodale à Rome (2023)

Tout savoir sur la question avant l'événement

Sur les quelque 364 membres qui participeront à l'assemblée synodale à Rome du 4 au 29 octobre 2023, sept Français auront le droit de vote, dont Mgr Eychenne !
Notre évêque rappelle la démarche qui a mobilisé les Églises du monde entier.
Au cœur des réflexions : comment renouveler la façon de gouverner pour donner toute sa place à chacun, clercs, laïcs, femmes...

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Entrevue réalisée par Stéphane Debusschère dans les locaux de RCF Isère.
Vous pouvez retrouver Mgr Eychenne sur
- Facebook :
https://www.facebook.com/jeanmarc.eychenne
- X : https://twitter.com/EYCHENNEJM

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(Dieu ne se prouve pas, il s'éprouve)

Il arrive que nous pensions que, pour un chrétien, témoigner de sa foi signifierait faire la liste, et expliquer, l’ensemble des vérités auxquelles il adhère. Mais, si nous nous engageons dans ce chemin ne commettons-nous pas une grave erreur (le contraire de la vérité !) faisant de nous les zélateurs d’une doctrine, d’une idéologie, de quelques idées, plutôt que des témoins de Celui que, par grâce, nous avons rencontré ? Comme chrétien, nous ne détenons pas la vérité, mais nous avons rencontré quelqu’un qui EST la vérité :
« Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6).

En conséquence, le défi de la transmission de la foi n’est pas celui du partage d’un ensemble de connaissances qu’il faudrait assimiler, et auxquelles il faudrait adhérer, pour avoir la garantie d’être dans le vrai, contrairement à ceux qui, ne croyant pas ou croyant autrement, seraient dans l’erreur. Le véritable enjeu de l’évangélisation est celui de la rencontre avec le Christ. Christian Bobin nous explique cela de belle façon en écrivant : 
« Il dit {le Christ} qu’il est la vérité. C’est la parole la plus humble qui soit. L’orgueil, ce serait de dire : la vérité, je l’ai. Je la détiens, je l’ai mise dans l’écrin d’une formule. La vérité n’est pas une idée mais une présence » (l’Homme qui marche).
Une présence…

En effet, pour nous, chrétiens, la vérité est une personne, et être dans la vérité signifie imiter le Christ, assumer son style de vie, sa manière d’être en relations avec Dieu, avec la création et avec les autres. Il s’agit de mettre ses paroles dans la trame de nos existences, et non d’en faire un ensemble d’idées qu’il faudrait nous efforcer de communiquer.
Nous retrouvons ici l’importance de la distinction entre être et avoir. Avoir la vérité, la posséder, finit par nous conduire, presque immanquablement à nier l’autre. Soit il adhère à mon corps de croyances, soit il est à combattre ou à convaincre. Alors que si, avec le Christ, je suis dans la vérité, je vais déceler chez l’autre ces parts de vérité, que mystérieusement Dieu y a déposées et cela va susciter chez moi de l’admiration : 
« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25)

Tant et tant de pages d’Évangile nous montrent Jésus louant la vérité, la bonté, la foi et la sainteté de personnes loin du peuple d’Israël, loin des croyances, et parfois fort peu recommandables… Il est La vérité, et avec un flair infaillible, il en découvre des semences dans toutes les cultures et dans toutes les existences. S’il est si dur avec certains croyants c’est parce qu’il constate qu’en pensant détenir seuls la vérité morale et doctrinale, ils s’enferment dans un terrible et hypocrite « entre-soi ».

Comment essayer de dire cela autrement ? L’expression que tentent Paul Colrat, Foucault Giuliani et Anne Waeles, dans leur livre « La communion qui vient », semble assez heureuse : 
« La communion à laquelle nous sommes appelés n’est pas un ensemble de présupposés (d’idées, de sensibilité, de références) partagées par les chrétiens. C’est même le contraire. La communion c’est l’amour qui nous décentre »
L’incroyable et utopique écoute (mais il y a des utopies fécondes) à laquelle le Pape François invite l’Église universelle – cette consultation tous azimuts, appelée synode – est ancrée dans cette conviction évangélique que la vérité que nous recherchons pour orienter la vie de l’Église et du monde, n’est pas détenue par une petite élite de « sachants » qui ambitionne d’être les seuls « décidants ».
Nos rencontres vraies, de personne humaine à personne humaine, animées d’amour et de respect mutuel, nous permettront d’avancer ensemble sur le chemin de La Vérité, source de communion entre tous.

† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne

24 juillet 2023

ou fuir la tentation de la vitesse

Édito du journal Église en Isère le mag - n° 7 - mars 2023

Notre manière de nous précipiter, d’accélérer notre course, notre pas, ou nos déplacements ; nos gestes brusques ; notre réaction impulsive ; tout cela nous éloigne de notre unité intérieure, nous conduit à ne pas laisser l’esprit et le cœur orienter nos chemins de vie. Nous cachons mal notre angoisse de mort, ou encore notre volonté de tout maîtriser, en tendant à mettre une quantité innombrable d’actions dans un temps limité. Nous voulons mettre de l’infini dans du fini, et nous entretenons ainsi une frustration qui n’aura pas d’issue. Pourquoi vouloir aller de plus en plus vite d’un point à un autre, avec des trains à grande vitesse ou des avions supersoniques ? Aurions-nous oublié que le temps du voyage a une valeur en lui-même et qu’il est souvent habité de mille richesses ?

La lenteur, c’est le rythme du marcheur, du montagnard, du pèlerin, du moine mendiant et itinérant, et finalement du penseur et du maître spirituel. Une certaine lenteur est indispensable au travail de l’esprit et de la mémoire. Relisons ces quelques lignes de Milan Kundera : « Évoquons une situation on ne peut plus banale : un homme marche dans la rue, soudain il veut se rappeler quelque chose, mais le souvenir lui échappe. À ce moment machinalement, il ralentit son pas. […] Le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli » (La Lenteur).

La lenteur est nécessaire au discernement… Peu de bons choix se font dans la précipitation (sauf à avoir acquis des « habitus », longuement préparés par un lent et fastidieux travail. Ces habitudes constituent alors en nous comme une seconde nature, nous expliquait Félix Ravaisson).

En ce temps de l’Église où nous voudrions parfois faire face à tout ce que faisaient nos prédécesseurs avec d’importants moyens (humains et économiques), nous risquons, en raison de notre désir d’agir vite, de tomber dans une agitation stérile, plutôt que de nous laisser conduire par le souffle de l’Esprit. Paul dirait alors que nous sommes « affairés sans rien faire » (2 Th 3, 11), sans rien construire qui soit vraiment utile.

Alors si nous nous remettions à marcher lentement ? Si nous cessions de nous agiter pour avancer calmement et sereinement dans la direction que l’Esprit nous indique ? Il s’agit aussi de « trouver notre miel » dans un temps rythmé par l’écoute (de Dieu et des autres), le conseil, la synodalité…

† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

Édito du journal Infos dio n°8 - février 2023

Le mot qui définirait le mieux ce que nous sommes appelés à vivre dans ce temps de l’Église est « co-responsabilité ». Il ne s’agit pas de sacrifier à une trouvaille d’un coach-manager, mais de continuer à avancer sur le chemin dessiné par le concile Vatican II. Il est question de la remise en valeur du sacerdoce commun des fidèles, articulé avec le ministère sacerdotal, lequel est au service de ce sacerdoce baptismal. La consultation des baptisés, souhaitée par le pape François à partir de septembre 2021 en prévision du synode, vise à une meilleure compréhension et une meilleure mise en œuvre, de la coresponsabilité dans l’Église. Sans oublier deux choses : la première est que tout cela est le fruit de l’action de Dieu en nous, et donc d’abord un défi spirituel ; la seconde que la visée est une ardeur renouvelée pour la mission.

Certains d’entre nous, en fonction de leur expérience, de leur culture, ont spontanément de la sympathie ou de l’antipathie pour cette notion de coresponsabilité. Il convient de laisser de côté les visions « mondaines » dont nous sommes héritiers, pour nous ouvrir à une manière chrétienne de nous engager sur cette voie. Nous avons besoin pour cela de nous mettre, dans la prière, à l’écoute de l’Esprit, tout en nous efforçant d’asseoir nos intuitions dans l’approfondissement théologique et de discernement communautaire. Nous devons vraiment prendre le temps d’échanger en profondeur sur ces questions.

Entre autres découvertes et chantiers à engager, nous comprenons qu’il nous est demandé d’évangéliser notre relation au pouvoir (pouvoir d’élaborer les décisions, de les prendre et de les mettre en oeuvre). Il est question d’un changement en profondeur de mode de gouvernement afin que la parole de tous ait de la valeur, avec une place de choix accordée à la parole des plus pauvres ou des plus fragiles qui, habituellement, ne comptent pour rien. « Vous n’avez qu’un seul maître, le Christ… Et vous êtes tous frères. » (Mt 23, 8-10)

Depuis les années 1960, les interventions du Magistère sont allées dans ce sens :
■ « Si l’on me demandait quel est « le genre de vie » le plus riche en conséquences pastorales qu’on doit au concile, je répondrais sans hésiter : la découverte du peuple de Dieu comme un tout, comme une globalité et, par voie de conséquence, la co-responsabilité qui en découle pour chacun de ses membres. » (Cardinal Suenens - 1968)
■ Le pape Benoît XVI disait de même : il est nécessaire « d’améliorer l’organisation pastorale, afin que […] on encourage graduellement la co-responsabilité de l’ensemble, de tous les membres du Peuple de Dieu ». (28 mai 2009)
■ « Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu. » (Pape François, lettre du 20 août 2018)

Enfin, si nous parlons de co-responsabilité, n’oublions pas que LE responsable, c’est le Seigneur et que nous sommes ses très modestes et très fragiles collaborateurs.

† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

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Invitation pour le pèlerinage à Lourdes - 20-25 juillet 2023

... avec comme maîtres, les plus fragiles - Une école pour apprendre à passer du « je » au « nous »

Un des défis majeurs de la vie chrétienne, ou de la vie spirituelle, est de faire passer au second plan la préoccupation de nous-même pour donner la première place à l’autre, et aux autres. C’est le challenge que tentent de relever, le couple, la famille et la communauté croyante. La culture contemporaine fortement imprégnée d’individualisme rend sans doute la démarche plus complexe encore. Comment donner la priorité aux besoins de l’autre plutôt qu’à la satisfaction de mes désirs ? Comment glisser d’une logique d’accumulation des biens à la solidarité ? Comment renoncer à ma tranquillité pour vivre l’hospitalité ? Comment apprendre à me taire pour laisser à l’autre un espace d’expression ?

Il semble que le Christ, quand il répond aux disciples qui lui demandent de leur apprendre à prier, veuille les inviter à former et à cultiver leur unité. Il ne leur dit pas : « Quand vous priez, dites mon Père… », mais « Quand vous priez, dites notre Père… » (Lc 11, 2), comme s’il ne pouvait pas y avoir de prière authentique adressée à Dieu le Père, sans que de vraies relations fraternelles existent d’abord. Et si le défi prioritaire que nous avons à relever pour rendre nos communautés chrétiennes plus attractives était d’abord celui de la fraternité, du sens de l’accueil, de l’attention aux plus fragiles, plutôt que celui de la qualité de nos liturgies, ou du contenu de nos enseignements… Et si nous étions appelés à refléter d’abord le NOUS trinitaire (communion du Père, du Fils et de l’Esprit), dans la vie de nos communautés locales… Ne devrions-nous pas nous préoccuper de cela toutes affaires cessantes ?

« J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. » (1 Cor 13, 1). Il ne s’agit donc pas de faire des choses, aussi sublimes soient-elles, mais de les faire ensemble. Demandons au Seigneur de nous accorder cette grâce, car cela ne nous est nullement naturel ou spontané. Le Libérateur vient me délivrer de l’esclavage de moi-même pour m’ouvrir à la présence des autres. Le pèlerinage diocésain à Lourdes est un des lieux où s’ouvre ce chemin-là.

† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

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Session pastorale diocésaine - janvier 2023

Nous venons de vivre une expérience inédite, du 16 au 18 janvier, à Notre-Dame de La Salette : une session pastorale regroupant les principaux responsables de l'annonce du Christ et de son Évangile dans notre diocèse (des prêtres, des diacres, des religieux et des religieuses, des personnes consacrées, des laïcs en mission ecclésiale, des assistants ou adjoints en pastorale scolaire, des responsables éducatifs, des théologiens et théologiennes, etc.). Il était question de vivre une expérience d'écoute de l'Esprit, à travers la prière et la célébration de l'Eucharistie, les temps de partage en petites fraternités, des apports théologiques ou des témoignages. Nous ne savons pas précisément où cela nous conduira (c'est le Saint-Esprit qui, peu à peu, nous indiquera le chemin), mais nous cherchons à répondre à l'appel du pape François qui, dans La Joie de l'Évangile nous adressait ces mots : " J’espère que toutes les communautés feront en sorte de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire ". Oui, il est vraiment question de conversion, de retournement, de modifications assez radicales de notre manière de vivre en Église. Dans cette même lettre de novembre 2013, au n° 33 notre pape ajoutait : " J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés ".

Nous cherchons ensemble. Il n'y a pas de solutions magiques ou toutes faites. Nos expérimentations sont plus ou moins heureuses ou cohérentes, mais nous prenons le temps de les relire en Église sous l'éclairage du Magistère, afin de discerner si nous nous laissons faire par l'Esprit du Seigneur plutôt que par nos idéologies, notre sensibilité, nos sympathies ou nos antipathies... L'esprit du monde, en somme.

En août 2016, le même pape François, face à la terrible crise provenant de la révélation des abus dont des membres de notre Église se sont rendus coupables, affirmait encore : " Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu ". Nous avons voulu, pour cette session pastorale, une participation active de tous le membres du Peuple de Dieu, afin de nous mettre, le plus possible, en situation d'entendre la volonté du Seigneur sur la vie et la mission de son Église diocésaine en Isère.

Qu'avons-nous entendu ? Quel est le " message " qui pourrait ressortir de ce temps fort, de ce temps de grâce ? Nous ne pouvons pas répondre à cette question ! Ou plutôt, si message il y a, il ne se résume pas en quelques phrases qui nous indiqueraient des orientations à mettre en œuvre, mais dans la démarche elle-même : avancer ensemble vers la " Terre promise " en acceptant de sortir de nos postures, de nos agacements, de nos habitudes trop répétitives, de nos certitudes trop bien établies, pour nous ouvrir à un autre style de vie ecclésiale... C'est peut-être cela aussi un synode !

+ Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

Relecture de Ad Gentes - janvier 2023

En relisant le décret Ad Gentes du Concile Vatican II, qui aborde la question de l’activité missionnaire de l’Église, nous voudrions relever quelques points sur lesquels il nous faut, encore aujourd’hui, presque 60 ans après la publication de ce document (7 décembre 1965), réfléchir un peu. Ce rapide tour d’horizon, et cette mise en relief de quelques problématiques, reposent sur une attention accordée à la genèse du décret. Pour cela, il a été nécessaire de se pencher sur les documents préparatoires au texte final, et sur les interventions des Pères dans l’aula conciliaire. Les théologiens, dont le travail a préparé l’approche conciliaire, et les documents du Magistère des décennies suivant le Concile, apporteront aussi un éclairage important.

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Le salut viendra des "inaperçus" !

En ces temps si particuliers, nous avons à inventer un nouveau monde, ou plutôt un nouvel art de vivre dans ce monde.

Le mystère, si marquant, qui se célèbre à Noël nous indique que la lumière viendra de ceux qui passent le plus souvent inaperçus ; elle surgira des pierres de construction rejetées par les bâtisseurs.

En effet, de qui devons-nous attendre d’être éclairés sur ce qu’il nous faudrait essayer de construire ensemble ? Des puissants, des savants, des « sachants », des experts de tout acabit ? Non, mais certainement plutôt de ceux qui souvent ne comptent pas, qui n’ont pas voix au chapitre, qui n’ont “pas de place à l’hôtellerie”, comme dans le récit évangélique.

Comment nos démocraties, nos institutions, à bout de souffle, seront-elles capables de prêter attention à la parole (la Parole) de lumière exprimée par les “inaperçus” de notre temps ? Il y a probablement là une question dont nous devrions nous saisir collectivement et de façon urgente (y compris en Église), afin de ne pas risquer de passer à côté du Salut. Oui, ne laissons pas l’histoire se répéter avec son lot d’inattention à ceux qui, contrairement aux apparences, comptent vraiment et sont porteurs de vraie lumière.

Joyeuse fête de Noël à tous !

† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

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Chers amis, frères et sœurs,
Me voilà installé depuis quelques semaines en cette terre iséroise et au milieu du peuple qui y réside. Mettons le mot « installé » entre guillemets car le Seigneur, lui qui n’a pas une pierre où reposer la tête, ne semble pas souhaiter le confort douillet d’une situation sociale confortable : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête » (Mt 8, 20). Comprenons donc ce mot en nous référant aux bergers de l’évangile qui partagent la condition de leur troupeau dans la montagne ou à la bergerie. Même si mon logement du centre-ville qui est maintenant ma résidence est un peu plus cossu qu’une bergerie…

Votre accueil est vraiment chaleureux, et je vous en remercie beaucoup. Cela m’aide à vivre ce temps de transition dans la paix et la sérénité.

J’ai commencé à aller à la rencontre de certaines et certains d’entre vous sur ce vaste territoire, sans plan préétabli en tentant de me laisser guider par une occasion qui se présente, une suggestion d’un collaborateur ou le sentiment intérieur (peut-être trompeur…) qu’il me faut aller en tel lieu. Je tente de faire cela sans précipitation, en gardant de longues plages pour la prière, le repos, le contact avec la nature, qui est si belle en ce territoire. L’avenir du monde et de l’Église - même locale - ne dépendent pas de moi, mais du Seigneur et de tous ses disciples missionnaires, dont je ne suis qu’un pauvre et modeste exemplaire.

La semaine dernière, je me rendais à Lourdes pour participer à l’Assemblée plénière avec mes frères évêques pour la première fois en tant qu’évêque de Grenoble-Vienne. Nous avions à cœur de traiter les sujets prévus à l’agenda de cette session : les nécessaires conversions missionnaires des diocèses, le chemin de transformation de la Conférence des évêques (afin qu’elle soit plus synodale et davantage au service des diocèses et de leur mission)… Mais comme vous le savez, l’actualité a remis au premier plan la lutte contre la pédocriminalité et les indispensables changements d’habitudes que nous devons mettre en place ; particulièrement au regard des informations auxquelles ont droit les personnes victimes et tous les baptisés. Je vous invite à consulter le message que nous avons élaboré ensemble : « Bouleversés et résolus ». Vous pouvez le trouver sur le site de notre diocèse ou sur celui de la Conférence des évêques de France.

Nous pensions avoir vraiment changé de culture et définitivement abandonné les logiques de contournement et de silence lorsque nous avions adhéré au mois de mars dernier aux conclusions du rapport Sauvé. Mais force est de constater que ce n’était pas le cas. Avec les personnes victimes, nous sommes atterrés et nous demandons si les choses finiront par changer. Pascal Wintzer, évêque de Poitiers, disait qu’il ne faudrait peut-être pas moins de 40 ans, après cette terrible séquence, pour que la confiance puisse éventuellement être retrouvée. Je partage ce point de vue. Il faut presque toute une vie à des personnes ayant été agressées pour retrouver un chemin pacifié ; et parfois la vie entière n’y suffit pas. Notre génération de responsables d’Église - imprégnée plus ou moins inégalement, et plus ou moins consciemment, de cette culture du silence qui a eu tant d’effets destructeurs - ne s’en relèvera sans doute pas de sitôt. C’est une génération en quelque sorte perdue. Il faut l’accepter et, simplement et humblement, mettre en place de nouvelles pratiques saines et vertueuses qui pourront permettre à la génération suivante de partir sur des bases nouvelles. Il nous faut travailler pour eux et pas pour nous ; pour nous il est probablement trop tard.

Ne nous berçons donc pas d’illusions, le chemin sera long. Il faut s’y engager résolument comme sur un chemin de croix, conscients que l’horizon de la Résurrection est encore bien éloigné… Mais cela ne doit pas affaiblir notre volonté de mettre en œuvre, résolument, tout ce qui est susceptible de nous rapprocher de cette échéance. Pour avoir la garantie la plus sérieuse de ne pas laisser de côté cette urgence, il nous faut certainement emprunter le « chemin des pauvres » ; de ces pauvres qui sont comme le quasi-sacrement de la présence du Seigneur. J’aime l’expression d’Erwan Le Morhedec qui, après avoir passé un long temps avec une personne touchée par le grand âge et la dépendance, l’avait vu passer d’un profond découragement à un émerveillement renouvelé face à la vie, disait : « Si tout se casse la gueule, il nous restera ça : être des tâcherons de la charité ». Dans ce temps de notre Église, au milieu de tous ces drames, si nous avons un témoignage à apporter ce sera principalement, et peut-être uniquement, celui de la diaconie, du service des plus fragiles. Tout en indiquant paisiblement, humblement, où cet amour puise sa source : en Jésus, le Sauveur. C’est sur ce chemin que nous risquons le moins d’oublier nos bonnes résolutions.

Mes amis, dans le temps de l’Avent, chacun d’entre nous, et tous ensemble, nous allons nous efforcer de renaître à une vie nouvelle avec le Christ. Il vient nous rejoindre au cœur de nos ténèbres pour les illuminer de sa présence. Laissons-nous emporter par son souffle d’amour et de paix et renaissons à une vie ecclésiale nouvelle.

Très fraternellement.

† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne

Homélies

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cathédrale Notre-Dame - 31 mars 2024

Ces célébrations sont si riches de symboles, de contenus, que nos mots ne peuvent pas enfermer tous ces mystères. Mais il faut tout de même essayer de partager quelques convictions, quelques interrogations que nous portons ensemble.

La mort n’aura pas le dernier mot. C’est cela finalement le mystère, le cri du matin de Pâques : le tombeau est vide. Tout ne s’est pas arrêté à la Passion et à la mort de Christ, mais cette mort s’ouvre sur la résurrection, sur une nouvelle dimension de la vie. Dans un monde dans lequel nous nous agitons de mille manières, nous courons en tous sens de manière très irrationnelle, on peut se poser légitimement cette question : à quoi bon vivre ? À quoi bon courir ? À quoi bon produire ? À quoi bon consommer ? Si un jour, il faut mourir…

Bien sûr, cette réalité, qui est celle de nos vies, qui est parfois trop vide de sens, ne peut pas être complètement satisfaisante. Nous avons peut-être même des clés de réponse de ce phénomène que, depuis quelques jours, les journalistes analysent : pourquoi, dans un pays comme le nôtre, en France, tellement marqué par la laïcité, il y a, autour de ces fêtes de Pâques, environ 12 000 baptêmes ? Pourquoi ?

Il y a toutes sortes de réponses à cette question. Il faut analyser cela de manière précise. La réponse et les réponses sont multiples. Mais on peut constater aussi que, selon les prêtres des paroisses, nous avons le sentiment que, ces dernières années, il y a bien plus de monde à la messe le jour de Pâques qu’auparavant. Pourquoi ce phénomène ? À quoi cela tient-il ?

Peut-être par un certain nombre de peurs liées à la situation de notre monde : le retour de la guerre en Europe, ces faits dramatiques qui marquent Israël et la bande de Gaza. Pourquoi y a-t-il aujourd’hui plus de baptisés adultes qu’hier ? Parce qu’hier, à cause de cette prégnance très forte sociologiquement du christianisme, presque tout le monde était baptisé : aujourd’hui, évidemment, il y a dans la société moins de baptisés, donc plus de personnes sont susceptibles de demander le baptême. Mais toutes ces explications-là, sociologiques, psychosociologiques, ne suffisent à rendre compte de ce phénomène. Il nous faut peut-être tirer le constat que nous sommes dans une société qui est en quelque sorte à bout de souffle.

Parce que, dans cette idéologie de la croissance, on nous dit que nous sommes obligés de croître, d’accélérer, de nous propulser en permanence. Nous sommes dans une société prise de frénésie, la frénésie de produire, de consommer toujours plus. Et cette société, dans ce mouvement frénétique, a fini par perdre le sens du mouvement. Elle est un peu comme un hamster dans sa cage, qui court de plus en plus vite dans cette roue sans fin, mais qui ne va nulle part.

Un sociologue allemand, Hartmut Rosa, parle d’« immobilité fulgurante ». Nous allons toujours de plus en plus vite. Nous sommes toujours dans cette frénésie, mais nous ne savons pas où nous allons. Et cela, évidemment, ne peut pas être complètement satisfaisant. Nous cherchons (et nous en avons besoin) des formes alternatives de vie, de relations au monde, des formes alternatives pour être à ce monde Et dans ce contexte-là, dans cette recherche-là, il y a quelque chose d’une recherche intellectuelle et spirituelle. Alors, les traditions religieuses, les rites, comme ceux que nous proposons dans nos églises chrétiennes, sont des commencements de réponses. Je dis bien « des commencements de réponses » parce que nous pourrions croire que répondre à cette quête de sens pour sortir de cette frénésie absurde puisse être une démarche simplement philosophique, de l’ordre des idées : « quel sens donner à ma vie ? ».

Alors je vais bâtir tout un dispositif, mais il ne s’agit pas simplement de glisser dans le monde des idées, de s’arrêter, de réfléchir et de penser un peu mais de profiter peut-être de quelques ascensions en montagne pour avoir à nouveau des rythmes lents, des espaces de réflexion. Il s’agit de cela, mais pas seulement.

Et les baptisés de la nuit de Pâques en témoignent souvent. Ils disent : « être catholique, c’est adhérer non pas seulement à une doctrine, que l’on pourrait discuter ou que l’on pourrait opposer à une autre doctrine, une forme de pensée sur le monde, sur notre existence, sur le sens que tout cela, mais être catholique, c’est percevoir une présence ».

Ceux et celles qui ont choisi d’être baptisés, pour certains dans cette grande cuve baptismale qui est là, au fond de l’église, dans la nuit de Pâques, ont souvent rencontré (pas forcément au sens où « on se rencontre, on se voit »), ont vécu une expérience spirituelle intérieure de rencontre avec Dieu en Jésus-Christ.

Ils ont vécu non pas seulement une réalité intellectuelle, mais une réalité émotionnelle. Quelque chose s’est passé. Une rencontre s’est vécue. Une présence est devenue manifeste. C’est cela le mystère chrétien.

Bien sûr, il y a un certain nombre de dogmes et d’idées auxquelles nous adhérons, que nous professerons tout à l’heure encore dans la profession de foi baptismale, mais il s’agit surtout d’avoir rencontré quelqu’un. On ne comprend pas tout ce qu’il nous dit, à l’image de ces disciples après le discours (un peu difficile à percevoir) sur le pain de vie de l’Évangile de saint Jean au chapitre sixième. Comme ces paroles étaient trop difficiles, le Christ expliquant qu’il se donnait totalement à nous dans le pain eucharistique, certains commencèrent à s’éloigner, nous dit l’Évangile. Alors le Christ adresse cette question à ceux qui sont encore là. Il leur dit : « Voulez-vous vous en aller, vous aussi ? » Et ils disent : « À qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ». Ces baptisés de la nuit de Pâques cherchent un sens à leur existence, cherchent à sortir de cette frénésie impitoyable, de cette course sans fin et sans but. Ils perçoivent que le Christ et son Évangile, que le Christ ressuscité peut donner du sens à leur vie, mais c’est encore, comme pour nous tous, un peu confus.

Alors, nous sommes modestement simplement capables de dire au Seigneur encore aujourd’hui, chacun et chacune d’entre nous : « Seigneur, nous n’avons pas tout compris, loin de là, on n’aura sans doute jamais fini de comprendre jusqu’à la fin de notre existence, mais à qui irions-nous ? Nous avons regardé autour de nous tout ce qui nous était proposé, mais on a le sentiment que c’est Toi qui as les paroles de la vie éternelle. C’est toi qui as les paroles de la vie éternelle. »

Pour le dire autrement, il y a sans doute un appel à ressusciter à une vie nouvelle ; un autre regard sur l’existence, sur notre monde, sur nous-mêmes, sur nos engagements professionnels, associatifs, religieux, politiques… Nous comprenons que ressusciter, cela peut vouloir dire passer de la prédation au don. Passer de la prédation au don.

La prédation, nous savons ce que cela veut dire : dans cette course effrénée à la croissance, au progrès, nous voyons bien qu’y compris par rapport à notre Terre, à notre planète, nous sommes des prédateurs. Nous sommes des prédateurs par rapport aux autres aussi, à ceux et celles qui nous entourent, quand l’écart entre les plus riches et les plus pauvres se creuse toujours plus. Comment sortir de cette logique-là, de cette logique de prédation ? En nous engageant dans la logique du don, dans la logique de la gratuité.

Nous sommes les témoins de celui qui a tout donné par amour pour nous, qui a donné sa vie sur la croix. De celui qui avait chassé les marchands du temps en disant : « Ne faites pas de ma maison une maison de commerce ».

Le Seigneur veut nous engager dans cette logique-là, dans cette logique de la gratuité, de l’offrande radicale de lui-même. Ressusciter à une vie nouvelle, c’est peut-être aussi sortir de cette logique du monde dans laquelle, plus ou moins consciemment, nous sommes tous engagés, et je le dis aussi pour moi, bien sûr, où il s’agit d’accumuler des biens, de gagner sa vie et de la gagner toujours plus brillamment. Il s’agit d’aller toujours plus vite d’un point à un autre en accélérant la vitesse de nos TGV, ou en construisant de nouvelles autoroutes. Mais est-ce que cela a du sens ? Passer de la prédation au don de soi-même. Retrouver le rythme lent du marcheur, qui prend le temps d’échanger, y compris les quelques aliments qu’il a dans son sac à dos, qu’il va partager avec d’autres randonneurs qui avaient été moins prévoyants. Donc cette logique du don. Il y a cette phrase, je l’ai déjà citée plusieurs fois, cette phrase que Charles Péguy met dans la bouche de Christ, dans un grand poème qui s’appelle « Ève ». Le Christ s’adresse à sa mère et lui dit : « Tout s’achète et se livre et s’emporte, rien ne se donne plus. Et moi, j’ai tout donné ».

Chrétiens que nous sommes, baptisés et ressuscités avec le Christ, dans cette société, nous devons, nous sommes appelés à être des témoins du don, des témoins de la gratuité. C’est cela qui fera que la mort n’aura pas le dernier mot, mais que la vie, celle du Christ et la nôtre, et celle de notre société, peut-être, ressuscitera, retrouvera des chemins. Nous quitterons ainsi ces chemins fous, ces chemins de croissance qui nous poussent toujours à nous opposer, dans des logiques de concurrence, à un autre pays ou à une autre réalité qui serait en croissance, chemins qui nous conduisent finalement à la guerre. Si nous voulons ressusciter les idées nouvelles individuellement et collectivement, nous devons, avec le Christ, nous engager dans cette logique du don.

Pour finir, et cela rejoint cette réflexion, je vous livrerai quelques mots de François Cheng de l’Académie française, qui dans une interview, à la question « Quel regard portez-vous sur la mort ? » disait ceci (évidemment, c’est vrai pour le Christ et pour chacun et chacune d’entre nous) : « C’est la mort qui transforme la vie en don ».

À supposer qu’il n’y ait pas de mort et qu’on soit là, tous, indéfiniment, il n’y aurait plus ni d’élan ni de désir de faire quoi que ce soit. Que je le fasse ou non, aujourd’hui ou demain, c’est pareil. Si nous sommes habités par cet élan qui nous pousse à nous donner, c’est parce qu’à un certain moment, il y aura pour chacun et chacune d’entre nous ce passage, cette Pâque, ce passage par la mort avec le Christ, pour ressusciter à une vie nouvelle.

Les mystères de mort et de résurrection ne peuvent pas être séparés. Si nous pouvons ressusciter à une vie nouvelle, c’est parce que nous acceptons, comme nous y invitait Paul tout à l’heure, nous acceptons de sortir de la logique du monde, de mourir à cette logique du monde pour s’ouvrir à la logique de Dieu, qui est une logique de don et donc une logique d’amour.

La victoire du matin de Pâques, c’est une victoire de l’amour sur la haine, c’est une victoire de la lumière sur les ténèbres, c’est une victoire du don sur la prédation. Et c’est cette victoire-là qui nous remet debout.

Alors pardon pour ces mots un peu compliqués du matin de Pâques, mais je crois vraiment que nous sommes appelés, et nous le percevons intérieurement, nous sommes appelés à nous remettre debout et peut-être à remettre une société toute entière et un monde debout, à l’appel du Christ en nous engageant généreusement dans cette logique de gratuité, de don et d’amour.

Nous sommes des témoins du Christ ressuscité, vainqueur de la mort.

Amen.

† Jean-Marc Eychenne, évêque de Grenoble-Vienne

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"L'Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction."

Retrouvez le texte de l'homélie de Mgr Eychenne lors de la messe chrismale du 26 mars 2024 en la basilique du Sacré-Coeur de Grenoble avec le fichier à télécharger ci-dessous.

 

 

Homélie du pèlerinage diocésain à La Salette - 17 septembre

Chers amis, venant ici à La Salette, nous sommes marqués, c'est sans doute un lieu unique au monde, dans ce sens, par cette image de la Vierge en pleurs. Cela peut nous inviter peut-être à réfléchir sur la place que nous accordons aux larmes dans notre existence. Le pape François, en février 2014, le jour des cendres, disait « Chaque chrétien est invité à se demander s'il lui arrive de pleurer dans sa prière, si les larmes du cœur, entre guillemets, y trouvent parfois leur place. »
Donc, quelle est la place des larmes dans notre vie ? Essayons de nous demander quand, pour la dernière fois, nous avons laissé échapper ces larmes. Pour quelles raisons ? Il peut y avoir de multiples raisons, bien sûr. Mais peut-être que quand les larmes s'échappent, cela peut signifier que notre cœur qui parfois est un cœur de pierre, devient peu à peu sous l'action de l'Esprit un cœur de chair. Nous devons solliciter les larmes, car elles sont susceptibles d'irriguer, d'assouplir nos âmes qui sont parfois, et peut-être trop souvent, endurcies. Est-ce que Dieu pleure ? Ce que nous savons en tout cas, c'est que Dieu en Jésus, oui, pleure.

Et donc que les larmes sont un chemin vers Dieu, vers le cœur de Dieu. Nous avons plusieurs témoignages dans le Nouveau Testament des larmes de Jésus. Jésus pleure sur son ami Lazare, qui vient de mourir. Et ces larmes font écho aussi aux larmes des sœurs de Lazare, qui pleurent sur la mort de leur frère. C'est dans l'Évangile de Jean, chapitre 11, Jésus pleure sur son ami Lazarus. Jésus, nous le voyons pleurer aussi sur Jérusalem, à travers Jérusalem, sur l'humanité tout entière. Chapitre 19 de l'Évangile de Luc. Sans doute qu'il a pleuré aussi des larmes de sang. La Gèthsemanie, peu avant sa Passion, en tout cas la Lettre aux Hébreux, nous dit « L'offrit avec un grand cri et dans les larmes des prières et des supplications à Dieu qui pouvaient le sauver de la mort. » Alors, avec les larmes, nous comprenons que nous sortons de cette forme d'anesthésie du cœur qui nous rend indifférents souvent à la souffrance de nos proches ou à la souffrance des lointains. Encore la souffrance de nos proches, nous y sommes assez souvent sensibles. Mais la souffrance de ceux qui sont loin, de ceux qui n'appartiennent pas à notre culture, à notre pays, de ceux dont l'avenir ne nous concerne pas, cette souffrance-là nous trouve souvent dans l'indifférence.

Avec les larmes, nous pouvons sortir de l'anesthésie du cœur. Et les larmes sont un don de l'esprit, un don d'En-Haut, un don du Seigneur. Nous ne pouvons pas les provoquer. Dans certaines cultures de l'humanité, comme certaines personnes n'étaient pas très tristes du décès d'un défunt de leur famille, on appelait des pleureuses, des professionnelles des larmes. Mais quand même, les larmes, nous devons les solliciter, elles sont un don du Saint-Esprit. Parce que c'est ce Saint-Esprit, l'Esprit du Seigneur, qui rend nos cœurs tendres. Le flux vital que sont les larmes, tout en étant un signe de déploration, de lâcher prise. Souvent, nous laissons partir des larmes aussi quand nous acceptons enfin de lâcher prise. Vous savez, comme un barrage qui cède à un certain moment après avoir résisté trop longtemps à l'indifférence et à la douleur, Dieu vient nous cueillir. Nous nous abandonnons entre ses mains, nous nous abandonnons à nos émotions. Donc, les larmes signent un lâcher prise et aussi manifestation d'un réveil, de la sensibilité, une vraie rupture dans l'anesthésie du cœur.
Au Moyen Âge, souvent, les larmes étaient accueillies comme une première marque de la faveur divine. Peut-être que certains d'entre nous, et nous pourrions en témoigner parfois dans nos partages en petite fraternité, certains d'entre nous pourraient témoigner de ce moment associé au don des larmes, qu'il y a eu une vraie conversion dans leur vie, une sorte de rupture.

Ce don des larmes était le signe de la présence de Dieu. Au Moyen Âge, les larmes étaient accueillies comme une première marque de la faveur divine. Elles rendent ces larmes disponibles pour Dieu alors que les yeux secs témoignent d'une nature jugée à rire insensible et ingrate. J'aime bien cette expression un peu humoristique. Ne soyons pas des petits cathos secs. Quand avons-nous pleuré pour la dernière fois ? On nous a parfois pris dans nos cultures à retenir à l'excès nos émotions, comme si ces émotions, y compris les larmes, étaient un signe de faiblesse. Non, elles sont un don de Dieu. Elles sont le signe que notre cœur s'attendait.
Ce n'est pas étonnant que la Vierge de La Salette soit apparue à ces enfants et laissait échapper ses larmes. Dans la spiritualité des Chartreux, les larmes ont une place importante. Qu'il s'agisse de Guillaume de Saint-Thierry au XIIᵉ siècle, de Hugues de Balmaux au XIIIe ou encore de Denis de Chartreux au XVᵉ, les larmes sont celles de l'amour, sont comme une sorte de ravissement, de suavité spirituelle.

Elles sont comme l'irruption en nous de l'Esprit saint et de sa grâce. Elles sont une forme d'émerveillement. Quand on a la vue troublée par les larmes, on voit des choses qu'on ne verrait pas avec des yeux secs. C'est le dominicain Lacordaire qui disait « Il y a des choses qu'on ne voit bien qu'avec des yeux qui ont pleuré. » On ne peut pas voir vraiment la souffrance de l'autre, la souffrance de l'humanité, les grands mystères, les grands drames qui traversent notre humanité avec des yeux secs. Il faut qu'on regarde cela à travers des yeux qui ont pleuré, comme à travers un diamant, comme à travers une loupe qui nous fait voir bien mieux que nous voyons avec des yeux secs et avec un cœur de pierre.
Mais je ne serais pas étonné que le pape François nous dise des paroles comme celles qu'il avait prononcées à Lampedusa le 8 juillet 2013. Il disait « Qui de nous a pleuré pour ce fait ? Et pour les faits comme celui- ci, qui a pleuré pour la mort de ses frères et sœurs ? Vous savez, ceux et celles qui se noient en essayant de traverser la Méditerranée. Qui a pleuré pour ces personnes qui étaient sur le bateau ? Pour ces jeunes mamans qui portaient leurs enfants ? Pour ces hommes qui désiraient quelque chose pour soutenir leur propre famille ? Nous sommes une société qui a oublié l'expérience des pleurs, du souffrir avec la compassion. Nous sommes dans la mondialisation de l'indifférence qui nous a ôté la capacité de pleurer".
Alors, si ce lieu, Notre-Dame de la Salette, il l'est souvent déjà, mais devenait encore plus un lieu où on redécouvre la capacité de pleurer. Un lieu où l'on vient pour pleurer parce qu'on est marqué par une épreuve, parce qu'on est marqué par la vision de notre inconsistence et de notre péché et où on trouve des hommes et des femmes, des oreilles attentives qui seront avec nous comme ambassadeurs du Seigneur, nous disait Paul, qui seront avec nous pour nous consoler. Vous savez, dans le temps de l'avant, nous chantons cet hymne, qui reprend Isaïe 45, « Consola mini, consola mini, consola mini, consola mini, popule et humane".

Notre mission d'ambassadeur de Christ pour consoler tous ceux et celles qui pleurent pour de bonnes raisons, qui pleurent parce que leur vie est trop marquée par le deuil, la souffrance et la mort, qui pleurent parce qu'ils n'ont pas d'avenir, qui pleurent parce que leur pays est en guerre, qui pleurent parce qu'ils ont blessé tant de frères et sœurs et qu'ils s'en repentent. Je reprenais pour vous ces paroles de Paul dans la deuxième lettre aux Corinthiens, au chapitre premier, presque au début des versets 3 et 4.
Aux prêtres, aux diacres, aux évêques, mais à tous, au titre de notre baptême, d'être des consolateurs dans une humanité, dans une Création tellement blessée, qui pleure à force de non-respect de ce don de Dieu d'être des consolateurs de ce monde. Dans toutes nos afflictions, afin que par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelle qu'affliction que ce soit. Parfois, ceux qui ne sont pas conditionnés par cette culture dite adulte dans laquelle on veut nous engager, ceux qui pleurent encore dans notre société, ce sont les enfants. Et parfois, on leur ai dit « Arrête de pleurer comme ça".

On n'a pas fini de pleurer. Si nous redevenions comme des enfants, si nous retrouvions un cœur tendre, si nous étions ces enfants que le Seigneur confie à la Vierge Marie au pied de la croix. « Femme, voici ton fils. » Un chrétien qui ne perçoit pas la Vierge Marie comme une mère est un orphelin, dit le pape François. Nous ne sommes pas orphelins, nous ne sommes pas là, même si nous n'avons plus notre maman. Nous avons Marie qui est notre mère et qui nous console comme une mère console toujours ses enfants. Alors si nous retrouvions, nous aussi, le chemin de l'enfance, si vous ne redevenez pas comme des petits enfants comme nous dit le Seigneur, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Christian Bobin nous laisse quelques paroles. N'hésitez pas à lire et relire et relire encore Christian Bobin qui nous dit ceci : " Les enfants sont les seules grandes personnes que je connaisse. Les enfants sont des gens du voyage, des âmes de grande circulation. Quand ils viennent dans ce monde, ils n'ont pas de vêtements, pas de mots, pas d'argent, aucun bien, hors les biens du manque, de la faim, des larmes et du sourire".

Aucun bien, sauf ceux du manque, de la faim, des larmes et du sourire. Puissions-nous redevenir des enfants, retrouver un cœur et des yeux capables de pleurer et être dans ce monde des ambassadeurs d'un lieu de miséricorde et de consolation. Puisse ce lieu, Notre-Dame de La Salette, être un lieu où des gens, croyants, non croyants, venant de partout, viendraient pour un grand festival de la consolation, pour être consolés. On a tant besoin d'être consolés. Amen.

+ Jean-Marc Eychenne, évêque de Grenoble-Vienne

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Homélie de la messe chrismale - 4 avril 2023 - basilique du Sacré-Cœur

Le sacerdoce ministériel est tout entier placé à l’ombre de la Miséricorde. Non pas d’abord au sens où nous pourrions l’entendre spontanément. Nous ferions alors allusion aux prêtres, ministres du sacrement du pardon. Mais plutôt ici en voulant indiquer que ceux qui ont reçu le sacrement de l’ordre sont, au moins de trois façons, destinataires de la Miséricorde.

  • Premièrement, dans l’appel reçu malgré notre misère, ou à cause d’elle.
  • Deuxièmement, dans l’efficacité de notre agir indépendante de notre dignité.
  • Troisièmement, dans ce qu’il nous est donné de contempler de l’action miséricordieuse de Dieu parmi les membres de son peuple.

Alors oui, comment sommes-nous (diacre, prêtre, évêque), en situation permanente d’accueil de l’amour inconditionnel de Dieu ?

1- Dans l’appel de Dieu reçu malgré notre misère (et peut-être même, mystérieusement, à cause d’elle)

Le pape François, le 10 septembre 2015 s’adressant aux évêques fraîchement nommés ou ordonnés, disait ceci : « Vous êtes évêques de l’Église, récemment appelés et consacrés. Vous êtes venus d’une rencontre unique avec le Ressuscité. En traversant les murs de votre impuissance, Il vous a rejoints par sa présence. Bien qu’il connaisse vos reniements et vos abandons, les fuites et les trahisons. Malgré cela, Il est arrivé dans le Sacrement de l’Église, et a soufflé sur vous. »
Comment pourrions-nous nous imaginer que nous ayons été appelés en raison de nos qualités d’intelligence ou de l’héroïcité de nos vertus ? Un séminaire n’instruit pas le procès de canonisation de ceux qui y sont accueillis, et ne constitue pas non plus un jury d’attribution des palmes académiques. Il prend le temps de vérifier (avec toute la marge d’incertitude que cela comporte) que le désir des candidats corresponde vraiment à l’appel gratuit du Seigneur.
Quel défi que celui de ce discernement !
En effet, nous pouvons être une « pointure » intellectuelle, ou encore un grand spirituel sans pour autant avoir été gratuitement choisi par Dieu pour être marquée du sceau de l’ordination.
« Choisi parce que pardonné » (Miserando atque eligendo)… selon la devise du pape François.

2- Nous sommes placés encore à l’ombre de la Miséricorde

À chaque fois que nous constatons que notre ministère connaît une certaine efficacité, même dans les moments où nous sommes loin du Seigneur.
La validité des sacrements ne dépend pas de la dignité des ministres de ce sacrement. Saint Augustin, dans sa lutte contre l’hérésie donatiste, nous a définitivement éclairés sur cette question.
Nous sommes comme ce petit âne choisi par le Seigneur pour son entrée « triomphale » à Jérusalem le jour des Rameaux. Des instruments si modestes qui, pourtant, sont dépositaires de la présence de Dieu. « Le Seigneur sait faire des ânes que nous sommes des instruments pour sa mission […]. Sur nos manteaux d’orgueil Jésus s’assied et fait passer son attelage. » (P. Arnaud Alibert). Même aux jours où il nous semble être, intérieurement, presque détruits, ou pour le moins très inconsistants, quand mille angoisses habitent notre cœur, pourtant le Seigneur passe et consent à agir à travers nous. Splendeur de la Miséricorde !
« Ô merveille, qu’on puisse ainsi faire présent de ce qu’on ne possède pas soi-même, ô doux miracle de nos mains vides ! » (Bernanos – Le journal d’un curé de campagne - Le curé d’Ambricourt est témoin de la conversion de la comtesse, ayant contribué à lui rendre une espérance qui le fuit en cette période de sa vie).
Oui, vraiment, mes mains sont vides, mais le Seigneur œuvre malgré tout à travers elles.

3- Nous sommes d’une troisième manière à l’ombre de la Miséricorde

Lorsqu’il nous est donné de contempler l’action de la Miséricorde de Dieu agissant chez les autres.
Tant que nous sommes capables encore, depuis l’endroit où nous sommes (comme ministres), de nous émerveiller de l’action de Dieu, alors nous ne pouvons que remercier le Seigneur de cet inestimable cadeau. Tant de fois, nous contemplons Dieu qui saisit l’âme, le cœur, le corps, l’entièreté d’une personne. Il nous est donné de voir cela… Tout comme il est donné au randonneur, après la pénible et douloureuse ascension, d’être transporté par la beauté du paysage.
Quand faisons-nous cette expérience ? Dans l’accompagnement des catéchumènes ; lorsqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle nous recevons ceux qui arrivent au terme d’une longue route extérieure et intérieure ; lorsque dans un entretien spirituel nous prenons la mesure du chemin parcouru par une personne ; lorsque dans le sacrement du pardon nous nous trouvons tout petits face à cette sainteté cachée au cœur d’une personne qui semblait si ordinaire…
Cet émerveillement nous libère de nous-mêmes, « Et c’est à ce moment-là, justement, que la vie atteint son sommet, quand cessant de vous regarder, vous n’êtes plus qu’un regard vers l’autre. À ce moment-là, sans revenir à vous, vous sentez que vous êtes là, que vous existez comme jamais dans une joie immense mais très pure et dépouillée, une joie qui est encore offerte à cette beauté en laquelle vous vous perdez. » (Maurice Zundel – Dieu c’est quand on s’émerveille).
De multiples manières Dieu, donc, manifeste sa Miséricorde à ceux qu’il a choisis comme ministres ! N’oublions pas cependant de préciser que tout ce que nous disons ici ne peut nous inviter à nous complaire dans nos insuffisances et nos ténèbres, voire à les justifier. Mais cet émerveillement devant la Miséricorde de Dieu à notre égard va devenir le puissant moteur de notre conversion, susceptible de rendre notre ministère infiniment plus fructueux qu’il ne l’est. Cette contemplation nous purifie peu à peu des incohérences de nos chemins d’hommes, de disciples de Jésus, et de ministres de sa grâce. Oui vraiment, le sacerdoce ministériel est placé à l’ombre de la Miséricorde de Dieu, alors soyons dans la joie et l’action de grâce d’avoir été appelés gratuitement à être ces pauvres instruments entre les mains de Dieu. Dieu qui nous donne à voir tant de merveilles dans l’exercice de notre ministère.
C’est alors sans peur, et avec enthousiasme, que nous renouvellerons les engagements de notre ordination et que, dans le même temps, par la voix de l’évêque, l’Église du Verbe incarné nous redira sa confiance.

† Jean-Marc Eychenne
évêque de Grenoble-Vienne

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Homélie - cathédrale Notre-Dame

En entrant dans une nouvelle année pastorale, en assumant de nouvelles responsabilités, en accueillant de nouveaux collaborateurs, en arrivant dans un nouveau lieu de vie, les verbes qui nous viennent spontanément à l’esprit débutent souvent par le préfixe « re ». Il sera alors question de se remobiliser, de reprendre ses habitudes, de retrouver ses repères, etc. En deux mots, de tout faire pour que la nouveauté s’estompe et que nous retrouvions au plus vite le confort douillet de notre vie précédente.

Or, dans une approche évangélique, à l’appel du Christ, un changement est toujours l’occasion d’une conversion. Il s’agit de devenir un autre homme (ou femme), un autre chrétien (ou chrétienne) à la faveur de ce qui va, désormais, caractériser autrement notre vie et notre mission. C’est notre être même qui est appelé à une métanoïa et non pas seulement les conditions concrètes de notre existence. Les changements extérieurs auxquels nous sommes contraints deviennent alors l’occasion d’entendre un appel à une évolution intérieure beaucoup plus profonde et radicale.

Une personne nouvelle est appelée à naître et, ce faisant, notre agir concret, va s’en trouver lui aussi modifié. Cette évolution de notre comportement sera pour nous - et souvent aussi pour les autres - source d’étonnement. Un nouveau chemin s’ouvre devant nous. La romancière Virginie Grimaldi intitulait un de ses livres Le premier jour du reste de ma vie. Nous pourrions essayer « d’habiter » cette formule, qui exprime assez bien ce qui peut se jouer ici. La notion de nouvelle naissance est très importante dans la spiritualité chrétienne. Le dialogue de Jésus avec Nicodème est, sur ce point, fondateur : « Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » Jésus répondit : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». » (Jn 3, 4-5) En effet, quel que soit notre âge ou notre situation, quelles que soient les joies ou les épreuves qui ont jalonné notre route, nous pouvons vivre une nouvelle naissance personnelle, communautaire, spirituelle, et pastorale. Nos habitudes, notre manière d’être au monde en seront alors inévitablement changées, même sans que ce soit notre intention explicite. Par exemple, le pape François dans sa première grande encyclique, La Joie de l’Évangile, dessinait ainsi la conversion pastorale qu’il appelle si souvent de ses vœux : « La pastorale en terme missionnaire exige d’abandonner le confortable critère pastoral du « on a toujours fait ainsi ». J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés. » (n° 33). Nous n’allons pas vivre les mêmes choses que l’année précédente, pas seulement (et pas d’abord), parce que nous avons déménagé ou parce que nous avons reçu une nouvelle mission, mais parce que le Seigneur, avec la puissance de son Esprit, nous transforme en profondeur, nous convertit. « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » (Ap 21, 5)

De plus, le Créateur nous a fait à son image et à sa ressemblance et donc fait de nous aussi des créateurs. Nous sommes de ces artistes dont nul ne sait ce que produiront demain les pinceaux, burins, ou instruments, sous le coup d’une inspiration inattendue… Chrétiens, au-delà de nos caractères, de nos « dadas », de nos « pentes », souvent bien connus et repérés, et dans lesquels on voudrait nous enfermer, il est bon que nous restions en partie imprévisibles. Sinon cela voudrait dire qu’il n’y a plus de place en nous pour Dieu, l’Imprévisible par excellence.

Que nous commencions cette année comme si nous venions de naître, afin de ne pas céder à la routine en nous contentant de recommencer, encore et encore… Que le Seigneur nous accorde cette grâce.

† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne

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Homélie - basilique du Sacré-Cœur

Commentaire - Jn 21, 15-17

L’Évangile de ce jour semble vouloir attirer notre attention sur LA question essentielle que Jésus adresse non seulement à Pierre, aux apôtres, mais aussi à tous ses disciples, et à travers eux à tous les hommes. Et cette question  porte sur l’amour.

Qu’est-ce qui fait de moi un chrétien ? S’agirait-il du fait que j’adhère intellectuellement à un corps de doctrine (résumé dans le Credo), une anthropologie ? Serait-ce aussi le fait que je mette en œuvre des comportements, une morale, en harmonie avec les attentes de ce Dieu auquel mon intelligence adhère ? Cela se traduirait-il, encore, par le fait que je rende un digne culte au créateur de toutes choses, dans des rituels personnels et collectifs ? Certes, c’est cela aussi, qui manifeste que je suis un chrétien, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus fondamental, ce n’est pas cela qui est le fondement de mon être chrétien.

Le Seigneur m’interroge d’abord sur la nature de ma relation avec Lui. Mon expérience spirituelle est-elle de l'ordre de l'expérience amoureuse. Ai-je été saisi par la présence de Jésus au point que cela ait transformé en profondeur mon existence ? Sinon, certes, je peux être de culture chrétienne, très aguerri en matière de théologie, ayant une vie somme toute assez honnête, pratiquant même régulièrement un culte, mais je suis en quelque sorte une coquille vide. Au pays des noix, on sait ce qu'est une coquille vide. D’autres, comme Mgr Gérard Daucourt, pourront me définir comme un « athée pieux » ou un religieux sans Dieu.

M’aimes-tu ? Voilà donc la question essentielle d’où tout le reste découle ! Encore faut-il s’entendre sur la nature de l'amour dont nous parlons .

Un amour qui nous fait aimer comme Dieu aime, d'un amour totalement gratuit (agapé) ou m'aimes-tu seulement de l'amour dont sont capables les hommes, fait de réciprocité, (philia - amour mutuel de bienveillance fondé sur quelque chose que l’on a en commun) ?

Quand on regarde bien le texte de l’Évangile et les verbes utilisés, nous constatons que dans les deux premières questions le Chris interroge Pierre sur sa capacité à aimer comme Dieu aime (agapé).  Pierre lui répond qu'il l'aime seulement de l'amour dont les hommes sont capables (philia). Mais en revanche dans la troisième question, cette fois, Jésus demande à Pierre s'il l'aime de l'amour non plus d’agapé mais de philia .Il semble ainsi donner l'impression de douter que Pierre soit durablement capable de cet amour, pourtant à la portée de l'homme. Alors, Pierre s’attriste, car il sait que Jésus a raison puisqu'il a été capable de le renier, par trois fois... Il a nié avoir même une amitié simplement humaine pour lui. Pierre n’a pas su aimer, ni à la manière de Dieu, ni même parfois à la manière des hommes.

Et pourtant, par trois fois, après chacune de ses questions, Jésus lui demande malgré tout de prendre soin de son troupeau ! "Je sais que tu ne peux pas aimer de l’amour même de Dieu, et que parfois même un amour à la mesure de l’homme te sera difficile. Pourtant, conscient de tes limites, je te confie le soin de mon troupeau, je t’institue apôtre de l’amour. Tu aimeras, imparfaitement sans doute, de façon quelque peu chaotique, mais je te confie cette mission ; ne te dérobe pas ". " Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour " nous rappelle saint Jean de la Croix.

Le rêve de Dieu en Jésus, selon la belle expression du pape François, est de contempler « une Église folle d’amour pour son Seigneur et pour tous les hommes, aimés par Lui » (messe anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, le 11 octobre 2022, mémoire de saint Jean XXIII). Une Église qui se fasse servante de l'humanité, une Église retenant le geste du lavement des pieds comme étant celui qui symbolise le mieux la mission que le Christ lui confère... Et pour que ce rêve se réalise, il prend tous les risques. Il confie ce projet à ces personnages si peu fiables que nous sommes.

Le pape François, le 10 septembre 2015 s’adressant aux évêques fraîchement nommés ou ordonnés, disait ceci : « En traversant les murs de votre impuissance, Il vous a rejoint par sa présence. Bien qu’Il connaisse vos reniements et vos abandons, les fuites et les trahisons. Malgré cela, Il est arrivé dans le sacrement de l’Église, et a soufflé sur vous ».

C’est avec nos pauvretés que le Seigneur agit, et à n’en pas douter saint Jean-Paul II, dont nous faisons mémoire aujourd'hui, a autant fait pour l’Église, et même sans doute plus, lorsque sur son fauteuil de personne handicapée il ne lui restait que la vivacité de son regard et l’offrande de sa vie souffrante, que lorsqu’il était ce jeune pape d’une incroyable énergie.

M’aimes-tu ? Sois le berger de mes agneaux, sois le pasteur de mes brebis !

M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? Que cette question du Seigneur ne nous laisse jamais tranquilles ! Et l'appel à y répondre par l'amour des frères, non plus !

Amen.

† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne

Discours

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Discours - Espace diocésain du Sacré-Cœur

Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus chacune et chacun selon vos « grades et qualités », et soyez remerciés d’avoir répondu à notre invitation.

C’est sans doute quelque peu présomptueux pour une institution comme l’Église qui est en Isère de se sentir encore autorisée à inviter les responsables que vous êtes, à l’occasion de la nomination d’un nouvel évêque. Déjà, en 1969, un certain Joseph Ratzinger (qui deviendra ensuite le pape Benoît XVI) dressait ce constat : « Dans la crise actuelle, une Église qui a beaucoup perdu émergera. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins depuis le début. Elle ne pourra plus habiter les bâtiments qu’elle a construits en période de prospérité. Au fur et à mesure que ses fidèles diminueront, elle perdra aussi la plupart de ses privilèges sociaux ». En nous accordant la sympathie de votre présence, vous pourriez vouloir nous réconforter en nous suggérant que nous sommes encore importants. Mais, au fond, n’est-ce pas en s’efforçant de préserver l’image d’une institution qui aurait du poids sur la société, que nous avons parfois perdu le fil (et combien gravement) avec le Christ et son message d’amour, de justice et de paix ? Alors c’est notre joie pour nous aujourd’hui de redevenir « petits ».

Pourquoi avons-nous programmé ce temps particulier, ce soir, alors que nous aurions pu nous contenter d’inviter tous ceux qui le souhaitaient, à la messe de ce matin ? Parce que cela nous semblait plus respectueux des convictions de chacun de ne pas « obliger » ceux qui voulaient se manifester, à s’associer à une prière et un rituel spécifiquement chrétien et catholique. Nous ne sommes plus en chrétienté et nous avons compris, après bien des résistances, qu’une saine conception de la laïcité était au service de la liberté de conscience et donc de la liberté religieuse de tous.

Nous nous retrouvons bien dans la récente définition de ce concept que donnait récemment le rabbin Delphine Horvilleur : « La laïcité française n’oppose pas la foi à l’incroyance. Elle ne sépare pas ceux qui croient que Dieu veille et ceux qui croient aussi ferme qu’il est mort ou inventé. Elle n’a rien à voir avec cela. Elle n’est ni fondée sur la conviction que le ciel est vide ni sur celle qu’il est habité... La laïcité dit que l’espace de nos vies n’est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une espérance de saturer tout l’espace... Elle affirme qu’il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer ».

C’est au nom de cette conception de la laïcité que nous nous sentons, et même que nous nous faisons un devoir, d’apporter notre contribution à la « chose politique », au sens où l’entendait Václav Havel, ou encore le pape Pie XI qui la définissait comme étant « le champ le plus vaste de la charité ». Les chrétiens, alors qu’ils ont leur regard tourné vers « un royaume qui n’est pas de ce monde », seraient-ils de ceux qui renonceraient à̀ s’engager dans un effort de transformation de la société ? Non, nous croyons au contraire que la foi peut être un moteur puissant de changement social. L’Esprit de l’Évangile nous pousse à ne pas nous satisfaire de l’état du monde, et particulièrement de tout ce qui blesse l’être humain (image de Dieu) et son environnement (Création).

Comment alors, comme croyants, apporter notre part au débat public ? En nous engageant dans des échanges fondés en raison, car cette dernière est la langue commune qui nous permet de dialoguer, en allant au-delà de nos convictions de foi ou de non foi. Le pape Jean-Paul II, dont nous avons fait mémoire ce matin, dans un texte majeur sur les rapports entre la raison et la foi datant de 1998, précisait cette démarche : « Par une argumentation fondée sur la raison et se conformant à ses règles, le philosophe chrétien, tout en étant toujours guidé par le supplément d’intelligence que lui donne la parole de Dieu, peut développer un raisonnement qui sera compréhensible et judicieux même pour ceux qui ne saisissent pas encore la pleine vérité que manifeste la Révélation divine. Ce terrain d’entente et de dialogue est aujourd’hui d’autant plus important que les problèmes qui se posent avec le plus d’urgence à l’humanité — que l’on pense aux problèmes de l’écologie, de la paix ou de la cohabitation des ethnies et des cultures — peuvent être résolus grâce à une franche et honnête collaboration des chrétiens avec les fidèles d’autres religions et avec les personnes qui, tout en ne partageant pas une conviction religieuse, ont à coeur le renouveau de l’humanité. » (Jean-Paul II - 1998 - Fides et Ratio n° 104).

« Ont à cœur le renouveau de l’humanité »... Je conclus en mettant en relief cette dernière expression de Jean-Paul II. L’humanité, nos démocraties, notre démocratie, ont besoin de gens qui aient le « goût des autres » (petit clin d’œil au passage à ce film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri qui porte ce titre).

Chacun et chacune d’entre nous fonde son engagement au service du bien commun, dans son propre champ de responsabilité, sur un « certain goût des autres ». Puissions-nous le garder toujours au cœur et à l’esprit et nous entraider à ne pas le perdre, chemin faisant.

† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne

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